Les ventes “chocs”
Tandis que la technologie est en train de bouleverser le Marché de l’Art (certification blockchain, intelligence artificielle, destruction en pleine vente), les valeurs sûres continuent d’engendrer les plus extraordinaires plus-values, mais aussi quelques déceptions.
Une plus-value de 130m$
Lors de leur première exposition à Paris, les nus de MODIGLIANI furent jugés obscènes par un commissaire de police logé en face de la galerie Berthe Weill où ils étaient accrochés. Ils sont aujourd’hui recherchés par les plus grands musées du monde. L’un d’entre eux, Nu couché (sur le côté gauche) (1917) était à l’affiche d’une exposition entièrement dédiée aux nus de l’artiste à la Tate Modern, entre novembre 2017 et avril 2018. Un mois après cette retentissante exposition, Sotheby’s était en charge de réactualiser le prix du chef-d’oeuvre selon la loi du plus offrant. Déjà vendu pour 26,8m$ en novembre 2003 chez Christie’s à New York, Nu couché (sur le côté gauche) atteignait 157,1m$ chez Sotheby’s, gagnant 130m$ en 15 ans et signant la meilleure adjudication de l’année 2018.
C’est la deuxième fois que Modigliani passe le seuil des 100 m$ aux enchères : en novembre 2015, chez Christie’s, le milliardaire chinois Liu Yiqian emportait un autre Nu couché emblématique au prix record de 170m$. Un “bijou” pour son fastueux musée privé : le Long Museum à Shanghai.
Amedeo Modigliani (1884-1920)
Nu couché (sur le côté gauche) (1917)
Comment contrer les faussaires ?
L’oeuvre de Modigliani est au cœur d’un scandale : 20 toiles du peintre, parmi une cinquantaine exposées au Palais Ducal de Gênes entre mars et juillet 2017, ont été déclarées comme des faux grossiers. L’affaire a relancé le débat sur l’authenticité des œuvres présentes dans les grandes collections privées et muséales, notamment en France où toutes les œuvres de Modigliani sont actuellement passées au crible. Le pedigree d’une œuvre n’est donc pas, aujourd’hui, une garantie totale…
L’application de la technologie Blockchain au Marché de l’Art pourrait sonner le glas des archives fantaisistes et des escroqueries. Cette technologie de stockage et de transmission d’informations est réputée inviolable. En novembre 2018, Christie’s fut la première grande société d’enchères à appliquer cette technologie, s’associant à Artory, une plateforme blockchain spécialisée dans l’art. Chaque œuvre a été vendue accompagnée d’un certificat d’authenticité crypté contenant des informations sécurisées et infalsifiables.
Une vente “Banksée”
L’artiste anonyme le plus célèbre du monde, BANKSY, a joué un coup de maître. En direct de la salle londonienne de Sotheby’s, le 5 octobre, son oeuvre Girl With Balloon (2006) qui venait de se vendre au prix fort de 1,4m$ – s’est auto-détruite face à la salle et aux caméras. Il s’agit d’un happening savamment préparé, puisque l’artiste avait dissimulé une broyeuse dans le cadre de l’oeuvre pour pouvoir l’activer à distance le moment venu. Cette vente marque un grand moment dans l’histoire du Marché, s’agissant de la première oeuvre piégée aux enchères. Par sa destruction programmée, Girl With Balloon est devenue un jalon, ce qui lui confère une indéniable plus-value. C’est l’idée défendue par Alex Branczik, à la tête du département d’art contemporain de Sotheby’s, et par l’acheteur qui ne s’est pas désisté face à l’oeuvre en lambeaux. Banksy renforce sa popularité et reste l’un des artistes les plus demandés de notre époque : il est le 15ème artiste le plus vendu du monde (nombre de lots vendus en progression de +208% sur la décennie).
Évolution du produit des ventes de Banksy
L’intelligence artificielle a déjà la cote
Le 26 octobre 2018, Christie’s vendait à New York la première oeuvre intégralement conçue par un programme d’intelligence artificielle (IA). Intitulée Edmond de Belamy, de “La famille de Belamy”, l’oeuvre porte pour signature une partie du code algorithmique qui l’a produite. S’agissant d’une première dans l’histoire des enchères, le lot estimé entre 7.000 et 10.000$ a fait l’objet de folles surenchères: il a atteint 432.500$, près de 45 fois son estimation haute.
