Une année pleine de records
Les sommets de l’année montrent une puissante demande pour les grandes signatures du XXème siècle. Des records souvent portés par une provenance prestigieuse ou une actualité forte, qui réveillent le Marché.
Sous le signe des Rockefeller
La collection de records obtenus lors de la Vente Rockefeller a lancé l’année. Le 8 mai, Christie’s ouvrait de manière spectaculaire les sessions new-yorkaises du printemps, avec la plus précieuse collection particulière vendue à ce jour : celle de David et Peggy Rockefeller. La “vente du siècle”, pour reprendre les mots de Christie’s, comprenait des chefs-d’oeuvre impressionnistes et modernes, dont cinq Monet, trois Picasso, autant de Vuillard et de Bonnard, deux Gauguin et deux Matisse. Le plus beau MONET, Nymphéas en fleur (c.1914-1917) s’est vendu pour 85m$ et l’Odalisque couchée aux magnolias (1923) de MATISSE pour 81m$. Les deux artistes renouvellent leurs records mais le clou de la vente portait sur un Picasso de 1905, Fillette à la corbeille fleurie. Vendu pour 115m$, ce rare jalon entre les périodes bleue et rose est désormais la neuvième meilleure enchère de tous les temps. L’œuvre avait été acquise autour du million de dollars à la fin des années 60′.
Claude Monet (1840-1926)
Nymphéas en fleur (c. 1914-1917)
Fastueux records américains
Six mois après la Vente Rockefeller, Christie’s proposait une autre collection majeure : celle de Barney Alec Ebsworth, l’une des plus importantes collections privées d’art américain du XXème siècle. Le lot phare était indéniablement Chop Suey《中餐厅(杂碎)》 (1929), considérée comme la plus importante toile d’Edward HOPPER en mains privées. Son résultat n’a pas démenti les attentes puisque l’oeuvre s’est envolée pour 91,8m$, doublant largement le précédent sommet de l’artiste (établi à 40,5m$ en 2013 pour East Wind Over Weehawken, Christie’s New York). Troisième meilleure adjudication de l’année, Chop Suey offre à Hopper la 16e place du Top 500 (120,1m$). La dispersion Ebsworth a engendré d’autres records, dont ceux de Willem de Kooning (Woman as Landscape, 69m$), Arshile Gorky (Good Afternoon, Mrs. Lincoln, 14m$) et Joseph Stella (Tree of My Life, au seuil des 6m$).
Un français se distingue dans cette collection essentiellement américaine : le sculpteur Gaston LACHAISE, dont le record a été établi à 3,7m$ au cours de cette même vente, pour Standing Woman [LF 92]. Les formes épanouies du modèle auront séduit autant que la provenance de l’oeuvre, car l’artiste n’avait jamais atteint le million auparavant.
L’artiste vivant le plus cher du monde
David HOCKNEY est devenu l’artiste vivant le plus cher du monde le 15 novembre chez Christie’s, avec Portrait of an Artist (Pool with Two Figures) 《艺术家肖像(泳池与两个人像)》, l’une des pièces phares de la grande rétrospective itinérante organisée en 2017-2018 par la Tate Britain à Londres, le Centre Pompidou à Paris et le Metropolitan à New York. Démarrant à 18m$, les enchères ont grimpé durant neuf minutes pour asseoir un record à 90,3m$. Ce double-portrait à la piscine enterre très largement le précédent sommet pour un artiste vivant, qui était détenu depuis cinq ans par le Balloon Dog (Orange) de Jeff Koons (58,4m$, Christie’s, 12 novembre 2013). Le lendemain de ce record, un sommet a été établi au seuil des 3m$ pour l’une de ses œuvres sur papier (Green Pool with Diving Board and Shadow (Paper Pool 3) (1978), Christie’s New York). Fort de la quatrième meilleure adjudication 2018, David Hockney se hisse à la sixième place du classement mondial, avec 206,5m$ de résultat annuel (contre 38m$ pour Jeff Koons).
Indice des prix de David Hockney
Succès des Anglaises
Hockney n’est pas le seul Britannique à se démarquer. Les Anglaises sont également très en vogue sur le Marché de l’Art. Jenny SAVILLE se distingue particulièrement en devenant la plasticienne vivante la plus chère du monde. Son nouveau record est d’autant plus remarquable qu’il passe pour la première fois le seuil des 10m$, avec Propped, considérée comme la meilleure œuvre de l’artiste jamais soumise aux enchères et partie pour 12,5m$ le 5 octobre chez Sotheby’s à Londres. Le prix de ses œuvres s’explique par la rareté de l’offre : seules 41 peintures sont passées aux enchères en 20 ans.
