La cote des artistes

Résultats annuels époustouflants, hausses de cote fulgurantes… quels sont les artistes les plus cotés du Marché de l’Art Contemporain et comment réagit la demande internationale?

Le Marché de l’Art Contemporain est un véritable terrain de jeu pour les investisseurs. Les plus fortunés achètent à prix d’or des artistes (généralement américains) dont les prix flambent à une vitesse phénoménale, permettant des plus-values mesurées en centaines de milliers de dollars, voire en millions.

Les artistes les plus cotés se nomment Basquiat, Christopher Wool, Mark Bradford ou Richard Prince. Basquiat surtout, qui tient à lui seul 20 des 100 meilleures adjudications de l’année, et reste le premier pilier économique du Marché Contemporain. Plusieurs artistes chinois se distinguent également, portés par un marché intérieur motivé face à la puissance américaine. Une vingtaine de résultats chinois étayent ainsi le Top 100 des enchères avec CHEN Yifei qui culmine à 22,6m$. Les artistes européens, eux, sont moins bien représentés dans ces classements si ce n’est quelques Britanniques majeurs comme Cecily Brown, Antony Gormley, Peter Doig ou Damien Hirst; les Allemands Thomas SCHÜTTE et Albert OEHLEN ; l’Italien Rudolf STINGEL. Mais ce dernier est mieux soutenu par les acheteurs américains que par ses compatriotes depuis qu’il a élu domicile à New York, place de marché de tous les excès.

Aujourd’hui, la puissance financière du Marché de l’Art Contemporain repose sur une poignée d’artistes face à une multitude: les 500 artistes les plus performants génèrent 89% du résultat mondial, parmi 20.335 contemporains dont une œuvre au moins a été adjugée entre juillet 2017 et juin 2018. Le trio de tête – composé de Basquiat, Doig et Stingel – concentre à lui seul 22% des recettes mondiales, contre 27% pour le podium de l’exercice précédent composé de Basquiat, Doig et Wool.

Contribution des meilleurs artistes au produit de ventes

Contribution des meilleurs artistes au produit de ventes

Le podium

Le meilleur coup de marteau de l’année est tombé sans surprise pour une œuvre de Jean-Michel BASQUIAT, vendue plus de 45m$ (Flexible, Phillips New York, le 17 mai 2018). Un an plus tôt, une autre œuvre de l’artiste passait pour la première fois le seuil des 100m$, révolutionnant le Marché de l’Art Contemporain. Cette œuvre sans titre de 1982 achetée 20.900$ en 1984 se revendait 5.300 fois ce montant 33 ans plus tard (soit 110,5m$, Untitled《无题》). Face aux prix exorbitants des peintures de Basquiat, la cote des dessins affiche aussi une croissance phénoménale: +2.000% en 20 ans. À la mort de l’artiste, en 1988, ses meilleures œuvres ne dépassaient pas les 100.000$, alors que sa cote était déjà explosive. Avec un budget de 100.000$ aujourd’hui, seuls de petits dessins sont accessibles, généralement ceux réalisés au feutre, dépourvus de cette couleur si expressive qui offre un surcroît de saveur à son travail.

Avec un indice en hausse de +1.880% depuis 2000 et 256m$ d’oeuvres vendues cette année, Basquiat reste le leader absolu du marché. Peter DOIG se classe en seconde position (100,9m$), avec six des 100 meilleures enchères de l’année. L’augmentation du prix des œuvres de Doig est comparable à celle de Basquiat. Le Britannique affiche un indice haussier de +2.200% sur 18 ans, si bien que 100$ investis en 2000 dans l’une de ses oeuvres valent en moyenne 2.300$ aujourd’hui. Cette ascension spectaculaire peut être illustrée avec la vente répétée d’une œuvre bien connue des amateurs, The Architect’s Home In the Ravine, passée cinq fois aux enchères.

Ventes successives de The Architect’s Home In the Ravine de Peter Doig

Date Maison de ventes Prix (USD)
26/06/2002 Sotheby’s Londres 474.838$
15/05/2007 Sotheby’s New York 3.624.000$
13/02/2013 Christie’s Londres 11.975.939$
11/02/2016 Christie’s Londres 16.346.086$
07/03/2018 Sotheby’s Londres 19.958.612$
© Artprice.com

 

Les ventes successives de The Architect’s Home in the Ravine illustrent une accélération des échanges, tout en autorisant des plus-values de l’ordre de plusieurs millions de dollars lors de chaque passage en salle.

