Eco-responsabilité du Marché de l’art : L’Art Digital peut-il être vert ?

[03/06/2022]

Le monde de l’art prend tardivement, mais résolument ses responsabilités en matière d’environnement. Voici la dernière partie de cette série sur les enjeux écologiques futurs et la place du second marché dans une approche du commerce plus respectueuse de l’environnement. Après un premier volet sur les initiatives mises en place par le monde de l’art, le deuxième mettait en valeur les artistes engagés pour l’environnement. En guise de conclusion, tournons-nous vers les promesses d’un marché de l’art numérique plus vert !

« Le digital a un impact sur le climat, les ressources, sans compter ses dimensions sociales, mais il peut être limité si l’on applique des règles de Green IT sur le choix des logiciels ou des serveurs », Alice Audouin

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Chris Precht, Isolation. L’architecte a abandonné son projet de vendre des des NFT en raison de l’impact environnemental des jetons numériques.

2020-2021 : la pandémie impose un coup d’arrêt brutal aux rassemblements en tout genre. Foires, institutions et galeries multiplient les online et viewing rooms où le visiteur découvre les œuvres de manière virtuelle. Les maisons de vente, confrontées à des salles des ventes vides, misent massivement sur le online, plus ou moins développé selon la taille des opérateurs et les pays. Les sites internet se réactualisent en même temps qu’ils deviennent plus performants pour proposer des expositions virtuelles en 3D, multiplier les interviews et conférences et développer des images en très haute définition permettant d’accéder à l’œuvre dans les moindres détails. Finalement, les sociétés de ventes améliorent considérablement l’expérience d’achat en ligne et font un énorme bond dans le futur.

Le challenge du tout-numérique

Notre rapport Artprice 2020 rappelait que les enchères online sont la nouvelle norme. De nombreux acheteurs avaient déjà pour habitude d’enchérir en distanciel, mais les connexions explosent dès le premier confinement, avec une audience plus large, plus jeune et l’arrivée de nouveaux enchérisseurs. Les salles de ventes renoncent à la traditionnelle trêve estivale et maintiennent désormais toute l’année leur activité grâce au numérique : les ventes en ligne ne s’arrêtent plus durant l’été, avec 121 000 lots Fine Art adjugés sur le troisième trimestre 2021. Si les confinements ont réduit les émissions de gaz à effet de serre, le basculement numérique n’est pas sans impact sur la planète. Plus une activité digitale fait appel à une quantité importante de données, plus elle coûte cher en énergie. Même si les émissions de CO2 du e-commerce de l’Art sont moins importantes que celles des salles des ventes physiques, l’activité digitale a une empreinte écologique dont les différents acteurs, de l’artiste au commissaire-priseur en passant par le collectionneur, commencent à prendre de plus en plus conscience.

Dans une tribune d’Art of Change, Alice Audouin enfonce le clou : l’impact carbone du monde numérique représentera 9% des émissions de gaz à effet de serre en 2025. Certains acteurs du second marché rendent publiques leurs stratégies pour faire avancer les choses : favoriser un hébergeur alimenté en énergies renouvelables, utiliser des moteurs de recherche ou des services de messageries plus verts, passer son site internet en fond noir pour économiser de l’énergie, utiliser des logiciels libres… AI Weiwei, pour son film Coronation a utilisé des images déjà existantes : cela allège les archives digitales et limite l’impact énergétique. Les possibilités sont nombreuses et accessibles au plus grand nombre. L’engagement environnemental est devenu un véritable facteur de réassurance pour l’acheteur, surtout la jeune génération, native du langage numérique et très sensibilisée aux questions sociétales et environnementales.

La digitalisation du marché de l’art est donc déjà en soi un challenge. Avec l’irruption des NFT dans nos vies numériques, les programmes de durabilité des pratiques doivent se renforcer encore et leur mise en application s’accélérer.

La révolution NFT en vert ?

