Engouement pour le Street Art

Sur le marché des enchères, la popularité d’un artiste se mesure à l’aune du nombre de ses œuvres vendues. Or, quatre signatures issues du Street Art émergent parmi les 10 artistes les plus vendus au monde. Le succès commercial de Keith Haring, Shepard Fairey, Banksy et Kaws révèle une tendance forte chez les collectionneurs, asseyant le Street Art comme l’un des secteurs les plus dynamiques du marché de l’art actuel.

Top 20 des artistes contemporains par nombre de lots vendus 2016/2017

Artiste Lots vendus Produit de ventes
1 Takashi MURAKAMI (1962) 373 8.059.701$
2 Keith HARING (1958-1990) 350 34.823.067$
3 Shepard FAIREY (1970) 343 952.518$
4 BANKSY (1974) 279 6.042.397$
5 Damien HIRST (1965) 268 30.071.188$
6 Yoshitomo NARA (1959) 223 35.878.411$
7 Günther FÖRG (1952-2013) 171 9.055.465$
8 Philippe PASQUA (1965) 168 718.670$
9 KAWS (1974) 150 6.273.765$
10 Robert COMBAS (1957) 146 2.440.123$
11 William KENTRIDGE (1955) 121 5.185.884$
12 Peter HOWSON (1958) 121 800.981$
13 Renato Natale CHIESA (1947) 119 126.444$
14 Deborah HALPERN (1957) 118 99.270$
15 Hiroshi SUGIMOTO (1948) 109 2.236.209$
16 James RIZZI (1950-2011) 107 172.733$
17 David BROMLEY (1960) 102 211.066$
18 Norman Clive CATHERINE (1949) 101 518.412$
19 Robert MAPPLETHORPE (1946-1989) 99 2.892.296$
20 Jean-Michel BASQUIAT (1960-1988) 98 313.520.830$
©artprice.com

Énergique et inventif, populaire et médiatique, le Street Art séduit un nombre grandissant de collectionneurs. S’ils sont – ou ont été – actifs dans le tissu urbain, les artistes issus de cette tendance se sont adaptés au commerce de l’art, comme le commerce de l’art s’est adapté à eux. Sur des morceaux de palissades ou sur des toiles traditionnelles, leurs œuvres circulent aussi bien sur les réseaux sociaux que dans les galeries et les salles de ventes.

L’engouement s’avère manifeste pour toute une nouvelle génération d’artistes: les graffeurs brésiliens OSGEMEOS (Otávio et Gustavo Pandolfo) montent en puissance avec un nouveau record remporté chez Phillips (310.000$, Untitled, 22 novembre 2016, New York); KAWS multiplie les résultats à six chiffres jusqu’à Hong Kong (410.000$ pour Seated Companion, le 28 mai 2017 chez Phillips Hong Kong); son ami Barry MCGEE passe les 100.000$ en France après New York et Londres ; Shepard FAIREY (dit Obey) a multiplié par deux son produit de ventes annuel depuis sa médiatisation lors de l’élection de Barack Obama en 2012…

Ces succès commerciaux récompensent un art dans l’air du temps, un art dont les pionniers, Jean-Michel Basquiat et Keith Haring, furent graffeurs dans le métro new-yorkais avant de rejoindre les plus grandes collections.

Impossible de parler de Street Art sans évoquer Jean-Michel BASQUIAT. L’artiste contemporain le plus coté du monde est aussi l’emblème de la vitalité créative d’une époque. Ses rencontres, ses soutiens au cœur du vibrionnant et affairiste New York des années 80, la brièveté et l’intensité de sa vie ont participé à asseoir la puissance d’une œuvre dont l’offre est forcément restreinte. Avant de mourir par overdose à l’âge de 27 ans, l’artiste avait produit environ 800 toiles et 1.500 dessins, des œuvres aujourd’hui demandées par tous les grands collectionneurs et musées.

