Asie, le Marché pivote vers l’Est
Après une année 2020 extrêmement contrainte, la Chine, Hong Kong et Taïwan, surperforment: le milliard d’œuvres contemporaines vendues en 12 mois représente 40% du volume d’affaires mondial… Le marché asiatique devient donc la première plaque tournante de l’Art Contemporain, pour les artistes asiatiques certes, mais aussi pour un grand nombre d’occidentaux. Ce phénomène nouveau témoigne d’un marché toujours plus solide et actif à l’Est du planisphère.
Distribution géographique du produit des ventes d’Art Contemporain (2020/21)
Hong Kong passe à la vitesse supérieure
L’activité n’a jamais été aussi forte à Hong Kong et les résultats des maisons de ventes s’en ressentent: ils sont exceptionnels. Le taux d’invendus y est le plus faible du monde, 10% seulement contre une moyenne mondiale de 30%. Hong Kong est aussi championne annuelle du marché haut de gamme, avec 129 œuvres contemporaines millionnaires, six de plus qu’aux États-Unis.
Les catalogues des ventes hongkongaises n’avaient jamais été aussi bien fournis en œuvres américaines majeures, y compris sous une signature aussi stratégique que celle de Jean-Michel BASQUIAT, qui pèse à lui seul 14% du Marché de l’Art Contemporain mondial. Trois toiles remarquables de cet artiste ont dépassé cette année à Hong Kong les 35m$ chacune. Nouvelle place forte pour la vente des plus beaux Basquiat, Hong Kong fait désormais le bonheur des collectionneurs asiatiques, friands de cette signature. Alors que Londres et New York représentaient plus de 90% du résultat de l’artiste avant 2020, Hong Kong pèse désormais plus du tiers (36% au S1 2021).
Les cartes du marché sont aussi rebattues pour l’artiste américain Richard PRINCE, dont le record n’est plus new-yorkais. Il a été révisé à Hong Kong à hauteur de 12,1m$, pour Runaway Nurse, lors de la très médiatique vente de Sotheby’s curatée par le “Roi de la Mandopop”, Jay Chou (18 juin). L’inquiétante nurse gagne 2,4m$ par rapport à 2016, où elle se vendait à New York, jusqu’alors plaque tournante des œuvres de Prince.
Ces réussites ne sont ni des coups de chance, ni des cas isolés. Elles résultent notamment du dynamisme de Christie’s, Sotheby’s et Phillips qui, au fil des années, ont ouvert le marché hongkongais aux grandes signatures occidentales. Les trois sociétés recueillent aujourd’hui les fruits d’un travail de fond mené pour diversifier les ventes et les collections asiatiques. Par ailleurs, les efforts mis en œuvre ces derniers mois pour organiser des ventes prestigieuses en distanciel ont permis de décloisonner un peu plus la géographie du Marché de l’Art. Retransmises en direct, le nouveau format des ventes de prestige abolit totalement les frontières et met en concurrence les collectionneurs du monde entier.
La montée en puissance de Hong Kong se traduit aussi par la confirmation de jeunes “prodiges” qui, jusqu’il y a quelques mois seulement, ne prenaient leur envol que depuis New York, éventuellement depuis Londres, mais jamais depuis Hong Kong. C’est un grand virage pour le Marché de l’Art Contemporain.
L’île rivalise désormais totalement sur ce terrain avec les meilleures places de marché occidentales. C’est à Hong Kong que le suisse Nicolas PARTY, la pakistanaise Salman TOOR, le ghanéen Amoako BOAFO, la nigériane Toyin Ojih ODUTOLA, les américaines Avery SINGER, Loie HOLLOWELL, Emily Mae SMITH, et bien d’autres encore, ont enregistré leurs nouveaux records au cours des derniers mois. En présentant les œuvres des mêmes artistes à la fois en Occident et en Orient, les grandes maisons de ventes anglo-saxonnes consolident et accélèrent le marché de ces jeunes stars contemporaines.
Forte de ces récents succès, Christie’s prévoit d’accélérer le rythme de ses ventes à Hong Kong et de déménager dans un nouveau siège social luxueux conçu par Zaha Hadid. Une façon de se tourner vers l’avenir sachant que, chez Christie’s, la moitié des acheteurs de la génération Y sont basés en Asie.
