L’art moderne africain est-il sous-évalué ?

[05/02/2025]

L’art moderne africain intrigue. Entre les sommets atteints par les stars contemporaines et les prix abordables de la majorité des artistes, il est difficile d’appréhender la valeur des œuvres proposées aux enchères.
Comment vous repérer sur le marché de l’art moderne africain ?
Découvrez les artistes qui dominent le marché et ceux dont le potentiel reste à exploiter.

Un article paru dans notre magazine partenaire Diptyk

Une aubaine pour les collectionneurs, mais jusqu’à quand ? Avec la montée en puissance d’expositions à travers le monde, dont Paris Noir, bientôt au Centre Pompidou, ce marché, encore en demi-sommeil, pourrait bien amorcer une dynamique nouvelle.

Sommaire

Stars du marché de l’art moderne africain : Ben Enwonwu en tête
Construction de cotes sur le long terme
Un avenir prometteur ?

 

Stars du marché de l’art moderne africain : Ben Enwonwu en tête

Sans conteste, le “père du modernisme nigérian”, Benedict Enwonwu, domine le marché de l’art africain moderne. Aux enchères, ses œuvres ont généré plus de 2,4 m$ en 2024, réalisant un bond spectaculaire par rapport aux moins de 900 000 $ annuels enregistrés il y a 10 ans.

Formé au Nigeria et au Royaume-Uni, Enwonwu a été maintes fois honoré de son vivant, notamment par l’Ordre national du mérite nigérian. Pourtant, ses œuvres valaient à peine 2 000 $ il y a 25 ans. Bonhams, précurseur dans la promotion de l’art africain moderne, a joué un rôle clé en obtenant ses premiers coups de marteau à six chiffres en mai 2013, suivis six mois plus tard par la maison de ventes ArtHouse Contemporary au Lagos.

L’année 2018 a marqué un autre tournant, avec la vente de Tutu, un portrait emblématique de la princesse yoruba Ife Adetutu Ademiluyi. Retrouvé après avoir disparu pendant plus de 30 ans, ce tableau a été vendu pour plus de 1,6 m$, soit quatre fois l’estimation initiale. Ce succès a été un symbole fort pour l’art moderne africain, prouvant sa capacité à rivaliser avec les grandes signatures internationales.

En 2024, Enwonwu continue de briller. La meilleure adjudication pour son travail avoisine les 600 000$, consolidant son rôle de leader du marché. Derrière lui, des artistes comme Farid Belkahia, Omar El Nagdi, Mohammed Melehi, Esther Mahlangu, Hamed Nada et Adam Henein enregistrent ensemble près de 3,4 m$ entre janvier et novembre.

Benedict Chukwukadibia ENWONWU (1921-1994) Study of a carved female head (1947). Aquarelle/papier, 37 x 27 cm Bonhams, Londres, 16/10/2024 : 7 500$

Benedict Chukwukadibia ENWONWU (1921-1994)
Study of a carved female head (1947). Aquarelle/papier, 37 x 27 cm
Bonhams, Londres, 16/10/2024 : 7 500$

 

Cependant, les écarts de prix sont frappants. Alors que les œuvres de Enwonwu culminent à six chiffres, celles d’Esther Mahlangu se vendent encore entre 1 000 et 5 000$ en moyenne. Cette accessibilité est aussi une aubaine qui a tendance à renforcer la demande : Esther MAHLANGU est d’ailleurs le moderne africain le plus vendu, avec une centaine d’adjudications annuelles, contre une dizaine d’œuvres vendues en moyenne pour les autres artistes.

Construction de cotes sur le long terme

Farid BELKAHIA, figure centrale de l’École de Casablanca, illustre à merveille la montée en puissance dont est capable l’art moderne africain. Réputé pour ses œuvres mêlant abstraction, artisanat et influences locales, Farid Belkahia est aujourd’hui l’un des artistes marocains les plus plébiscités aux enchères.

87 % de ses lots proposés à la vente ont trouvé preneur en 2024, un superbe taux de réussite, assorti de prix oscillant majoritairement entre 10 000 et 50 000 $. Mais certaines pièces exceptionnelles atteignent des sommets. En octobre 2024, une toile majeure, Arbre arc-en-ciel (1989), a été cédée pour 259 000 $, près de trois fois l’estimation haute, lors de la dispersion de la collection Dalloul chez Christie’s, à Londres.