Rudolf STINGEL clôt ce trio de tête avec un résultat global de 52,3m$, similaire à celui obtenu l’an dernier. C’est à lui que l’on doit l’indice le plus explosif du podium: +12.550% de hausse depuis 2001… Artiste prolifique, né en Italie en 1956, Rudolf Stingel est soutenu par François Pinault au Palazzo Grassi depuis son inauguration en 2006. Consacré par une rétrospective au Whitney Museum en 2007, ses prix s’envolent au même moment, avec un premier résultat millionnaire (Untitled de 1989, 1,2m$, Christie’s New York, le 13 novembre 2007), suivi de 48 autres, enregistrés jusqu’au début de l’été 2018.

Evolution de l’indice des prix de Basquiat, Doig et Stingel

Evolution de l'indice des prix de Basquiat, Doig et Stingel

Les confirmations

Les résultats annuels confirment plusieurs tendances, notamment la montée en puissance d’artistes récemment révélés sur les marchés anglo-saxons et la hausse de la demande pour le Street Art, dont l’effet de mode ne semble pas près de s’essouffler.

Recherchées par les collectionneurs fortunés comme par les jeunes amateurs d’icônes populaires, les têtes d’affiche du Street Art dominent le Marché en nombre de lots vendus. Les œuvres de Shepard FAIREY, BANKSY, Keith HARING et KAWS rencontrent un succès commercial sans précédent. Ces quatre artistes emblématiques du Street Art se classent parmi les cinq contemporains les plus vendus aux enchères, et ce à l’échelle mondiale.

Premier sur la liste, Shepard FAIREY suscite un tel engouement que le nombre de lots vendus a doublé en un an (675 contre 343 lots sur l’exercice précédent). Il faut dire que 90% de ces lots sont des estampes n’excédant pas les 1.000$, un seuil de prix particulièrement attractif pour le marché français, premier client de ses œuvres (78% de lots vendus en France contre 7% aux États-Unis). Et pour cause, le Street Art est un marché de niche en pleine ébullition en France, porté par des ventes thématiques organisées par plusieurs maisons de ventes, dont Artcurial, Tajan, Aguttes et Leclere.

La demande est également en forte hausse pour le très médiatique BANKSY avec plus de 500 lots vendus (+71% par rapport à l’exercice précédent). Ce marché est majoritairement constitué d’estampes (74% des lots), diffusant massivement son travail dans une gamme de prix tout aussi attractive que celle de Shepard Fairey.

Top 20 des artistes contemporains par nombre de lots vendus (2017/18)

Artiste Produit de ventes Nombre de lots vendus Meilleur résultat
1 Shepard FAIREY (1970) 1.064.648$ 675 93.994$
2 BANKSY (1974) 9.898.703$ 478 928.765$
3 Takashi MURAKAMI (1962) 18.363.658$ 457 8.826.036$
4 Keith HARING (1958-1990) 24.331.489$ 419 4.212.500$
5 KAWS (1974) 15.316.727$ 363 1.259.927$
6 Yoshitomo NARA (1959) 35.070.152$ 339 2.932.574$
7 Damien HIRST (1965) 29.230.253$ 328 4.412.500$
8 Robert COMBAS (1957) 5.837.186$ 244 220.338$
9 Peter HOWSON (1958) 347.965$ 197 62.309$
10 Günther FÖRG (1952-2013) 10.838.045$ 192 727.956$
11 Hiroshi SENJU (1958) 2.053.881$ 185 172.881$
12 William KENTRIDGE (1955) 4.419.247$ 151 384.261$
13 Jeff KOONS (1955) 40.792.093$ 149 22.812.500$
14 Jean-Michel BASQUIAT (1960-1988) 256.098.080$ 125 45.315.000$
15 Renato Natale CHIESA (1947) 88.643$ 119 4.958$
16 Robert MAPPLETHORPE (1946-1989) 4.628.828$ 115 726.435$
17 Norman Clive CATHERINE (1949) 242.071$ 103 44.466$
18 Robert LONGO (1953) 5.038.834$ 100 555.000$
19 George CONDO (1957) 49.248.967$ 100 6.162.500$
20 Tracey EMIN (1963) 1.473.136$ 100 215.933$
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Popularité en hausse également pour le “Skully” (traduisez “crâne de pirate”) de KAWS, alias Brian Donelly. Le nombre de ventes progresse de +142%, ce qui permet à l’artiste de gravir cinq marches du classement. Repoussant les frontières entre art et commerce de masse, Kaws produit aussi bien des sculptures monumentales que des “Art-Toys” en édition limitée (de 500 à 1000 exemplaires), une méthode pour “rendre l’art accessible à tous” dans l’esprit de la Factory du Japonais Takashi MURAKAMI (la Kaikai Kiki Corporation), troisième artiste le plus vendu en nombre de lots cette année (457 lots vendus sur la période 2017/2018). Le crâne de pirate de Kaws n’est pas seulement un phénomène de mode (collections capsules avec de grandes marques du luxe, produits dérivés tels que tee-shirts ou baskets, collaboration avec des chanteurs tels que Kanye West et Pharell Williams), c’est aussi un phénomène de marché, surtout depuis que Pharell Williams l’a présenté au galeriste Emmanuel Perrotin. La progression des prix est d’autant plus remarquable qu’elle est rapide. Inexistant sur le second marché il y a 10 ans, l’artiste culmine désormais à 1,2m$ pour une toile initialement estimée moins de 350.000$ (Keep Moving, Phillips Londres, le 9 mars 2018). Ses huit meilleures enchères ont toutes été enregistrées entre l’été 2017 et l’été 2018, à Londres, Hong Kong et New York.

