Les évolutions géographiques du marché

Le Marché de l’Art est aujourd’hui globalisé avec des ventes live qui permettent aux maisons de ventes de s’adresser aux collectionneurs du monde entier sur un même événement. Bien que le monde entier puisse venir à soi, la carte du Marché de l’Art ne cesse pour autant de bouger, jusqu’à inverser parfois certains rapports de forces.

Londres de plus en plus concurrencée

À Londres, où se joue 96% du résultat britannique pour la vente d’œuvres d’art aux enchères, les principaux acteurs du marché – Christie’s, Sotheby’s et Phillips – voient leurs résultats s’étioler depuis quelques années. Le tassement à l’échelle de l’année 2023 (-16% du volume d’affaires) n’est pas inquiétant en soi, car conjoncturel et commun à plusieurs grandes places de marché, mais un retour sur les performances plus anciennes permet de mieux sentir la tendance générale.

Sur cinq ans, le résultat londonien s’affaisse de -35% et se voit même divisé par deux depuis son plus haut niveau (3,4Mrd$) en 2008, tandis qu’il tend à la hausse à Paris (antérieurement au Brexit) et qu’il triple à Hong Kong en quinze ans. La perte de vitesse de Londres vient du fait qu’elle n’est plus seulement en compétition avec New York pour disperser les œuvres de très belle stature. Elle l’est aussi de plus en plus avec Paris et Hong Kong.

Les collectionneurs asiatiques, notamment chinois, jouent un rôle important dans la vente des œuvres les plus cotées. Sotheby’s rapporte par exemple que 32% des collectionneurs ayant fait une offre pour des œuvres d’art dépassant le million de dollars au cours des cinq dernières années sont asiatiques, soit une part presque égale à celle des collectionneurs américains et légèrement supérieure à celle des européens. C’est par exemple auprès d’un collectionneur hongkongais qu’est allée la plus belle œuvre vendue à Londres cette année, La Femme à l’éventail, emportée à 108,39m$ par Patti Wong, pour le compte d’un collectionneur de Hong Kong.

Si Londres demeure une place de marché incontournable pour les très belles œuvres, notamment modernes et du 20e siècle, les principales maisons de ventes déploient de nombreux efforts ailleurs, modifiant ainsi le paysage du Marché de l’Art, surtout du côté de l’Asie.

Le pouvoir d’attraction de Hong Kong se confirme

Deuxième ville chinoise après Pékin, Hong Kong dépasse le milliard et demi de dollars annuel. Avec la levée des mesures contre la pandémie de la COVID-19 dans la ville, un regain d’énergie s’est répercuté sur les ventes de printemps : le résultat hongkongais bondit de +33,7% comparé à 2022, tiré par des très belles œuvres d’artistes d’origine chinoise comme ZHANG Daqian et SAN Yu et par des chefs-d’oeuvre occidentaux d’Amedeo MODIGLIANI, de Pablo PICASSO et de quelques ultra-contemporains.

Plusieurs sessions de ventes ont permis de rassembler des œuvres particulièrement désirables, notamment dans les sélections de Christie’s pour l’art des 20e et 21e siècles en mai et en novembre. L’un des bijoux de ces ventes est Femme nue sur un tapis de SAN Yu partie pour 24m$. L’œuvre s’inscrit désormais dans le Top 10 des adjudications de l’artiste. Une petite vente Post-Millennium (le 28 novembre), bien marketée en collaboration avec la Pop star taïwanaise Jay Chou, réunit 15,2m$, dont le tiers repose sur une toile du peintre Adrian GHENIE (Lidless Eye, 5,5m$) inspirée de l’emblématique Autoportrait de Vincent VAN GOGH. Très bien accueilli par les acheteurs asiatiques, l’artiste roumain doit son record personnel aux enchères, 10,3m$, à une vente opérée par Christie’s Hong Kong en 2022 (Pie Fight Interior 12, 2014).