Edmond de Belamy est la première œuvre du collectif OBVIOUS, composé de trois jeunes français, amis depuis l’enfance, dont un ingénieur, un entrepreneur et un artiste. Leur travail a débuté avec la découverte des réseaux de neurones artificiels (GANs), un système capable de produire des images sans aucune intervention humaine. Produit de la machine et non de l’homme, le Comte de Belamy réveille le souvenir d’une certaine roue de bicyclette, exposée il y a plus d’un siècle par Marcel Duchamp…
Quelques grandes déceptions
Au-delà des records, chaque année apporte son lot de déceptions. Parmi les œuvres contemporaines importantes n’ayant pas trouvé acheteur: une sculpture emblématique de Jeff Koons, Cracked Egg (Blue) pour laquelle Christie’s espérait entre 13m$ et 19m$, ou une toile de Gerhard Richter, estimée entre 15 et 23m$. Plusieurs artistes “stars” de l’Art Contemporain affichent ainsi des chiffres en berne après des progressions rapides et spectaculaires. C’est le cas pour Adrian Ghenie, Mark Grotjahn et Ai Weiwei, dont les performances accusent de fortes baisses par rapport à 2017 (respectivement en chute de -58%, -62% et -83%).
Top 10 œuvres non vendues en 2018 (sélection)
Artiste | Œuvre | Estimation | Vente | |
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1 | Pablo PICASSO (1881-1973) | Femme au chat assise dans un fauteuil 《抱着猫的女子坐像》 (1964) | 22.000.000 $ – 28.000.000 $ | 15/05/2018 Christie’s New York |
2 | Alberto GIACOMETTI (1901-1966) | Le chat 《猫》 (1951) | 20.000.000 $ – 30.000.000 $ | 14/05/2018 Sotheby’s New York |
3 | Gerhard RICHTER (1932) | Schädel (Skull) (1983) | 15.612.500 $ – 23.418.700 $ | 04/10/2018 Christie’s Londres |
4 | Clyfford STILL (1904-1980) | PH-916 (1946-No. 1) (1946-1947) | 15.000.000 $ – 20.000.000 $ | 17/05/2018 Christie’s New York |
5 | Jeff KOONS (1955) | Cracked Egg (Blue) (1994-2006) | 13.010.400 $ – 19.515.600 $ | 04/10/2018 Christie’s Londres |
6 | Gerhard RICHTER (1932) | Abstraktes Bild (811-2) (1994) | 120.000.00 $ – 18.000.000 $ | 17/05/2018 Phillips New York |
7 | Pablo PICASSO (1881-1973) | Femme au chien (1953) | 12.000.000 $ – 18.000.000 $ | 14/05/2018 Sotheby’s New York |
8 | Sigmar POLKE (1941-2010) | Stadtbild II (City Painting II) (1968) | 12.000.000 $ – 18.000.000 $ | 17/05/2018 Phillips New York |
9 | Joan MIRO (1893-1983) | Peinture (1933) | 10.534.800 $ – 15.802.200 $ | 19/06/2018 Sotheby’s Londres |
10 | Alberto BURRI (1915-1995) | Grande legno e rosso (1957-1959) | 10.000.000 $ – 15.000.000 $ | 15/11/2018 Phillips New York |
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La déception peut aussi atteindre les grands modernes et les maîtres anciens. Une importante toile de Peter Paul RUBENS représentant Clara Serena, la soeur de l’artiste, fut ravalée chez Christie’s le 5 juillet. La veille pourtant, un autre Rubens partait chez Sotheby’s pour près de 7,2m$, deux millions de plus que son estimation haute. Il est vrai que le portrait d’aristocrate était plus abouti que celui de Clara Serena. Il avait de plus bénéficié d’un puissant coup de communication, étant exposé avec 15 autres chefs-d’œuvre dans la boutique londonienne de Victoria Beckham sur Dover Street avant sa mise en vente. Un art du teasing visiblement efficace.
Peter Paul Rubens (1577-1640)
Portrait of Clara Serena, the artist’s daughter