Preuve de la popularité de ce nouveau phénomène, « NFT » a été élu par le Collins English Dictionnary comme mot de l’année 2021. En 2021, d’illustres inconnus pour les collectionneurs traditionnels, mais célèbres depuis plusieurs années dans la sphère crypto ont été propulsés dans le Top 500 mondial des artistes les plus performants : BEEPLE (98,5m$) en prend la 19e place devant René MAGRITTE, suivi par LARVA LABS (51e) ou PAK (113e devant Henri MATISSE).

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Alors que l’art numérique NFT est en plein essor, devenant l’un des sujets les plus discutés dans le monde de l’art, il soulève la question de son coût environnemental. La création de chaque NFT implique un certain nombre de transactions, et il a été suggéré qu’éditer 100 œuvres crypto « coûtait » plus de 10 tonnes de CO2, soit plus que l’empreinte annuelle d’une personne vivant dans l’Union Européenne. Or, au-delà des NFT vendus à des sommes astronomiques en salle des ventes ou sur des plate-formes spécialisées type OpenSea, des milliers de jetons non-fongibles sont produits chaque jour. Stocker un NFT n’est pas énergivore en soi. Ce sont les conditions de création et de cession qui le sont. Pour un acheteur NFT soucieux de l’environnement, il faut comprendre les différences entre les blockchains afin de pouvoir rechercher des réseaux plus durables.

Au cœur de la blockchain

Bitcoin, Ethereum, Monero ou encore ZCash : ces crypto-monnaies sont les plus connues parmi des milliers existantes. La plupart des NFT utilisent la blockchain Ethereum pour certifier la propriété d’un actif. Lorsqu’une personne achète un NFT, elle envoie le montant en Ether à la place de marché pour opérer la transaction. La demande est diffusée sur le réseau de mineurs et traitée sous la forme d’une cryptographie mathématique complexe, c’est la validation. Actuellement les blockchains utilisent principalement le protocole « PoW » (Proof of Work) : plusieurs mineurs collectent ces problèmes mathématiques et tentent de les résoudre. Le premier qui y arrive, montre le résultat de son travail (PoW) et obtient une récompense en crypto-monnaie. Étant donné qu’un seul mineur sera récompensé pour un bloc de transactions scellées, tous les autres ordinateurs essayant aussi d’obtenir la rémunération auront travaillé pour rien. Ils auront tous consommé de l’énergie mais en réalité, un seul ordinateur aura résolu l’équation pour sécuriser la transaction. La solution de la cryptographie est ajoutée au bloc suivant, créant une blockchain qui sert de registre public de toutes les transactions. Une fois qu’une transaction est ajoutée à cette chaîne, il est impossible de l’inverser ou de la modifier.

A l’origine, un ordinateur relativement simple suffisait à résoudre ces équations. Une partie du problème environnemental réside dans le fait que la valeur croissante des crypto-monnaies a rapidement fait des émules. Comme la complexité des calculs de minage s’ajuste au nombre de machines essayant de les résoudre, les ordinateurs doivent à présent être des machines de guerre pour absorber _ et résoudre en premier _ les calculs. Or, logiquement, plus un ordinateur est puissant, plus il consomme de l’électricité. Sachant que les plus gros mineurs sont des fermes de minage de centaines de machines, qui tirent leur puissance d’énergies fossiles, et que la production de tels appareils n’est pas exactement exemplaire en termes de protection environnementale, les NFT ont une mauvaise réputation écologique. La durabilité devient donc de plus en plus un critère central pour l’avenir de l’industrie de la blockchain.

