Géographie du Marché de l’Art Contemporain
Le ralentissement des principales places de marché mondiales tient à l’amoindrissement des adjudications millionnaires, soit à la plus petite part du marché.
L’infléchissement de -22% des transactions millionnaires affecte les principaux pôles de ventes, en premier lieu les antennes londoniennes et new-yorkaises de Christie’s et Sotheby’s, qui concentrent la majeure partie du marché haut de gamme mondial. Les produits de ventes américain (-19%) et britannique (-23%) affichent une contraction conjointe de 300 millions de dollars: un poids économique à la fois considérable et ne reposant, in fine, que sur une dizaine d’œuvres contemporaines ultra-cotées qui ont manqué à l’appel.
Les États-Unis et le Royaume-Uni dominent toujours très nettement les autres places du marché occidental. Tandis que les États-Unis conservent la première position avec 857 millions de dollars contre son milliard obtenu l’an dernier, le Royaume Uni affiche 376 millions contre 486 un an plus tôt. Ensemble, les deux pays représentent 54% des recettes mondiales d’Art Contemporain, quand ils pesaient 65% il y a 10 ans (avec des chiffres d’affaires deux fois moins importants) avant l’élargissement du marché en Asie.
Des performances chinoises maintenues, en partie grâce au dynamisme hongkongais
La Chine, avec Taïwan et surtout avec la dynamique Hong Kong, se maintient comme la seconde place de marché mondiale grâce à la vente de 744 millions d’œuvres contemporaines. Le résultat chinois n’est imputé que de -5% en comparaison de l’exercice 2021/2022, face aux -19% américains et aux -23% britanniques.
Le Marché de l’Art Contemporain chinois fait preuve d’une remarquable résilience après une baisse de -45% de son résultat au pic de la pandémie (2019/2020). Cette période de repli appartient bien au passé: la Chine a depuis doublé son produit de ventes d’Art Contemporain et affiche même un gain de +13% au-dessus du seuil de 2018/2019 (avec 85 millions supplémentaires).
Les avancées du marché chinois ne tiennent pas seulement aux cotes remarquables d’artistes comme ZENG Fanzhi, ZHOU Chunya, CHEN Yifei ou encore LIU Ye. Elles reposent aussi sur l’ouverture du marché aux grandes maisons de ventes étrangères et sur l’occidentalisation de l’offre elle-même. Pékin, épicentre du marché chinois il y a 10 ans avec une offre très nationaliste, est aujourd’hui déclassée par Hong Kong, où Christie’s, Sotheby’s et Phillips vendent très bien des sommités contemporaines internationales et des artistes émergents du monde entier. C’est de Hong Kong que proviennent les meilleures adjudications contemporaines de Chine cette année, soit trois résultats à plus de 10 millions de dollars (2022/2023) pour une toile de Jean-Michel BASQUIAT (Untitled, 1981, vendue 13,4m$ chez Poly Auction) et deux œuvres de Yoshitomo NARA (In the Milky Lake, 2012, vendue 12,8m$ chez Sotheby’s et Lookin’ for a Treasure, 1995, vendue 10,7m$ chez Phillips). Autre fait notable chez Sotheby’s, qui fêtait cette année son 50e anniversaire en Asie par une vente commémorative d’œuvres de maîtres orientaux et occidentaux: un record absolu de 7,9m$ obtenu pour une sculpture de l’artiste japonaise Yayoi KUSAMA, Pumpkin (L).
Hong Kong, qui rassemble plus du tiers des transactions d’Art Contemporain en Chine (39%) pour plus de la moitié du résultat chinois, creuse encore l’écart avec Londres. La puissance hongkongaise génère 414 millions de dollars, soit 45 millions de plus que Londres, pourtant deuxième pôle historique du Marché de l’Art Contemporain après New York. Si Hong Kong passe devant Londres en termes de volume d’affaires, la capitale britannique reste la ville la plus dynamique du monde quant au flux de ventes. C’est là qu’il se vend le plus grand nombre d’œuvres contemporaines aux enchères: plus de 8.000 contre 2.200 ventes enregistrées en 12 mois à Hong Kong.
Hong Kong est la deuxième ville la plus performante pour l’Art Contemporain. Elle devance aujourd’hui Londres de 45m$, bien qu’elle disperse presque quatre fois moins de lots.
Outre la Chine, deux autres pays asiatiques se classent dans le Top 10 de la géographie du Marché de l’Art Contemporain: le Japon avec 40m$ (-39%) et la Corée du Sud avec 21m$ (-68%). Malgré un ralentissement cette année, les marchés japonais et sud-coréen opèrent un formidable bond en avant de plus de +940% de produits des ventes à l’échelle de la décennie, ce qui démontre combien l’Asie est une terre d’engouement de plus en plus étendue pour l’Art Contemporain.