La demande restant supérieure à l’offre pour les meilleures œuvres, les prix se mesurent autant à l’aune du désir des plus puissants acheteurs de la planète qu’à leurs moyens colossaux. Seuls les collectionneurs les plus riches sont en mesure d’accéder à des chefs-d’œuvre valorisés plusieurs dizaines de millions de dollars. Les musées publics occidentaux n’ont plus les moyens de s’offrir de telles pièces, y compris le prestigieux MoMA de New York, qui a loupé le coche en omettant d’acheter d’importantes œuvres de Basquiat avant que les prix ne flambent. C’est l’un des grands écueils de cette honorable institution.

Les chefs-d’œuvre gagnent aujourd’hui d’autres collections, dont celle de l’homme d’affaires japonais Yusaku Maezawa préparant activement l’ouverture de son musée de Chiba. Rappelons que le 18 mai 2017, il a été à l’origine d’un véritable coup d’éclat en permettant à une œuvre de Basquiat de passer pour la première fois le seuil des 100m$ aux enchères. Déterminé à acquérir Untitled (1982) proposée par Sotheby’s New York, il a déboursé près de 110,5m$, pour cette toile valorisée 20.900$ en 1984… Revendue 5.300 fois ce montant 33 ans plus tard, cette œuvre hisse Basquiat dans le cercle restreint des artistes vendus plus de 100m$ aux enchères. Il sont maintenant sept: Picasso, Modigliani, Bacon, Giacometti, Munch, Warhol et Basquiat, le seul artiste contemporain de la liste.

Basquiat s’impose comme l’artiste le plus important du marché contemporain, devant tous les autres, fort d’un produit de ventes annuel de 313,5m$.

L’engouement autour du Street Art doit beaucoup à Basquiat, comme à BANKSY, dont l’hypermédiatisation ouvrait une brèche il y a 10 ans. Le phénomène Banksy a permis au Street Art de gagner en popularité et de s’imposer comme l’un des nouveaux segments profitables du marché, même si, après une folle ascension du prix de ses œuvres (dont deux adjudications millionnaires en 2008), la correction a été sévère et les décotes importantes. Si la Banksymania s’est considérablement essoufflée en salles (les recettes annuelles ont été divisées par deux depuis le pic de 2008), l’artiste reste médiatique. Il diffuse massivement son œuvre via de nombreuses estampes accessibles pour quelques centaines de dollars, soignant l’art de rester populaire.

Cette année, Banksy se retrouve légèrement devancé par KAWS, 35ème artiste mondial avec 6,2m$ d’œuvres vendues. Suscitant aussi bien l’intérêt avec des grandes sculptures régulièrement vendues plus de 400.000$ qu’avec des petites figurines accessibles pour moins de 200$ (édition de 1.000), Kaws a vu son volume d’affaires quasiment doubler en l’espace de deux ans.

De New York à Hong Kong, Basquiat, Haring, Banksy, Kaws, JR sont intégrés aux catalogues traditionnels d’Art Contemporain; mais en France, les sociétés de ventes Artcurial, Tajan, Aguttes ou Leclere consacrent des ventes dédiées au Street Art pour répondre à l’engouement. Leader dans ce domaine, Artcurial (qui enregistre 54% d’acheteurs étrangers sur ce secteur) fêtait les 10 ans de sa spécialité en octobre 2016 avec une première vente organisée à Hong Kong autour de la BD et du Street Art (From Paris to Hong Kong). Se vendait notamment une œuvre de l’artiste français le plus en vue du moment: JR (The wrinkles of the city – Oeil n°10, collage sur palissade, 37.000$). Récompensé par le TED prize en 2011, soutenu par la galerie Emmanuel Perrotin, récemment exposé à la Tate Modern de Londres, à la Biennale de Venise, au Musée de la photographie d’Amsterdam (FOAM) et aux Rencontres d’Arles, JR est un artiste particulièrement en vogue, apprécié des collectionneurs comme du grand public. Son résultat annuel atteint 207.000$, à quelques milliers de dollars seulement du Top 500 mondial.

Effet de mode et d’entraînement, soutien de la part de galeries internationales, structuration du marché aux enchères, le Street Art est une tendance forte impliquant divers profils de collectionneurs, modestes comme très aisés. Les récentes évolutions du secteur, notamment du côté de l’Asie, laissent envisager un intéressant potentiel de développement.