Le choix multiple

Les artistes contemporains ont touché des millions de gens en déclinant leurs oeuvres en éditions 2-D, 3-D ou même virtuelles. Un aspect commercial essentiel vers un art plus démocratique.

Le choix multiple

Murakami, Nara, Hirst, Koons, Banksy, Shepard Fairey et récemment Kaws… ces artistes sont les plus vendus à travers le monde. Le flux d’oeuvres échangées aux enchères oscillent entre 2.000 et 6.000 lots pour chacun, sur les 20 années écoulées. Dans la lignée de Keith Haring, ces artistes ont créé des productions en série, des œuvres ou des objets plus abordables que ce qui est habituellement présenté en galeries. Repoussant les frontières entre art et commerce de masse, ils séduisent toutes les tranches d’acheteurs, des débutants aux collectionneurs fortunés.

Un art plus démocratique

Keith HARING ouvre la voie d’un art démocratique et commercial en 1986, avec les portes de son Pop Shop à Manhattan. Cette boutique d’art à bas prix vise à toucher le même éventail de personnes qu’avec ses dessins sauvages dans le métro: “pas seulement les collectionneurs”, disait Haring, “mais aussi les enfants du Bronx”. L’objectif était de créer un Marché alternatif destiné aux plus grand nombre. Haring demeure l’un des artistes les plus populaires, les plus demandés, et les mieux vendus de notre époque. Le deuxième au monde, selon un volume de 4.806 transactions en 20 ans (pour 304,4m$ en tout).

30 ans après le Pop Shop, BANKSY lance sa propre boutique (2019), la Gross Domestic Product™ (ou Produit Intérieur Brut™). Mais les codes ont changé depuis Haring. Le Street artist militant travaille par correspondance, avec une boutique uniquement en ligne. De la bombe aérosol à 10£ jusqu’au gilet pare-balles à 850£, ses “produits”, comme il les nomme, sont fabriqués à partir d’objets recyclés dans son atelier, et non en usine. Les ventes servent à financer des missions de sauvetage pour les migrants en Méditerranée. Épuisés en un temps record, les “produits” pourraient revenir sur le second Marché tant l’artiste est coté. Banksy est en effet classé 38ème mondial, avec 2.800 lots vendus pour 100,4m$ depuis 2000.

L’autre nouvelle star du Street Art, KAWS (alias Brian Donnelly), revendique l’influence directe de l’activiste Keith Haring. Lors d’un entretien pour The Guardian, il confie “Keith est comme un pont pour moi”, “quand j’étais plus jeune, je n’allais pas dans les galeries, je n’allais pas dans les musées… Il y avait beaucoup de ‘ça c’est de l’art’ ou ‘ça ce n’est pas de l’art’; ‘ceci est commercial’, ‘ceci est du grand art’. Dans mon esprit, je pensais que le but de l’art était de communiquer et d’atteindre les gens. Quel que soit le point de vente utilisé, c’est le bon”. (It has created a sense of hostility: how Kaws made the art world pay attention, Steph Harmon pour The Guardian, 19 septembre 2019).

Parallèlement à ses œuvres très cotées (voir Kawsmania), Kaws utilise des moyens de production à grande échelle pour éditer des t-shirts (il a son propre label streetwear), des sérigraphies, et une centaine de variétés de Art toys (ces figurines inspirées de dessins animés), vendus en éditions limitées – et illimitées – auprès de fans et de collectionneurs.

Mais l’artiste a passé un cap supplémentaire en 2020, en créant une édition d’œuvres virtuelles avec la société Acute Art, spécialiste de la réalité augmentée. Le principe est simple: une fois la figurine virtuelle choisie et le paiement effectué, l’image du Companion peut être incrustée chez soi, au moyen d’une navigation intuitive. 25 Companion de grandes dimensions (1,8 mètres) sont proposés à l’achat pour 10.000$ chacun, tandis que de petits Companion peuvent être loués pour 6,99$ la semaine, 29,99$ le mois… le temps de faire quelques selfies avec son compagnon virtuel pour alimenter les réseaux sociaux et faire le buzz.

Kaws a aussi lancé une exposition mondiale en réalité augmentée – Expanded Holiday – avec 12 sculptures monumentales incrustées (virtuellement) sur tous les continents: devant le musée d’art islamique de Doha, la National Gallery of Victoria de Melbourne, le Louvre à Paris, en passant par New York, Londres, Hong Kong, Tokyo, Séoul, Taipei ou Sao Paulo. Cet ambitieux projet lui a permis d’être le seul artiste “exposé” tout autour de la planète en mars 2020. Que l’oeuvre soit physique ou virtuelle, cette capacité de la décliner à l’infini lui a permis de toucher des millions d’individus et de renforcer encore sa notoriété.