En 2022/2023, c’est à Singapour que le marché reprend son essor, avec un résultat en hausse de +460%, pour atteindre 9,3m$. Le réveil singapourien doit beaucoup au retour de Sotheby’s dans la cité-État insulaire. Après 15 ans d’absence, Sotheby’s Singapour met en exergue des artistes d’horizons très variés: LIU Ye, Christine AY TJOE, Jean-Michel BASQUIAT, I Nyoman MASRIADI, appliquant une recette qui a déjà fait ses preuves à Hong Kong.
Top 15 pays par produit des ventes aux enchères d’Art Contemporain (2022/2023)
Premier pays de l’Union européenne: le cas français
Quatre pays de l’UE comptent parmi les dix places fortes mondiales de la vente d’art contemporain: la France, l’Allemagne, l’Italie et la Pologne. Ensemble, ces pays réalisent un peu moins de 5% du volume d’affaires mondial, tandis qu’ils représentent 11% de l’ensemble du Fine Art.
L’Art Contemporain n’est pas, a priori, leur premier moteur, mais il constitue tout de même une ressource fondamentale pour certains pays: plus de 9% des produits des ventes Fine Art allemand et italien, et jusqu’à 17% du Marché de l’Art polonais. Côté britannique, le segment contemporain est une ressource majeure représentant le quart du produit des ventes aux enchères de Fine Art. L’enjeu est moindre en France, où l’art contemporain pèse seulement 6% du produit des ventes de Fine Art.
Le marché français doit ses performances Fine Art à ses signatures historiques, notamment ses artistes modernes et d’après-guerre demandés dans le monde entier. En revanche, les contemporains français sont peu nombreux à se hisser aux niveaux de prix des grands artistes internationaux: seuls dix français s’élèvent dans le classement des 500 contemporains les plus performants aux enchères, soit à peu près autant qu’en Belgique, mais deux fois moins qu’en Italie et trois fois moins qu’en Allemagne.
Les peintres contemporains les plus appréciés en France sont nettement moins cotés que leurs homologues américains, anglais ou chinois. L’amplitude est immense entre le célèbre Robert COMBAS, dont le record affiche 353.000$, et Keith HARING, auquel l’on compare parfois le style, qui culmine à 6,5m$ aux enchères.
Le peintre Gérard GAROUSTE se hisse cette année dans le Top 500 mondial avec un nouveau record personnel autour de 110.000$: un prix conséquent pour le marché français, mais bien en deçà de ce qu’il pourrait être si le marché américain s’intéressait à l’artiste, en se souvenant que le marchand américain Leo Castelli l’a exposé dans sa galerie dans les années 1980.
Les prix sont naturellement plus dynamiques lorsque les artistes s’exportent en-dehors des frontières européennes: plus américaine que française, Nicole EISENMAN est la seule à dépasser le million (record à 2,4m$ cette année pour Night Studio (2009), Sotheby’s New York. La jeune Claire TABOURET, qui vit et travaille à Los Angeles, affiche quant à elle de belles réussites sur les places de marché internationales, dont un record établi à 870.000$ lors d’une vente à New York en 2021 (Christie’s).
Les dix artistes français classés parmi les 500 artistes contemporains mondiaux (2022/2023)
À l’exception de Nicole EISENMAN, aucun artiste “contemporain” (soit né après 1945) né en France n’a encore atteint le million de dollars en salle des ventes, contrairement à nombre d’américains, de britanniques ou de chinois. Le décalage de cotes entre les artistes issus des premiers pôles de ventes et les artistes français explique le fossé qui existe entre les résultats annuels des ventes de ces pays. La France est bien la quatrième place de marché pour l’Art Contemporain, mais elle ne détient que 2% du résultat mondial avec ses 46,7m$ – contre 857m$ aux États-Unis, 744m$ en Chine et 376m$ au Royaume-Uni.
Les artistes français et l’ensemble des artistes de l’UE peinent à se mesurer à des artistes américains et chinois dominant la moitié du Top 500 mondial
Le marché français est porté par une passion pour l’art, ancrée dans sa culture, et par un esprit de découverte et de collection propre à ses énergiques acheteurs, qui ont absorbé 10 170 œuvres contemporaines cette année. La France assure ainsi 8% des transactions mondiales et s’impose, sur ce point, comme le troisième pays le plus dynamique face aux géants américains et britanniques.