Lire : Bonhams et Sotheby’s, deux sociétés engagées pour la cote de l’art africain [10/01/2020]

Avec des adjudications dépassant parfois les 300 000 $, Belkahia surpasse des artistes marocains comme Jilali Gharbaoui ou Meriem MEZIAN, bien que cette dernière ait établi un nouveau record en juin 2024 avec Femmes berbères (1977), vendue plus de 120 000 $ par la Compagnie Marocaine des Oeuvres et Objets d’Art à Casablanca (CMOOA).

Top 10 artistes africains nés entre 1920 et 1950 par produit des ventes aux enchères en 2024

Top 10 artistes africains nés entre 1920 et 1950 par produit des ventes aux enchères en 2024

Et sur le reste du continent ?

Sur la scène sénégalaise, Ousmane SOW s’impose comme une figure incontournable, avec des sculptures régulièrement plébiscitées à plusieurs centaines de milliers de dollars. Parmi ses contemporains, seuls Iba N’DIAYE et PAPA IBRA TALL ont réussi à franchir le cap des six chiffres.

En revanche, d’autres artistes comme Mbor Faye et Babacar Lo restent dans une fourchette plus modeste, leurs œuvres étant récemment adjugées pour moins de 2000 $. Du côté des artistes ivoiriens, le constat est plus réservé : ils peinent à trouver une place sur le second marché et affichent des cotes bien plus discrètes. Les œuvres de Georges Adingra, par exemple, se négocient difficilement entre 100 et 500 $, que ce soit en Europe ou aux États-Unis.

Femmes Berbères (1977). Huile/toile, 100 x 73 cm Estimation: 60 299 $ - 70 348 $. Vendue 121 600 $ : un record Compagnie Marocaine des Oeuvres & Objets d'Art, Casablanca, Maroc, 12/06/2024

Meriem MEZIAN (1930-2009)
Femmes Berbères (1977). Huile/toile, 100 x 73 cm
Estimation: 60 299 $ – 70 348 $. Vendue 121 600 $ : un record
Compagnie Marocaine des Oeuvres & Objets d’Art, Casablanca, Maroc, 12/06/2024

 

Un avenir prometteur ?

Malgré des avancées significatives, les prix des grandes figures modernes africaines évoluent à un rythme mesuré, bien loin des envolées spectaculaires observées dans l’art contemporain. La progression régulière et mesurée, dénuée de signes de spéculation, rassure sur la pérennité de la demande et la valeur future de ces œuvres.

Ibrahim EL SALAHI, figure de proue de l’École soudanaise de Khartoum et premier artiste africain à avoir bénéficié d’une rétrospective à la Tate Modern (2013), illustre parfaitement cette consolidation progressive. Ignoré par les enchères pendant de longues années, il voit l’une de ses œuvres se vendre pour la première fois aux enchères en 2016, soit trois ans après son exposition majeure à Londres.

Aujourd’hui, les créations d’Ibrahim El-Salahi se négocient généralement entre 20 000 et 50 000 $, des niveaux de prix raisonnables pour un artiste dont les œuvres figurent dans des collections prestigieuses comme celles du MoMA ou du Guggenheim Abu Dhabi. Sa cote, bien qu’évoluant doucement, s’affirme solidement : au cours des cinq dernières années, quatre de ses œuvres ont dépassé la barre des 50 000 $. Pour traquer les plus captivantes, rendez-vous chez Christie’s ou Bonhams à Londres, où se jouent souvent les acquisitions les plus stratégiques.

La Valeur de vos Collections

Selon le Africa Wealth Report 2023, le nombre de millionnaires africains pourrait croître de 42% dans la prochaine décennie. Ces personnes fortunées pourraient jouer un rôle crucial dans la valorisation des artistes historiques du continent en collectionnant plus ardemment.

De plus, la multiplication d’expositions consacrées à l’art africain dans des institutions africaines, européennes et américaines, à l’image de l’exposition “Paris noir” prévue au Centre Pompidou en 2025, pourrait réveiller le marché ronronnant de certains artistes.

Ces expositions, couplées à l’intérêt manifeste des grandes maisons de ventes internationales et à un engagement plus fort attendu de la part des collectionneurs locaux, peuvent renforcer le marché et revaloriser encore certaines signatures. Les bases sont posées pour que l’art moderne africain continue de gagner en visibilité et en valeur, inscrivant progressivement ses figures emblématiques parmi les incontournables du marché de l’art international.

Exposition “Paris noir”
19 mars-30 juin 2025, Centre Pompidou, Paris

Diptyk Magazine

 

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