Evolution du produit des ventes aux enchères de Kaws

Evolution du produit des ventes aux enchères de Kaws

D’autres artistes se distinguent au sein du Top 500 par leurs remarquables performances aux enchères et par la puissance de leurs nouveaux records. Les résultats de l’année couronnent des propositions artistiques aussi diverses que celles de George CONDO, Cecily BROWN ou Mark BRADFORD (1961) pour la peinture, de Robert GOBER, Antony GORMLEY ou Franz WEST pour la sculpture.

Progressions remarquables en peinture

La performance de George CONDO est l’une des plus spectaculaires de l’année. Son produit de ventes annuel de 49m$ le hisse à la quatrième place du classement mondial, derrière Basquiat, Doig et Stingel, alors qu’il tenait la 19ème place du même classement l’an dernier, avec 13m$ de résultat.

Plusieurs coups de projecteur ont permis une telle performance: Phillips lui a organisé une importante exposition l’an dernier (George Condo: The Way I Think, 11 mars-25 juin 2017) et l’a annoncé en couverture du catalogue d’une prestigieuse vente new-yorkaise en février 2018. Sotheby’s a pris le relais en mars, ouvrant une exposition Condo / Picasso en marge du salon Art Basel à Hong Kong (Face-Off: Picasso / Condo, 16-31 mars 2018). Annoncée comme “la rencontre de deux génies”, cette exposition a permis d’accroître considérablement la popularité de Condo à Hong Kong, où les premiers résultats s’étaient déjà avérés probants. En novembre 2017, sa toile Young Young Girl with Blue Dress (藍裙女子) doublait en effet largement son estimation haute à Hong Kong, terminant sa course à 1,5m$ chez Phillips. Les coups d’éclats se sont multipliés depuis, avec huit nouveaux résultats millionnaires, dont un de plus à Hong Kong.

Le nom de George Condo revient à quatre reprises parmi les 100 meilleures enchères de l’année, notamment avec un nouveau record de 6,1m$, plus du double de l’estimation fournie le 17 mai dernier par Christie’s à New York. Intitulée Nude and Forms, la toile en question est un hommage direct à la manière cubisante de Pablo Picasso mise en valeur lors de l’exposition hongkongaise du mois de mars.

Bien qu’il ait émergé sur la scène new-yorkaise au même moment que Jean-Michel Basquiat (qui l’a persuadé de s’installer à New York), la cote de Condo ne s’est pas construite à la même vitesse que celle de son ami. Son premier résultat millionnaire a en effet été enregistré il y a seulement dix ans, soit 20 ans après celui de Basquiat (Condo, Tumbling Heads, vendue 1m$, le 15 mai 2008 chez Phillips de Pury & Company à New York); un record qui a amorcé une fulgurante ascension des prix, pour un indice en hausse de +2100% depuis 2000.