Phillips a opéré quant à elle une “collaboration historique” avec la société chinoise Poly International, quatrième maison de ventes mondiale, pour optimiser ses ventes. Leur session conjointe de juin 2021 signe un taux de fréquentation record (800 enchérisseurs en ligne), des records d’enchères établis pour 17 artistes et, surtout, 86% des lots vendus au-dessus des estimations hautes.
Les 90,4m$ d’œuvres vendues ces 7 et 8 juin n’auraient pas pu être atteints si Phillips avait officié en solo. Sa collaboration avec Poly lui a permis d’élargir considérablement sa portée auprès d’une clientèle d’Asie très en demande. Les moyens libérés par les collectionneurs asiatiques sur cette vente ont été colossaux au regard des premières estimations et des mises des collectionneurs occidentaux, qui ont pourtant été nombreux à jouer le jeu. Au final, 86% des lots proposés dans cette vente de juin ont été achetés par des clients asiatiques.
Désormais, le modèle hongkongais s’exporte dans d’autres pays de la région, dont la Corée du Sud et le Japon. Séoul et Tokyo s’affirment à leur tour comme des hotspots du Marché de l’Art. Autour de leurs grands artistes nationaux, ces deux marchés contribuent à faire émerger toute une nouvelle génération de stars, conduite par Nicolas Party, Ayako Rokkaku ou encore Mr Doodle.
Top 5 des maisons de ventes en Asie (produits des ventes d’Art Contemporain 2020/21)
Le marché hongkongais est capital pour les trois premières maisons de ventes mondiales: Phillips y enregistre le quart de son produit de ventes pour l’Art Contemporain, Christie’s 33% et Sotheby’s jusqu’à 38%. Elles mettent tout en œuvre pour accélérer leur croissance sur ce marché dans les années à venir.
Top 3 des artistes contemporains par produits des ventes aux enchères en Asie (2020/21)
Le triumvirat du marché asiatique
La surprise de l’année tient à l’apparition d’un artiste occidental sur le socle du marché asiatique: les grands collectionneurs d’Asie peuvent dorénavant enchérir sur les plus beaux BASQUIAT depuis Hong Kong et ne s’en privent pas… Le 23 mars 2021, un acheteur asiatique a fait monter le prix de Warrior (1982) jusqu’à 41,6m$, établissant un record pour une œuvre contemporaine vendue en Asie (Christie’s Hong Kong). Avec 118,2m$ d’œuvres vendues sur le territoire en 12 mois, le marché de Basquiat est profondément renouvelé, le tiers de son produit des ventes provenant désormais de la “Perle d’Orient”.
L’hégémonie de Yoshitomo NARA était plus attendue. L’artiste japonais le plus apprécié de sa génération est un incontournable du marché asiatique. Il s’y classe comme le contemporain le plus performant selon un produit des ventes dépassant les 137m$. Les œuvres les plus importantes sont réservées à Hong Kong, où se joue 80% de son résultat. Nara s’impose également comme le troisième poids lourd du Marché de l’Art Contemporain mondial (derrière Basquiat et Banksy), dont il pèse désormais 5% du produit des ventes. Le prix de ses œuvres a doublé en deux ans et le renouvellement d’adjudications à plus de 10m$ maintient l’artiste à un niveau de prix bien supérieur à celui de sa compatriote Yayoi Kusama. Un succès reflétant l’importance de l’esthétique Manga dans les grandes collections.
LIU Ye suscite un intérêt croissant. Divers solo shows l’ont bien implanté dans le paysage visuel asiatique et occidental. Ses œuvres ont intégré des collections privées et institutionnelles du monde entier (Chine, Allemagne, Suisse, États-Unis…) et il est encore plus recherché par de sérieux collectionneurs depuis qu’il a rejoint la galerie internationale David Zwirner en 2019. Une trentaine de ses toiles ont dépassé le million aux enchères après l’annonce de cette collaboration, l’artiste passant le cap des 10m$, quelques mois après le premier solo show organisé par Zwirner à New York (Bamboo bamboo broadway (竹子 竹子 百老汇), 12,6m$, Poly International, Pékin, 4 juin 2021). Souvent associé à son homologue japonais Yoshitomo Nara, Liu Ye n’a certainement pas achevé son ascension. Seul problème pour les collectionneurs: les toiles sont rares (environ 350 réalisées en 30 ans) et la compétition est rude.