Top des artistes contemporains par nombre de lots vendus (2000-2019)

Artiste Lots vendus Prix moyen
1 Takashi MURAKAMI (1962) 5.512 40.618$
2 Keith HARING (1958-1990) 4.806 63.345$
3 Damien HIRST (1965) 4.244 163.893$
4 Shepard FAIREY (1970) 2.989 2.513$
5 BANKSY (1974) 2.815 35.677$
6 Robert COMBAS (1957) 2.798 14.907$
7 ZHU Xinjian (1953-2014) 2.755 22.634$
8 Yoshitomo NARA (1959) 2.727 120.178$
9 KAWS (1974) 2.104 78.784$
10 Jeff KOONS (1955) 1.902 493.470$
11 Marco LODOLA (1955) 1.821 1.459$
12 Hiroshi SUGIMOTO (1948) 1.804 37.784$
13 Günther FÖRG (1952-2013) 1.708 39.035$
14 Robert MAPPLETHORPE (1946-1989) 1.705 22.673$
15 Peter HOWSON (1958) 1.657 3.747$
16 FANG Chuxiong (1950) 1.483 31.480$
17 Jean-Michel BASQUIAT (1960-1988) 1.480 1.470.001$
18 Thomas RUFF (1958) 1.450 24.808$
19 Sandro CHIA (1946) 1.358 15.124$
20 Jörg IMMENDORFF (1945-2007) 1.317 17.358$
21 Cindy SHERMAN (1954) 1.284 111.528$
22 Mark KOSTABI (1960) 1.276 3.451$
23 William KENTRIDGE (1955) 1.269 29.762$
24 Nan GOLDIN (1953) 1.255 7.212$
25 Mimmo PALADINO (1948) 1.240 19.313$
26 WANG Mingming (1952) 1.159 62.822$
27 Robert LONGO (1953) 1.116 41.184$
28 Richard PRINCE (1949) 1.110 455.921$
29 Vik MUNIZ (1961) 1.085 39.705$
30 ZHOU Chunya (1955) 1.067 277.272$
© artprice.com

Plusieurs têtes d’affiche du Street Art dominent le Marché par leurs volumes de transactions. Outre les oeuvres de Keith Haring et de Kaws, celles de Banksy et de Shepard Fairey sont particulièrement prisées. Le nombre de lots vendus a été multiplié par 12 en 10 ans pour le premier, par 33 pour le second. Shepard FAIREY fait partie des cinq contemporains les plus vendus de notre époque (près de 3.000 lots depuis 2000), avec de nombreuses lithographies abordables pour quelques dizaines de dollars seulement. Essentiellement composé d’éditions dont le prix excède rarement 1.000$, son Marché est d’abord français (plus de 80% des lots vendus en 2019), où le Street Art est un Marché en pleine ébullition.

Art + popularité + commerce

Dans la culture japonaise, il n’y a pas de distinction entre culture High et Low, entre art pour musée et art populaire. Takashi MURAKAMI a toujours été désireux de fusionner les Beaux-Arts et la “chose” commerciale, comme le revendiquait son mentor Andy Warhol. Pourquoi séparer ce qui fait partie d’un tout? Surtout aujourd’hui où la circulation des images n’a pas de frontières. L’art de Murakami s’est immiscé partout. Sa production ne se limite pas aux sculptures, peintures, estampes, objets, produits dérivés que l’on rencontre sur le second Marché. Il a multiplié les collaborations, avec la marque de luxe Louis Vuitton, la marque streetwear Supreme, avec Kanye West ou avec la chanteuse californienne Billie Eilish (65,7 millions d’abonnés sur Instagram), tout en conservant un univers extrêmement cohérent.

Murakami est une machine à produire. Il est artiste autant que chef d’entreprise, et dirige une myriade d’assistants au sein de sa Kaikai Kiki Co. Cette entreprise créée au milieu des années 1980 est une Factory du XXIème siècle, une fourmilière engagée dans la production, la vente, et la réalisation de films d’animation. Artiste le plus vendu de la planète (5.512 lots depuis 2000), il est l’un des plus abordables grâce à ses éditions.

Artiste le plus vendu de la planète, Murakami est l’un des plus populaires et abordables.

La dynamique de Jeff KOONS n’est pas éloignée de celle de Murakami. Une partie de sa création est très commerciale pour toucher le plus grand nombre de personnes possible. C’est l’une de ses grandes forces: s’être approprié les mécanismes et les infrastructures de la production industrielle pour créer aussi bien des chefs-d’oeuvre ostentatoires que des “produits” populaires. Ses Puppies et Balloon dogs édités à des milliers d’exemplaires se vendent de quelques centaines de dollars à des dizaines de milliers selon les éditions.

Les Balloon dogs en porcelaine (2.300 exemplaires) s’échangent autour de 15.000$ contre moins de 1.000$ il y a 20 ans. Les prix grimpent autour de 60.000$ pour Balloon Monkey/Balloon Rabbit/Balloon Swan, un ensemble de trois sculptures réalisé avec la maison Bernardaud à Limoges (vente de Leon Gallery à Makati, Philippines, 14 septembre 2019). Ce qui revient à 20.000$ la pièce, contre environ 10.000$ lors de leur mise en vente par Bernardaud en 2017. Le prix moyen d’une sculpture fabriquée avec le concours de la manufacture de Limoges a par conséquent doublé en deux ans. Celui d’un vase Puppy en porcelaine (3.000 exemplaires plus 50 épreuves d’artiste), a lui été multiplié par dix en 15 ans (environ 10.000$). Même diluée à des milliers d’exemplaires, l’oeuvre de Koons aura été un investissement gagnant.

Balloon Dog de Koons, Companion de Kaws, Mr. Dob de Murakami… les artistes “Hi-Lite” les plus appréciés ont su créer des personnages récurrents à l’esthétique enfantine et satirique immédiatement reconnaissable. En somme, ils ont su créer leur marque de fabrique.