Evolution de l’indice des prix de George Condo

Evolution de l'indice des prix de George Condo

Plus de 27m$ ont été récoltés en un an pour la vente des oeuvres de Cecily BROWN… soit 20m$ de plus que sur l’exercice précédent. L’artiste bénéficie d’un puissant coup d’accélérateur et passe de la 23ème à la 14ème place au classement mondial. En l’espace d’une année, son record a été augmenté de plus de 4m$, pour culminer à 6,7m$ grâce à la vente de Suddenly Last Summer le 16 mai (Sotheby’s New York). La peinture viscérale de Brown s’avère parfois plus coûteuse que celle, cubisante, de Condo.

La remontée est encore plus spectaculaire pour l’artiste américain Mark BRADFORD, dont le résultat annuel passe de 16 à 40,1m$, ce qui lui vaut la neuvième place au classement mondial, juste derrière Jeff Jeff KOONS (40,7m$). Bradford a multiplié les coups d’éclats avec trois nouveaux records en 2018, dont un sommet approchant les 12m$ pour une large toile vendue chez Phillips (Helter Skelter I, 8 mars 2018, Londres). L’artiste, qui a fait sensation l’an dernier au pavillon américain de la Biennale de Venise, confirme qu’il compte parmi nos contemporains les plus recherchés et les plus performants.

Remarquable bond en avant également pour Mark TANSEY, qui passe de la 162ème à la 24ème position (de 861.000$ à 15m$). Après un fort ralentissement en 2017, le marché du peintre américain reprend de la vigueur, avec un nouveau record enregistré à New York: l’oeuvre en question, Source of the Loue s’était vendue 190.000$ en 1988 lors d’une vente caritative de Sotheby’s, avant d’être ravalée contre une estimation basse de 600.000$ en 2003. Cette fois, elle s’est envolée pour 7,4m$ (Sotheby’s, le 16 mai 2018).

Progressions remarquables en sculpture

C’est aussi une année faste pour Antony GORMLEY, qui passe devant Takashi MURAKAMI, avec 19,4m$ de résultats, contre 5,5m$ l’an dernier. L’artiste est auréolé d’un nouveau record, 6,9m$, pour A Case for an Angel I, une sculpture de plus de huit mètres cinquante d’envergure, vendue chez Christie’s à Londres le 6 octobre 2017. Ce record récompense une œuvre emblématique de la sculpture contemporaine, car son sujet est le même que celui de la plus grande sculpture d’Angleterre (Angel of the North, 200 tonnes, 20 mètres de haut et 54 mètres de large, installée à Gateshead) qui a valu à Gormley d’être reçu au sein de l’Ordre de l’Empire britannique pour services rendus à la sculpture. Une telle oeuvre aurait pu atteindre quelques millions de plus au regard de son importance. Sa monumentalité aura certainement restreint le nombre d’enchérisseurs…

Historique également, le nouveau record emporté par une sculpture de Robert GOBER 7,2m$ pour une œuvre emblématique du début des années 1990. Le record de l’artiste a tout simplement doublé en 10 ans. Le réajustement en cours a démarré en 2014, année d’une rétrospective au MOMA qui a propulsé sa cote. Les 7,4m$ d’oeuvres vendues sur 12 mois lui offrent la 39ème place du classement mondial.

Evolution du produit des ventes aux enchères de Franz West

Evolution du produit des ventes aux enchères de Franz West

Le marché de l’artiste autrichien Franz WEST est particulièrement dynamique depuis l’obtention d’un Lion d’or à la Biennale de Venise (2011), venu couronner l’ensemble de sa carrière peu avant sa disparition (2012). Les résultats annuels confirment un record obtenu en mai 2017, grâce à la vente d’une importante sculpture, Sisyphos IX, cédée pour 855.000$ cette année chez Sotheby’s (New York, le 16 mai 2018). Les hommages à l’œuvre de Franz West se multiplient. Après une exposition dans l’antenne suisse du galeriste Gagosian (22 septembre-16 décembre 2017), une rétrospective s’est ouverte au Centre Georges Pompidou à Paris (12 septembre-10 décembre 2018). Elle se poursuivra à la Tate Modern à Londres en 2019.

