Des collections extraordinaires

La dispersion d’une grande collection, qui souvent bouleverse l’ordre des records, est toujours un moment fort dans l’histoire du Marché de l’Art mondial. Ainsi, les maisons de ventes n’hésitent pas à prendre des risques pour s’en voir confier, notamment en garantissant les œuvres, c’est-à-dire en s’engageant financièrement auprès du vendeur.

Disperser une collection aussi importante que celle constituée par Paul Allen, Macklowe ou Hubert de Givenchy est une prise de risque indéniable. C’est aussi une chance immense de présenter à la fois des créations de qualité exceptionnelle et un ensemble d’œuvres constitué, porteur lui-même d’une histoire remarquable. Or, l’histoire d’une œuvre joue toujours un rôle important dans la réaction du marché. Plus la provenance est emblématique, plus le marché est enclin à passer de nouveaux caps de prix. C’est d’ailleurs grâce à quelques collections privées de premier plan que le Marché de l’Art hors Chine obtient cette année son record de 12,6Mrd$.

L’un des faits les plus marquants de l’année repose sur six ventes supérieures à 100m$ : du jamais vu. Or, toutes ces œuvres proviennent de deux collections prestigieuses dispersées par Christie’s : cinq de la collection de Paul Allen et une de celle de Thomas et Doris Ammann. Leur vente est un véritable événement pour le marché mondial des enchères, en cumulant pas moins de 809m$, soit plus que le produit des ventes annuel de l’Allemagne, l’Italie et le Japon réunis, trois pays parmi les dix plus actifs du marché.

Christie’s doit 41% de son résultat à trois collections

Christie’s, société de ventes contrôlée par la holding Artémis, du milliardaire français François Pinault, réalise l’année la plus fructueuse de son histoire grâce à la dispersion de plusieurs collections américaines exceptionnelles. Le 9, puis le 13 mai, l’ensemble d’œuvres réunies par Thomas et Doris Ammann rapporte 414m$, dont un prix spectaculaire de 195m$ pour Shot sage blue Marilyn《枪击玛丽莲（鼠尾草蓝色）》 d’Andy WARHOL. Puis, la collection d’Anne H. Bass atteint 363m$, y compris un tableau de Mark ROTHKO vendu 66,8m$. En novembre, Christie’s réalise la première vente à plus d’un milliard de dollars avec la collection de Paul Allen. Ensemble, ces trois collections pèsent 41% du produit des ventes aux enchères mondial de Christie’s pour le Fine Art (2,4Mrd$ sur 5,8Mrd$).

Revenons ici sur la collection de Paul Allen qui, en dépassant allègrement le milliard, tourne une nouvelle page de l’histoire des enchères.
Dans l’histoire contemporaine, Paul Allen (1953-2018) est incontournable pour avoir donné naissance à Microsoft avec Bill Gates en 1975. Collectionneur extrêmement bien conseillé, il a réuni plus de 150 chefs-d’œuvre de la Renaissance à l’Art Contemporain, sous les signatures des plus grands artistes de l’histoire dont MONET, MANET, BRUEGHEL LE JEUNE, KLIMT ou RICHTER.

Selon Guillaume Cerutti, Directeur Général de Christie’s, pour le New York Times, la vente de sa collection constitue “un événement majeur pour le Marché de l’Art et pour le monde de l’art”. Effectivement, cette vente a fait événement. Elle totalise 1,62Mrd$, dont cinq coups de marteau inédits à plus de 100 millions de dollars qui constituent de nouveaux records d’adjudication pour SEURAT, CÉZANNE, VAN GOGH, GAUGUIN et KLIMT.

Top 10 sessions de ventes aux enchères Fine Art et NFT en 2022

La Montagne Sainte-Victoire de CÉZANNE : exemple d’une revalorisation de 100 millions de dollars liée au prestige de la provenance Paul Allen

Dans cette prestigieuse collection se trouve l’un des plus beaux exemples de La Montagne Sainte-Victoire《圣维克多山》 (1888-1890), une toile du père de la Modernité, Paul CÉZANNE. Elle est digne du musée d’Orsay tant par sa qualité que par son sujet, si marquant pour l’Histoire de l’Art. Paul Allen l’avait acquise pour 38,5m$ lors de la vente des œuvres du marchand d’art Heinz Berggruen par Phillips, De Pury & Luxembourg en 2001. Vingt-et-un ans plus tard, en novembre 2022, Christie’s la cède pour 137,79m$, soit près de 100 millions de dollars supplémentaires : un bon colossal qui ne s’explique pas seulement par l’évolution globale des seuils de prix entre les deux adjudications. Il est aussi dû à la rareté de l’œuvre, puisque les montagnes Sainte-Victoire de cet acabit ne sont plus en circulation, et à l’aura de la provenance Paul Allen.

Quelques jours plus tard, un autre tableau de CÉZANNE, Maisons au Chou, à Pontoise (vers 1881), acquis pour 6,7m$ en 2007, perdait de la valeur en partant pour 3,6m$ (le 17 novembre 2022, Christie’s New York). Si les plus grands collectionneurs sont prêts à ériger les plus belles œuvres de la modernité au sommet, ils ne s’en montrent pas moins prudents vis-à-vis d’œuvres moins emblématiques.

CÉZANNE ayant enfin dépassé le seuil des 100 millions, l’exploit pourrait se reproduire à condition qu’une autre œuvre de qualité muséale et de provenance significative arrive sur le marché. Ce pourrait être le cas, par exemple, si l’objet du précédent record du peintre revenait aux enchères : la toile Rideau, cruchon et compotier, vendue 60,5m$ sous le marteau de Sotheby’s en 1999. Cette toile provenait de la collection de John Hay Whitney (1904-1982), tour à tour ambassadeur des États-Unis au Royaume-Uni, éditeur du New York Herald Tribune, membre du conseil d’administration du Musée d’art moderne de New York, Président de la MoMA Film Library, puis du MoMA, à la suite de Nelson A. Rockefeller. À l’époque de sa vente chez Sotheby’s, il y a plus de 20 ans, l’incroyable qualité de ce tableau, couplée au prestige de son appartenance à Whitney, faisait littéralement flamber son prix, l’estimation haute annonçant 25 millions de moins que les 60,5m$ déboursés.

Sotheby’s avoisine aussi le milliard

La collection Paul Allen est au sommet des ventes de collections privées, mais la dispersion des deux autres collections parmi les plus fastes de l’histoire sont le fait de Sotheby’s. En premier lieu, on trouve l’admirable ensemble réuni par David et Peggy Rockefeller, dont la vente de 44 chefs-d’œuvre atteignait 676m$ en 2018. Arrive ensuite la dispersion de la collection Macklowe, dont les deux sessions de ventes ont cumulé 922m$ entre l’automne 2021 et le printemps 2022. Y figurent des œuvres très importantes, notamment de WARHOL, DE KOONING, ROTHKO et POLLOCK. Ce dernier emporte un nouveau record personnel à 61m$. Sotheby’s, qui avait apporté sa garantie à la totalité des lots de la session Macklowe de novembre 2021, enregistre alors le meilleur résultat de son histoire pour une vente de soirée, notamment grâce à la forte participation de collectionneurs asiatiques souhaitant acquérir des œuvres américaines de premier plan.