Autre figure féminine majeure, l’anglaise Cecily BROWN renouvelle ses trois meilleures adjudications, dont un record établi à 6,7m$ pour Suddenly Last Summer (Sotheby’s New York, 16 mai 2018). Vendue pour la première fois chez Gagosian en 2000, cette toile avait ensuite été acquise pour 1.082.500$ en mai 2010 (Sotheby’s New York). Sa valeur, qui a été multipliée par six en seulement huit ans, témoigne de la revalorisation en cours des artistes femmes, revalorisation que l’on constate aussi sur le plan institutionnel.
Deux surréalistes au sommet
L’impact positif de l’exposition “Magritte. La trahison des images”, organisée au Centre Pompidou à Paris puis à la Schirn Kunsthalle Frankfurt, en Allemagne (2016-2017) se fait encore sentir. Après trois résultats supérieurs à 10m$ obtenus en 2017, René MAGRITTE passe un nouveau cap. Son record affiche désormais 26,8m$ pour “Le Principe du plaisir”, une toile de 1937 dont Sotheby’s attendait, au mieux, 20m$ le 12 novembre. Sept collectionneurs ont enchéri sur ce tableau. Magritte n’est pourtant pas le surréaliste le plus performant du Marché, devancé par Joan Miro (127,4m$ vs 78,7m$).
La plus belle envolée
Portés par une forte demande, les prix s’envolent parfois bien au-delà des estimations. C’est le cas pour les très beaux Picasso en Occident, comme pour les exceptionnels Zhang Daqian en Chine. L’une des plus belles envolées de prix revient au japonais Tsuguharu FOUJITA : payée au prix record de 9,3m$, La Fête d’anniversaire (1949) a multiplié par huit l’estimation basse fournie par Bonhams le 11 octobre. Marquant le cinquantenaire de sa mort, l’année 2018 a été plus fructueuse que jamais pour Foujita, avec 31,7m$ d’oeuvres vendues.
Top 10 envolées de prix en 2018 (sélection)
Artiste | Œuvre | Prix | Estimation | Vente | |
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1 | Tsuguharu FOUJITA (1886-1968) | La fête d’anniversaire 《生日飨宴》 (1949) | 9.366.687 $ | 1.188.000 $ – 1.716.000 $ | 11/10/2018 Bonhams Londres |
2 | Lucas I CRANACH (1472-1553) | Portrait of John Frederick I, Elector of Saxony (1503-1554), half-length (1503-1554) | 7.737.500 $ | 1.000.000 $ – 2.000.000 $ | 19/04/2018 Christie’s New York |
3 | Armand SÉGUIN (1869-1904) | Les délices de la vie 《生活之乐》 (c.1892-1893) | 7.737.500 $ | 1.000.000 $ – 1.500.000 $ | 08/05/2018 Christie’s New York |
4 | Franz MARC (1880-1916) | Drei Pferde (1912) | 20.345.193 $ | 3.298.000 $ – 4.617.500 $ | 20/06/2018 Christie’s Londres |
5 | Pablo PICASSO (1881-1973) | Tête (étude pour Nu à la draperie) 《頭像(帷幔前的裸女習作)》 (1907) | 6.050.000 $ | 1.000.000 $ – 1.500.000 $ | 08/05/2018 Christie’s New York |
6 | ZHANG Daqian (1899-1983) | Water and Sky Gazing After Rain in Splashed Color 《卷去青霭望水天》 (1968) | 6.550.400 $ | 1.200.000 $ – 1.800.000 $ | 22/03/2018 Sotheby’s New York |
7 | LI Keran (1907-1989) | Landscape (秋山图) (1963) | 13.878.660 $ | 2.715.400 $ – 4.224.000 $ | 04/07/2018 Treasure Auction Canton |
8 | HUANG Zhou (1925-1997) | The prairie hymn (草原颂歌图) (1977) | 5.938.690 $ | 1.163.700 $ – 1.454.700 $ | 07/12/2018 Poly International Pékin |
9 | ZHU Da (1626-1705) | Plum (墨梅图) (1690) | 5.358.989 $ | 1.087.300 $ – 1.553.300 $ | 18/06/2018 China Guardian Pékin |
10 | ZHOU Chunya (1955) | Chinese tone (山石图) (1992) | 6.743.740 $ | 1.389.000 $ – 1.852.000$ | 19/06/2018 China Guardian Pékin |
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Un rare tableau de Lucas I CRANACH (l’Ancien) a lui aussi fait l’objet d’une intense bataille d’enchères. Attendu entre 1 et 2m$ le 19 avril chez Christie’s à New York, il a été prisé à 7,7m$. Ce portrait de John Frederick I s’inscrit dans la douloureuse histoire des spoliations nazies. Les héritiers de Fritz et Louise Gutmann, propriétaires du Cranach pendant la guerre, ont tout fait pour retrouver l’oeuvre pendant deux générations. Ces années de recherches ont finalement abouties avec l’aide du département de restitution d’oeuvres d’art de Christie’s.
Lucas Cranach I (1472-1553)
Portrait of John Frederick I