L’analyse d’ARAA (Artron Research Academy of Arts, Chine)

L’analyse d’ARAA (Artron Research Academy of Arts, Chine)

L’épidémie de COVID-19 a-t-elle eu un impact important sur le Marché de l’Art en Chine ? Si oui, comment cet impact s’est-il réparti d’un point de vue géographique dans le domaine des enchères ? Quels artistes et quelles œuvres ont été impactés ?

ARAA : En 2022, l’épidémie, le maintien de la croissance du marché des devises, les conflits locaux, la crise énergétique et les fluctuations du marché boursier ont rendu l’économie mondiale plus que jamais incertaine. En ce qui concerne le marché de l’art en Chine, le choc a été plus direct et manifeste et il a été particulièrement difficile pour le marché des enchères Fine Art. La plupart des enchères du printemps 2022 ont été repoussées en juillet et août par les maisons de ventes aux enchères. Quant à l’automne, seules quelques maisons de ventes ont tenu les enchères qui étaient prévues, la majeure partie des maisons de ventes les ayant reportées jusqu’en 2023.

Du point de vue régional, c’est dans le delta du Yangtze que la baisse du montant des adjudications a été la plus forte. Elle a atteint -65%. En ce qui concerne les œuvres, le taux global des adjudications pour les secteurs de la peinture à l’huile et de l’art contemporain s’est élevé à 32,17%, occupant pour la première fois la tête des trois grandes catégories d’œuvres.

Concernant la tendance du développement du marché mondial, la peinture à l’huile et l’art contemporain vont peut-être dépasser les secteurs traditionnels de la calligraphie et de la porcelaine chinoises. Chez les artistes, le marché des enchères pour les œuvres peintes post 70’s et 80’s montre une tendance à la hausse en Chine continentale et constitue désormais presque la principale force du marché.

Les musées chinois aiment-ils collectionner les œuvres d’artistes occidentaux ? Ces artistes suscitent-ils un intérêt chez les collectionneurs chinois ?

ARAA : Les Musées d’art privés en Chine ont commencé à collectionner des œuvres d’art occidentales et sont en train de compléter leurs collections. On trouve notamment dans ces collections des artistes occidentaux tels que Paul GAUGUIN, Pablo PICASSO, Amedeo MODIGLIANI, Giorgio MORANDI, Mark ROTHKO, René MAGRITTE, Gerhard RICHTER, Francis BACON, David HOCKNEY, Jonas WOOD, ainsi que l’artiste scandinave auteur d’installations Olafur ELIASSON. Ces artistes occidentaux sont tous prisés par les musées d’art privés en Chine et ils suscitent également l’intérêt des collectionneurs locaux. Le choix des collectionneurs, dont les goûts se diversifient, se porte sur les œuvres d’art moderne classiques, en particulier les œuvres impressionnistes. La proximité avec la culture et l’art occidentaux devient plus forte en Chine, notamment du fait de l’arrivée sur le marché d’une nouvelle génération de collectionneurs, nés à la fin des années 70 ou 80, qui ont reçu une meilleure éducation et qui, pour beaucoup, ont fait leurs études à l’étranger. D’autre part, des œuvres d’art occidentales classiques se sont fréquemment vendues à des prix très élevés ces dernières années, ce qui a incité les collectionneurs chinois à internationaliser leur vision et leur ambition concernant leurs collections.

Comment analysez-vous la politique de coopération stratégique mise en place dans la seconde moitié de l’année 2022 entre les maisons de ventes Yongle et Phillips ?

ARAA : Une alliance puissante permet de mutualiser ses ressources et développer son marché. C’est dans cette optique que Yongle et Phillips ont décidé de mettre en place cette collaboration. Ces dix dernières années, l’économie chinoise a connu un développement stable. Les jeunes collectionneurs, dont le nombre ne cesse de grandir en Chine continentale, montrent un intérêt notable pour les œuvres d’art contemporaines et les œuvres occidentales. La marge de développement de ce marché est considérable, c’est pourquoi il attire de nombreuses maisons de ventes étrangères qui viennent en Chine tester le marché de l’art. Phillips en fait partie.

Phillips possède une longue histoire. C’est une société forte, en particulier sur le marché de l’art américain et européen. Phillips connaît bien l’internationalisation des réseaux commerciaux et possède aussi un important portefeuille de collectionneurs internationaux. La société a fait officiellement son entrée sur le marché asiatique en 2015 et s’est établie à Shanghai en 2018. L’ouverture rapide du marché aux collectionneurs chinois est l’un de ses souhaits.

Yongle a toujours placé le marché étranger au centre de sa stratégie. Elle veille particulièrement à son internationalisation. Cette maison de ventes est déjà présente dans huit pays et a établi des bureaux dans dix grandes villes. Yongle connaît bien le milieu des enchères en Chine et est suivie par de nombreux collectionneurs chinois dont elle connaît les goûts. Elle fait aussi preuve d’une position prépondérante pour la vente aux enchères d’œuvres occidentales. C’est pourquoi cette coopération bilatérale produira assurément une synergie qui fera date dans ce secteur.

