Art d’Après-Guerre, la grande entrée des États-Unis dans l’Histoire de l’Art

(Art d’Après-Guerre : artistes nés entre 1920 et 1945)

En 2019 comme en 2018, ZAO Wou-Ki est l’artiste le plus performant du monde pour la période d’Après-Guerre. Mais les plus belles progressions sont enregistrées par des peintres américains. Portés par leur propre marché, ils sont de plus en plus nombreux à atteindre le seuil de prix réservé à l’élite : le nombre croissant de toiles qui dépassent les 10m$ atteste de la prédominance des États-Unis dans l’Histoire de l’Art depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Top 10 records pour les artistes d’Après-Guerre en 2019

Artiste Œuvre Prix ($) Vente
1 Robert RAUSCHENBERG Buffalo II (1964) 88.805.000 15 mai Christie’s New York
2 Ed RUSCHA Hurting the Word Radio #2 (1964) 52.485.000 13 nov. Christie’s New York
3 Frank STELLA Point of Pines (1959) 28.082.500 15 mai Christie’s New York
4 Brice MARDEN Number Two (1983/84) 10.920.600 14 nov. Sotheby’s New York
5 Ellsworth KELLY Red Curve VII (1982) 9.809.000 13 nov. Christie’s New York
6 Wayne THIEBAUD Encased Cakes (2011) 8.464.800 14 nov. Sotheby’s New York
7 ZHOU Yansheng Spring (2016) 8.141.700 11 août Holly Int. Canton
8 Yayoi KUSAMA Interminable Net #4 (1959) 7.953.200 1 avr. Sotheby’s Hong Kong
9 Alex KATZ Blue Umbrella I (1972) 4.151.400 2 oct. Phillips Londres
10 Ruth ASAWA Untitled (S.387) (c.1955) 4.095.000 14 nov. Christie’s New York
© Artprice.com © AMMA

Le rêve américain

En 2018, les enchères s’étaient enflammées pour une longue série d’expressionnistes abstraits : Willem de Kooning (69m$), Robert Diebenkorn (24m$), Joan Mitchell (17m$), Arshile Gorky (14m$), Robert Motherwell (13m$), Helen Frankenthaler (3m$), etc. En 2019, Philip GUSTON et Lee KRASNER ont enregistré à leur tour un nouveau record personnel à 26m$ et 12m$. Mais c’est vers le Pop Art que retourne à présent la tendance. En commençant par celui qui fait le mieux le lien avec l’Expressionnisme Abstrait, Robert RAUSCHENBERG.

Dans les années 1960, les États-Unis s’affirment comme la première puissance de la planète, et même au-delà puisque en 1969 le drapeau américain flotte sur la Lune. C’est une période faste que Robert Rauschenberg célèbre avec Buffalo II (1964), une toile-collage dans laquelle se mêlent un portrait de John Kennedy, une tête de pygargue, des images de conquête spatiale et de guerre du Vietnam. Exposée à la Biennale de Venise en 1964, vendue l’année suivante par Leo Castelli à New York, Buffalo II est apparue pour la première fois sur le second marché en 2019, deux ans après la rétrospective Rauschenberg au MoMA. Cette oeuvre a récolté la cinquième plus belle enchère de tous les temps pour un artiste américain, 88,8m$.

Beaucoup de grands collectionneurs ont grandi et prospéré dans cette Amérique de l’Après-Guerre. Ils ont fait fortune dans le pétrole, les médias ou les transports. Comment pourraient-ils ne pas être sensibles à l’œuvre d’Ed RUSCHA qui élève la culture américaine au rang de symbole ? Ses tableaux prennent pour sujets des choses mais qui touchent au Rêve américain : les pompes à essence, les billboards, le cinéma, etc.

 Ed Ruscha - Mocha Standard (1969) - Ed. 70/100

Ed Ruscha – Mocha Standard (1969) – Ed. 70/100
168.750$ – 17 février 2019 – Los Angeles Modern Auction

La toile Hurting the Word Radio #2 (1964), dont la valeur a atteint 52m$, concentre toutes les caractéristiques du Pop Art : des lignes franches, des aplats de couleurs chatoyantes et une référence directe à la culture populaire. Cette esthétique est celle vers laquelle reviennent de nombreux artistes au XXIème siècle (voir le mouvement HI-LITE dans le chapitre Art Contemporain).

Alex KATZ fournit un autre exemple particulièrement clair de cet engouement, puisque ses six meilleurs résultats ont tous été enregistrés en 2019, pour des œuvres réalisées dans les années 1970 et 1980. Dark Glasses (1989) est la seule de ces six toiles à être déjà passée aux enchères. En novembre 1999, Sotheby’s l’avait vendue pour 85.000$ à New York; 20 ans plus tard, la même maison de ventes l’a laissée partir pour 1.220.000$.

