La peinture d’abord

La peinture pèse 65% d’un Marché qu’elle tire vers le haut.

La peinture d’abord

Les œuvres les plus coûteuses de notre époque révèlent le triomphe du Pop Art et de ses héritiers, de l’art abstrait américain historique et actuel, de “Street artists” emblématiques, de peintres chinois et japonais arrivés sur le Marché avec le nouveau millénaire. Consacrées au plus haut niveau de prix, les oeuvres sont généralement puissantes par leurs dimensions, leurs couleurs et leur énergie. Répondant à ces critères, les figures tutélaires de la peinture contemporaine ne sont pas si nombreuses: elles sont huit dont les oeuvres passent les 20 millions (Basquiat, Wool, Zeng Fanzhi, Doig, Nara, Chen Yifei, Kippenberger, Marshall) et 18 à plus de 10m$. Les adjudications millionnaires sont aussi essentielles qu’elles sont rares: elles concernent moins de 1% des résultats, lorsque les trois-quarts des oeuvres sur toiles s’échangent pour moins de 5.000$.

En 20 ans, la peinture s’est en effet affirmée comme la véritable locomotive du Marché. Non seulement du Marché contemporain mais aussi du Marché de l’Art global. La courbe de prix de la peinture contemporaine indique la plus forte des hausses, toutes catégories et toutes époques confondues. Avec 1,43Mrd$ de toiles vendues en 2019 (un record), la peinture se taille la part du lion. Elle représente 65% du produit des ventes d’oeuvres contemporaines contre 52% en 2000.

Une croissance portée par la peinture contemporaine

Une croissance portée par la peinture contemporaine

La peinture contemporaine progresse plus vite que sur n’importe quel autre segment du Marché.

Sculpture: organisation et subversion

Le Marché de la sculpture contemporaine a révélé des oeuvres percutantes, souvent polémiques. Les animaux découpés de Damien HIRST, les installations coup de poing de Maurizio CATTELAN (reprenant les figures de Hitler ou du pape Jean-Paul II), la grenouille crucifiée de Martin KIPPENBERGER, comptent parmi les plus subversives, les plus mémorables et les plus cotées. D’autres plasticiens, dont Koons et Kapoor, sont plutôt connus pour leurs prouesses techniques, avec des oeuvres nécessitant d’importants moyens de recherche et de production.

Le Marché de la sculpture s’est aussi profondément développé avec des éditions déclinées en une multitude de dimensions et de matériaux. On pense notamment aux oeuvres de MURAKAMI qui a suivi la voie ouverte par Andy Warhol en créant sa propre factory – la Kaikai Kiki Co. – pour produire ses oeuvres. Cette société fait travailler une centaine de personnes sur des œuvres uniques, en séries limitées, des produits dérivés, des films d’animation ou des pochettes de disques, tout en soutenant la nouvelle génération nippone.

Dans la culture japonaise, il n’y a pas de distinction entre culture haute (High) et basse (Low). Il en va ainsi avec les productions issues de l’atelier de Murakami, quelles qu’elles soient. C’est un tout, dont le consumérisme de notre époque est partie intégrante, comme son mentor Warhol l’avait saisi, comme Koons puis Kaws l’ont appliqué, chacun à leur façon.

Maurizio Cattelan - Daddy, Daddy, 2008

Maurizio Cattelan
Daddy, Daddy, 2008
Résine polyuréthane, acier, peinture epoxy
25,4 x 109,22 x 96,52 cm
Edition de trois plus deux épreuves d’artiste
Installation pour l’exposition collective “theanyspacewhatever”
au Solomon R. Guggenheim Museum, New York, 2008-2009
© Maurizio Cattelan, Courtesy Marian Goodman Gallery
Photo Kristopher McKay

Deuxième catégorie la plus importante, la sculpture représente 16% du volume d’affaires mondial pour 10% des transactions. En 20 ans, son volume d’affaires progresse de +1.485%, grâce à la croissance de prix des grands favoris américains Jeff Koons et Kaws, des Britanniques Hirst et Gormley, des Allemands Martin Kippenberger et Thomas Schütte, des Japonais Takashi Murakami et Yoshitomo Nara ou encore de l’Italien Maurizio Cattelan.

Sculpture: quelques résultats marquants.