La sculpture la plus chère de l’année est signée Jeff KOONS, avec un résultat de 22,8m$ emporté pour Play-Doh, une œuvre acquise auprès de la galerie Gagosian en 2005. Play-Doh mime, en aluminium polychrome, un amoncellement de pâtes à modeler colorées de plus de trois mètres de hauteur. Grâce à elle, le résultat annuel de Koons se hisse à 40,7m$ ce qui lui permet de rester dans le Top 10 mondial (huitième artiste le plus performant). Néanmoins, ces 40,7m$ représentent une baisse phénoménale au regard des performances passées. Il y a trois ans, le produit de ventes annuel de Koons affichait 93,8m$, malgré un nombre de lots vendus bien moindre à l’époque (83 en 2014/2015 contre 149 en 2017/2018). Aujourd’hui, non seulement le marché de Koons se retrouve dominé par les estampes et les objets (80% des lots vendus) mais on enregistre aussi un tassement des prix pour ses grandes sculptures. Par exemple, son homard géant en inox vendu 6,8m$ le 10 mai 2016, a plafonné à 5,4m$ le 17 mai 2018… un manque d’enthousiasme évident qui se chiffre à 1,4m$ d’une vente à l’autre.

Evolution de l’indice des prix de Jeff Koons

Evolution de l'indice des prix de Jeff Koons

Produit de ventes en dents de scie, dilution d’un marché dominé par les multiples, actualité entachée de polémiques (notamment autour du Bouquet de tulipes offert à la France et d’un défaut de livraison d’oeuvres au collectionneur Steven Tananbaum)… Jeff Koons divise, mais il n’est pas le seul. Plusieurs signatures star se sont avérées contre-performantes cette année. Les raisons en sont variées.

Les essoufflements

Comme Jeff Koons, Damien HIRST fait partie de ces signatures star qui ont enflammé les enchères au milieu des années 2000. Leurs œuvres sont devenues rapidement très coûteuses mais leur marché se trouve ralenti aujourd’hui. L’indice de prix de Damien Hirst est clairement retombé depuis l’euphorie passée. Il dégringole de -84% face au pic atteint en 2008. Bien que Christie’s ait vendu un mouton conservé dans un bain de formol pour 4,4m$ cette année et que Sotheby’s ait adjugé une “Butterflies painting” pour 1,3m$ (Away from the Flock, le 17 mai 2018 et Loving You, le 7 mars 2018), Damien Hirst n’emporte que deux enchères millionnaires en 12 mois, contre 65 au cours de l’année 2008.

D’une année sur l’autre, les résultats des artistes les plus cotés peuvent s’avérer très fluctuants. Les chiffres d’affaires annuels sont parfois révisés à la moitié, voire au tiers pour celles et ceux dont l’actualité est retombée, dont les records n’ont pas été renouvelés faute d’oeuvres importantes, plus rarement pour des raisons relatives à une véritable désaffection des acheteurs.

Top 10 des chiffres d’affaires en baisse (2017/18 vs. 2016/17)

Artiste 2017 / 18 2016 / 17 Δ
Keith HARING (1958-1990) 24.331.489$ 35.006.680$ -30%
ZENG Fanzhi (1964) 20.282.825$ 31.099.780$ -35%
Anselm KIEFER (1945) 15.211.978$ 23.999.435$ -37%
Adrian GHENIE (1977) 11.228.881$ 28.287.718$ -60%
Mark GROTJAHN (1968) 9.744.810$ 39.046.320$ -75%
Thomas SCHÜTTE (1954) 8.883.570$ 14.926.572$ -40%
Sean SCULLY (1945) 7.427.785$ 11.971.151$ -38%
LUO Zhongli (1948) 4.568.456$ 9.803.167$ -53%
AI Weiwei (1957) 3.702.757$ 7.082.723$ -48%
Mike KELLEY (1954-2012) 3.613.359$ 5.980.107$ -40%
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Le prodige roumain de la peinture Adrian GHENIE passe de la 11ème à la 30ème place mondiale. Après une folle ascension des prix en 2016 et 2017, sa cote s’est stabilisée mais son résultat annuel essuie un sévère revers en chutant de -60% comparé au précédent exercice (11m$ d’oeuvres vendues contre plus de 28m$). Ce recul tient surtout à l’exigence des acheteurs compte tenu du haut niveau de prix de ses oeuvres. Si les enchérisseurs sont prêts à miser bien au-delà de l’estimation haute pour une toile emblématique (exemple: Elvis vendue 519.000$ contre une estimation optimiste de 350.000$ le 17 mai 2018 chez Phillips), ils ne prennent pas position sur les toiles jugées mineures ou sur-estimées (cinq toiles ravalées). La prudence est actuellement de mise.