Indice des prix d’Alex Katz et Tom Wesselmann – Base 100 en janvier 2000

 Indice des prix d’Alex Katz et Tom Wesselmann - Base 100 en janvier 2000

Minimalisme, Land Art et Estates

Le Minimalisme retrouve lui aussi les préférences de grands collectionneurs. Un Square de Carl ANDRE a frôlé les 3m$, Blue (1960) de Kenneth Noland a été vendu 3,5m$, Red Curve VII (1982) d’Ellsworth Kelly a frôlé les 10m$ et Point of Pines (1959) de Frank Stella a culminé à 28m$. Cette tendance devrait se poursuivre, en profitant de la programmation des grands musées. En mars 2020, le MoMA ouvrira une rétrospective Donald JUDD et le Centre Pompidou une exposition consacrée à CHRISTO et Jeanne-Claude.

De même, le nombre croissant de fondations et de parcs dédiés à la sculpture pourrait redonner de la visibilité à des mouvements comme le Land Art. Déjà Larry Gagosian s’intéresse de près au travail de deux artistes intimement liés à ce mouvement, Michael HEIZER et Walter DE MARIA. En salles des ventes, ce sont surtout les dessins préparatoires et les estampes qui circulent, car le Land Art se prête mal aux échanges. De temps à autres, une belle pièce peut toutefois être mise en vente; ce fut le cas cette année de Double Nonsite, California and Nevada (1968-1969) de Robert Smithson. En 1998, cette installation avait été adjugée 266.500$, mais sa valeur dépasse à présent 1,8m$.

Adam Sheffer, président de l’Art Dealers Association of America, confiait en 2017 à The Art Newspaper “Les collectionneurs et les marchands cherchent des travaux qui présentent un mérite artistique historique et qui n’ont pas encore atteint leur plein potentiel sur le marché”. Ce phénomène s’est encore accentué au cours des deux dernières années et la concurrence s’est notamment durcie entre les galeries pour représenter des artistes de l’Après-Guerre :

  • Hauser & Wirth : Günther Förg, Eva Hesse
  • Gagosian : Simon Hantaï, Tom Wesselmann, Franz West
  • David Zwirner : Diane Arbus, Joan Mitchell
  • Perrotin : Georges Mathieu

 

James Turrell - Afrum (from: First Light) (1989) – Ed. 30

James Turrell – Afrum (from: First Light) (1989) – Ed. 30
12.000$ – 2 juin 2018 – Lempertz

Frénésie asiatique et constance européenne

Avec 232m$ cumulés en douze mois, Zao Wou-Ki surpasse tous les grands noms de l’Après-Guerre, même la superstar américaine Andy Warhol. Le peintre franco-chinois termine 3ème dans le classement Artprice 2019, derrière Picasso et Monet. La force de son marché repose d’abord sur la très bonne santé de Hong Kong, qui tient 76% de son chiffre d’affaires. Tout en gardant des attaches fortes avec la France (9%), son marché s’étend désormais à la Chine continentale (8%) ainsi qu’à Taipei (6%), tandis que Londres et New York représentent moins d’1% de son marché.

C’est à Hong Kong également que l’artiste japonaise Yayoi KUSAMA a été couronnée d’une vente à 8m$ pour Interminable Net #4 (1959). Les 700 oeuvres vendues cette année, pour un prix moyen de 140.000$, font de Kusama l’artiste femme la plus performante du monde, toutes périodes de création confondues. Mais Gerhard RICHTER et David HOCKNEY engrangent plus de 130m$ chacun et restent donc les artistes vivants les plus performants du Marché de l’Art. Le premier compte 25 résultats supérieurs à 1m$, le second 12, mais un sommet à 49,5m$.

Répartition géographique du produit de ventes de Yayoi Kusama en 2019

Répartition géographique du produit de ventes de Yayoi Kusama en 2019

 

La cote de nombreux artistes européens de l’Après-Guerre continue de progresser, bien que les prix restent de façon générale inférieurs à ceux de leurs homologues américains.

Du côté autrichien et allemand, des produits de ventes records sont enregistrés pour Günther FÖRG (12,5m$), Imi KNOEBEL (4,8m$), Arnulf RAINER (3,3m$) et Hermann NITSCH (1,9m$). Du côté français, la dispersion de la collection LALANNE a totalisé plus de 100m$ chez Sotheby’s et trois Camouflages d’Alain JACQUET ont dépassé les 300.000$ chacun, le 23 octobre à Paris.

C’est à New York cependant qu’à été frappé un nouveau record pour Daniel Buren : 2,2m$ pour Peinture aux formes indéfinies (1966). Ce résultat montre que la place de marché new-yorkaise joue un rôle déterminant dans le processus de reconnaissance internationale des artistes d’Après-Guerre et Contemporains, peu importe leur origine.