  • En 2019, Jeff KOONS amène la sculpture au seuil des 100m$ (91m$, Rabbit).
  • En 2018, une sculpture historique de Robert GOBER part pour 7,3m$ (Untitled (1993-1994)). Une rétrospective au MoMA en 2014 aura propulsé sa cote.
  • En 2017, l’artiste autrichien Franz WEST grimpe à 871.000$ (Untitled (2011)), peu avant une exposition dans l’antenne suisse du galeriste Gagosian.
  • En 2016, Maurizio CATTELAN signe le record annuel de la sculpture contemporaine avec 17,2m$ pour Him (Lui), représentant Hitler à l’échelle d’un enfant, agenouillé en prière. L’artiste fait un bond de près de 10m$ dans l’échelle de ses records.
  • En 2008, Anish KAPOOR remporte 3,8m$ à Londres pour une sculpture en albâtre (Untitled (2003), Sotheby’s, juillet 2008).
  • En 2007, le record de Damien HIRST est établi à 17,1m$ pour Lullaby Spring (2002), chez Sotheby’s.

Répartition du produit de ventes par catégorie

Répartition du produit de ventes par catégorie

Peinture et sculpture représentent 80% du produit de ventes.

Photographie, le grand tournant

Le Marché de la photographie contemporaine opère un tournant en 2007. Cette année-là, les records s’enchaînent et le chiffre d’affaires annuel explose, atteignant 102m$ contre 17m$ en 2000. La création photographique contemporaine devient alors une affaire sérieuse: elle tient la moitié du chiffre d’affaires global de ce médium, toutes époques confondues. Ce bouleversement est en partie structurel, les clichés historiques étant de plus en plus rares. Mais il est aussi culturel: le médium colle parfaitement à l’époque, les oeuvres sont faciles à transporter et à stocker (donc à accumuler) et majoritairement accessibles avec un petit budget (50% des photographies sont vendues sous les 2.000$). D’autres acheteurs sont séduits par la monumentalité de la photographie contemporaine, rappelant le format du tableau. La photographie a donc fait de plus en plus d’émules en 20 ans, et le nombre de clichés vendus a quasiment quadruplé, passant de 1.300 lots à près de 5.000 en 2019, une année record.

Suivant l’explosion générale des prix de l’art, deux photographies de Cindy SHERMAN partent pour plus d’un million de dollars en 2007. En février de la même année, le diptyque sur-dimensionné d’Andreas GURSKY, 99 cent II (2001), atteint 3,3m$ à Londres. Ce paysage d’un nouveau genre sur le vertige de notre société de consommation plante un record pour une photographie contemporaine, mais seulement pour quelques mois. Richard PRINCE bat en effet tous les pronostics en novembre avec un autre hymne américain, une emblématique photo de Cowboy (2001-2002) de deux mètres et demi, payée 3,4m$.

Jeff Koons est à la fois l’auteur et le sujet de la photographie la plus coûteuse.

Sherman, Gursky, Prince: le premier cercle des photographes millionnaires s’élargit peu par la suite. Il intègre les influents Jeff WALL (en 2008), le duo GILBERT & GEORGE (en 2008), Thomas STRUTH (en 2015), mais aussi Jeff Koons (en 2013) et Ai Weiwei (en 2016), deux artistes qui, à l’image de Richard Prince, ne sont pas connus comme de véritables photographes au sens “classique” du terme. AI Weiwei dépasse le million avec trois images issues d’une performance: l’artiste lâche volontairement une urne de la dynastie Han qui se casse au sol (Dropping a Han Dynasty Urn). Ce geste iconoclaste pour “lâcher” le passé s’envole pour 1,08m$ contre une estimation haute de 300.000$ (Sotheby’s, Londres). Sa valeur a été multipliée par 10 en 10 ans, suivant la cote de popularité explosive de Ai Weiwei. Quant à Jeff Koons, il est à la fois l’auteur et le sujet de la photographie contemporaine la plus coûteuse, avec 9,4m$ remportés par The New Jeff Koons, un tirage unique passé par la collection Saatchi à Londres. Koons, vu par Koons à l’âge de sa première “révélation” artistique, confirme alors son statut “d’icône” via le Marché de la photographie.

Portrait d'Ai Weiwei à la Demeure du Chaos

Portrait d’Ai Weiwei à la Demeure du Chaos
© thierry Ehrmann, Courtesy Musée l’Organe

Les mentalités et les habitudes ont considérablement changé pour cette “jeune” catégorie du Marché qui n’a commencé à gagner la confiance des collectionneurs que dans les années 90. Pour mémoire, la première foire exclusivement dédiée à la photographie (Paris Photo) remonte à 1997. A la même époque, on découvre les premiers formats monumentaux rapprochant la présence photographique de la puissance d’un tableau, comme chez Cindy Sherman qui atteint alors tout juste le seuil des 50.000$. Elle a depuis érigé la photographie au rang d’un grand art. Avec 143,2m$ d’oeuvres vendues en 20 ans, Sherman est la femme la plus performante du Marché devant toutes les grandes peintres. Elle est aussi 25ème au classement mondial, derrière 24 hommes.

Ventes de photographies

Ventes de photographies

Les photographes gagnent un véritable poids économique grâce à leurs grands formats.