Minage écolo : les solutions

Une première réponse évidente pour corriger les chiffres des émissions de carbone engendrées par l’industrie de la crypto-monnaie, est d’opérer une transition vers les énergies renouvelables. En 2021, moins de 40% des bitcoins vérifiés par PoW étaient minés à l’aide d’énergies renouvelables. C’est pourquoi de nombreuses startups ont émergé avec différentes propositions pour combler cette lacune. Le but est d’optimiser la rentabilité des fermes de minage et de s’implanter dans des zones géographiques où l’offre en électricité est supérieure à la demande (États-Unis ou Kazakhstan par exemple, mais pas en Chine, où le gouvernement a banni les activités de minage sur son territoire en octobre 2021). De plus en plus, avec la hausse du prix des énergies fossiles, ces entreprises se tournent vers les énergies renouvelables issues de centrales hydroélectriques au Canada, ou géothermique en Islande et au Salvador. Les solutions de stockage d’énergie n’étant pour des raisons techniques pas optimales et très coûteuses, l’arrivée de ces industriels représente une manne financière en même temps qu’un moyen de vendre une production qui aurait sinon été perdue. L’application de crédits carbone d’État pour les sociétés minières de crypto-monnaies pourrait également les amener à acheter des crédits carbone à d’autres sociétés, aidant à compenser la quantité d’émissions créées dans le monde, ou à passer à une énergie plus verte afin de vendre leurs propres crédits.

Les crypto-monnaies vertes émergentes reposent sur de nouveaux protocoles qui réduisent l’empreinte carbone de la technologie blockchain. C’est le cas d’Ethereum2, qui prévoit de réduire sa consommation d’énergie de 99,95% en s’appuyant sur le mécanisme Proof-of-Stake (PoS), un système déjà utilisé par d’autres crypto-monnaies spécialement tournées vers les NFT et les blockchain comme Algorand, Cardano ou Solana. Dans ce cadre, les mineurs avancent une petite quantité de crypto-monnaies pour accéder à une bourse aux transactions qui leurs sont attribuées. Cela réduit le risque qu’ils approuvent des transactions frauduleuses, tout en éliminant l’élément informatique concurrentiel de la preuve de travail, permettant à chaque machine de travailler sur un problème différent et d’optimiser l’énergie consommée. Tezos, blockchain montante pour les NFT, s’est tourné vers « la délégation de preuve d’enjeu » (Delegated Proof of Stake, DPoS) où des utilisateurs délèguent leurs monnaies à des validateurs.

Beeple, Ocean Front

Beeple, Ocean Front

En tout cas, les acteurs du monde des NFT ont bien saisi l’enjeu de publiciser les efforts de la filière pour devenir plus verte ! Au prix parfois de contradictions ironiques. En mars 2021, avait lieu la vente aux enchères caritative de NFT « # CarbonDrop » sur la plate-forme NiftyGateway. Huit artistes parmi lesquels FVCKRENDER, Beeple, GMUNK, Sara LUDY ou Refik ANADOL avaient fait don de leurs œuvres. Le crypto-entrepreneur Justin Sun a allègrement versé 6m$ à lui tout seul pour acheter Ocean Front de Beeple. Les 6,6m$ ont été utilisés pour financer Open Earth Foundation, une organisation américaine à but non lucratif, qui vise à développer des outils permettant de suivre de manière transparente les progrès mondiaux sur l’Accord de Paris. L’événement avait un paradoxe clair, en soutenant la recherche sur le changement climatique, tout en étant supporté par la plate-forme basée sur Ethereum de NiftyGateway. Pour compenser, CarbonDrop a innové en rattachant des NFT de crédits carbone aux NFT de l’art.

L’industrie du crypto-art est confrontée à cet enjeu d’un commerce plus durable et plus respectueux de l’environnement depuis quelques années. Elle ne peut plus faire l’impasse sur des décisions et actions radicales afin d’être en conformité avec ce que les artistes et collectionneurs attendent désormais. C’est dans ce contexte que des professionnels du secteur veulent mettre au point un accord mondial de réduction de l’empreinte carbone des crypto-monnaies. Le Crypto Climate Accord doit fixer des objectifs très ambitieux : une transition vers les énergies renouvelables d’ici 2030 pour toutes les blockchains et une empreinte carbone nette réduite à 0 d’ici 2040. Jusqu’à présent, plus de 200 entreprises, blockchains et individus associés au secteur de la cryptographie, de l’énergie et de la technologie ont adhéré au Crypto Climate Accord. La prochaine conférence sur le changement climatique (COP27) devrait mettre au premier plan les solutions durables de l’e-commerce de l’art.