Après une année époustouflante (2016/17), portée par un record sans précédent de 16,7m$ (“Untitled (S III Released to France Face 43.14), le 17 mai 2017, Christie’s), l’artiste abstrait américain Mark GROTJAHN passe de la 5ème à la 35ème place au classement mondial, avec un résultat en baisse de -75%.
En 2017/18, son meilleur coup de marteau n’a atteint que 1,8m$ (Christie’s, Londres, 06/10/2017 (Untitled (White Butterfly)) pour une toile, il est vrai moins importante (541.000$, Sotheby’s Londres, le 26 juin 2013). Ce résultat a tout de même été multiplié par trois en l’espace de cinq ans.
Pas de désaffection donc pour cette signature importante du Marché, dont l’indice de prix affiche une croissance de +570% depuis son introduction aux enchères en 2006.

Comme Grotjahn, le chinois AI Weiwei a dégringolé de 30 places, selon un résultat presque divisé par deux (-48%). Rien d’alarmant cependant, car les oeuvres importantes, à l’exception d’une seule, ont toutes trouvé preneurs. La forte contraction de son résultat tient à la pénurie d’oeuvres véritablement majeures en circulation. La présence essentielle d’Ai Weiwei sur la scène artistique internationale s’est manifestée par d’autres voies que celle des enchères cette année, des voies plus militantes que commerciales, comme la sortie de son documentaire “Human Flow”, fruit d’un an de travail sur les 65 millions de réfugiés dans le monde. Au second semestre 2018, l’artiste reprend place dans l’actualité avec une série de trois expositions en Californie. L’une chez le marchand Jeffrey Deitch à Hollywood (Zodiac, 29 septembre-5 janvier 2019), une autre à UTA Artist Space de Beverly Hills (depuis le 4 octobre 2018) et une troisième à la fondation Marciano (Life Cycle, 28 septembre 2018-3 mars 2019).

Evolution du produit des ventes aux enchères de Ai Weiwei

Evolution du produit des ventes aux enchères de Ai Weiwei

Le Top 10 des résultats en baisse révèle une forte présence d’artistes chinois. Outre Ai Weiwei (le plus international de tous), huit Chinois comptent parmi les 20 contre-performances de l’année. La moitié d’entre eux ne sont pas ou peu représentés sur le marché international (SHI Guoliang, LIN Yongsong, LIU Dan, LUO Zhongli). Leur marché repose exclusivement sur la demande intérieure chinoise et leurs prix ne sont pas confirmés en Occident.

Or, la consolidation d’une cote repose en partie sur la vitalité de la demande internationale, une ferveur activée par le degré d’influence des galeries, la présence répétée sur les foires mainstream, et le relais institutionnel. Aussi, il est essentiel d’observer quelle galerie se trouve derrière un artiste… Le cas de l’artiste américain Jonas WOOD est tout à fait caractéristique. Sa cote s’est envolée après une première exposition chez Gagosian à Londres en 2015. Cette année, le puissant galeriste “faiseur de cotes” exposait ses estampes à New York (5 avril-25 mai 2018) au moment des ventes de prestige d’art contemporain. Les œuvres de Jonas Wood proposées en salles se sont alors envolées, avec un record signé chez Christie’s le 18 mai. Prix final: 2,3m$ contre une estimation comprise entre 550.000$ et 750.000$ (Maritime Hotel Pot with Aloe). Aucun doute, les clients de Gagosian se sont engouffrés sur le marché de l’artiste. Même cas de figure pour les œuvres de Laura OWENS qui a entamé une collaboration avec le marchand Gavin Brown il y a cinq ans. S’en est suivie une hausse immédiate du prix de ses oeuvres: plus de 100.000$ en 2014, plus de 300.000 en 2016 et enfin plus d’1 million en 2017 (Untitled, 1,8m$ contre une estimation de 200.000$ – 300.000$, 16 novembre 2017, Sotheby’s New York), année de son exposition au Whitney Museum.

Sur le segment haut de gamme de l’art contemporain, la force de frappe du marché repose certes sur un petit nombre d’artistes en regard de la multitude, il repose aussi sur un petit nombre d’acteurs influents.