Comment interpréter le succès de la nouvelle maison de ventes Cuppar Auction ?

ARAA : À l’automne 2022, elle organisait quatre sessions avec 329 œuvres mises en vente, pour un montant total des transactions de 3 416 000 $ et un taux d’adjudication de 89%. Lorsque Cuppar International s’est hissée sur la scène des ventes de Fine Art en Chine, ses résultats se sont avérés étonnants. On peut dire que Cuppar a très bien démarré !

Le groupe Cuppar International est plutôt jeune. Ses membres sont tous nés dans les années 80 ou 90. Pourtant, leur expérience dans le domaine commercial est très riche, notamment en ce qui concerne les membres principaux qui possèdent plus de dix années d’expérience. Le rajeunissement de l’âge du groupe entraîne une diversification de la valeur des œuvres mises en vente, ce qui permet un renouvellement et insuffle une nouvelle dynamique. Le groupe a le goût du challenge.

En outre, Cuppar accorde une grande importance à l’expérience du collectionneur et s’efforce d’explorer de nouvelles frontières, en particulier grâce à de nouvelles technologies et méthodes de présentation, telles que des catalogues électroniques adaptés à une consultation sur mobile, des enchères en direct et en simultané, un tout nouvel écran géant pour les ventes in situ, une diffusion en direct d’enchères panoramiques, des expositions curatées avant les ventes.

Cuppar s’engage dans l’internationalisation et se distingue par la diversité des œuvres présentées. Elle fait notamment le choix audacieux d’introduire sur le marché du Fine Art en Chine des œuvres d’artistes contemporains internationaux rarement présents sur le marché national et trace ainsi sa propre route en évitant d’entrer en compétition avec les autres maisons de ventes locales.

Pouvez-vous nous parler un peu de cette explosion soudaine en 2022 des résultats d’adjudications pour les jeunes artistes tels que KAO Yu (1981), SUN Hao (1980) ou encore YAN Bing (1980)?

ARAA : Après l’établissement d’un marché fort de nombreuses années d’expérience, les artistes post 80’s en Chine se sont installés sur le marché de manière plus stable. La quantité des œuvres ainsi que le nombre de collectionneurs n’ont cessé d’augmenter et, cette année, les prix pour ces artistes connaissent une nouvelle hausse. Cela insuffle un nouvel élan pour le développement durable du marché de l’art. L’arrivée sur le marché de jeunes collectionneurs a constitué un atout de taille pour la croissance du marché de l’art post 80’s en Chine.

KAO Yu est l’artiste le plus intéressant parmi les artistes chinois post 80’s. En 2012, il a créé le quadriptyque Fang Chuan (Arrêtez le déluge). C’est l’artiste qui détient aujourd’hui le record de la plus haute enchère, avec 630 790$ en juillet 2022 à Canton. Pour cette peinture, KAO Yu a utilisé plusieurs styles et images symboliques distinctes afin de recréer le thème traditionnel de Yu le Grand contrôlant les eaux. Il s’est inspiré des classiques traditionnels pour refléter de manière subtile la réalité sociale. Cette œuvre fait également partie des œuvres de KAO Yu réalisées à partir de la sérigraphie et constitue un vrai challenge en termes de technique artistique.

L’œuvre Wan Shui Qian Shan (Landscape) de SUN Hao a été adjugée chez China Guardian Auctions pour la somme de 1,2 m$ en juin 2022, soit la plus haute enchère enregistrée pour l’artiste. SUN Hao compte parmi les jeunes artistes contemporains qui travaillent à l’encre et il commence à faire l’objet de toutes les attentions depuis quelques années. Ses encres lui permettent de mettre en valeur le fort pouvoir suggestif du médium. Il ne cesse de se remettre en question afin d’en enrichir les capacités expressives et explore le mélange de la tradition et de la contemporanéité de la peinture à l’encre.

YAN Bing est l’un des artistes post 80’s en vogue actuellement. Son œuvre Wu Tou Niu Zhi Wu (Cowhide) a ouvert les enchères internationales de l’été 2022 par une vente à 463 000 $, un record pour l’artiste. Elle est issue d’une série créée par l’artiste en 2011 avec du cuir de bœuf. YAN Bing met en valeur la sensation de proximité avec l’animal et, grâce au réalisme du cuir de bœuf et à son indescriptible dessin à base de points, il illustre la relation entre réalisme et abstraction. Les œuvres de YAN Bing se maintiennent toujours à un niveau élevé. Leur style est relativement simple et elles recèlent une importante force émotionnelle. Il occupe une place à part dans le Marché de l’Art.

SUN-Hao-1980-Landscape-2019

SUN Hao (1980)
Landscape (2019). Dessin, 280 x 800 cm
1,2m$, China Guardian Auctions Co., Ltd., 29 juin 2022