La vente commémorant le 50e anniversaire de Sotheby’s en Asie cumule 85 millions dont 32m$ pour Pink Lotuses on Gold Screen  de ZHANG Daqian. C’est le troisième prix le plus élevé pour cet artiste aux enchères, les deux premiers étant également détenus par Sotheby’s. Un très beau Joan MIRÓ atteint un nouveau record pour l’artiste en Asie après une bataille d’enchères de près de 20 minutes et Yayoi KUSAMA signe son nouveau record mondial en sculpture à 7,9m$ (Pumpkin (L), 2014). D’autres résultats remarquables vont à des artistes femmes, Louise BONNET, Lucy BULL, Loie HOLLOWELL et Lynne Mapp DREXLER excédant largement les prévisions. L’autre moment fort de Sotheby’s Asie est la dispersion de la collection des milliardaires fondateurs du Long Museum de Shanghai, Liu Yiqian et Wang Wei. La session établit un record d’enchères pour MODIGLIANI en Asie (même si l’on attendait quelques millions de plus du superbe Portrait de Paulette Jourdain), tout en rassemblant le meilleur produit des ventes pour une collection privée vendue en Asie, avec 69,5 millions de dollars.

Sotheby’s est l’auctioneer le plus performant de Hong Kong où il réalise 14% (531m$) de son produit des ventes de Fine Art mondial, alors que Christie’s en obtient 11% (408m$). Si l’on ajoute l’activité en hausse de Phillips sur place, le résultat cumulé des trois sociétés d’enchères dépasse le milliard de dollars et rassemble 67,5% du Marché de l’Art hongkongais, devant les acteurs chinois principaux que sont China Guardian et Poly International.

Amedeo MODIGLIANI (1884-1920) Paulette Jourdain (1919)

Amedeo MODIGLIANI (1884-1920)
Paulette Jourdain (1919)
34,8m$, Sotheby’s Hong Kong, 5 octobre 2023

Troisième maison de ventes étrangères sur place, Phillips entre dans une nouvelle ère. Ayant inauguré au printemps son siège social asiatique à Hong Kong, elle devient une concurrente plus sérieuse dans la région. La société réalisait sa première vente aux enchères sur le marché asiatique en 2015 avant de s’établir à Shanghai en 2018 puis de mettre en place une coopération stratégique avec la maison de ventes chinoise Yongle en 2022, afin de mutualiser leurs ressources et de développer leurs marchés. Sa vente inaugurale d’art du 20e siècle et d’Art Contemporain dans son nouveau siège social de Hong Kong atteint 45 millions de dollars fin mars, marquant une augmentation de +65% par rapport à l’année précédente.

En mars, Phillips inaugure son nouveau siège social asiatique dans un superbe bâtiment de Hong Kong.

Aujourd’hui, Phillips doit 17,4% de son résultat mondial pour la vente d’œuvres d’art aux enchères (100m$) à son activité hongkongaise. Sa performance est déjà en légère progression (+6%) comparé à l’an dernier et la marge de développement pourrait être considérable. La société mise en effet sur le nombre croissant de jeunes collectionneurs (de Chine continentale ou de Hong Kong même), fortement intéressés par l’Art Contemporain dont elle s’est fait une spécialité.

Répartition géographique du produit des ventes aux enchères Fine Art et NFT de Sotheby’s, Christie’s et Phillips (2023)

Répartition géographique du produit des ventes aux enchères Fine Art et NFT de Sotheby’s, Christie’s et Phillips (2023)

 

Inde : la surprise de l’année

Le Marché de l’Art indien affiche une croissance relativement discrète à l’échelle internationale d’autant que l’accélération des ventes est essentiellement tirée par les grandes signatures indiennes du 20e siècle que sont Vasudeo S. GAITONDE, Sayed Haider RAZA et Tyeb MEHTA, tous récompensés par de nouvelles adjudications millionnaires cette année.

C’est pourtant une artiste femme, le trésor national Amrita SHER-GIL à la carrière courte mais dense (elle est décédée à l’âge de 28 ans), qui remporte le meilleur coup de marteau indien de l’année avec The Story teller (1937). Emportée à 7,4m$, la toile détrône un précédent record personnel obtenu à New York en 2015. Surtout, elle devient l’œuvre la plus chère du Marché de l’Art indien.

Top 10 artistes par produit des ventes aux enchères en Inde en 2023

Artiste Produit des ventes Lots vendus Lots invendus Prix maximal
1 Sayed Haider RAZA (1922-2016) 15 171 560 $ 49 0 6 258 650 $
2 Raja RAVI VARMA (1848-1906) 14 642 680 $ 8 0 5 286 830 $
3 Francis Newton SOUZA (1924-2002) 11 536 120 $ 70 5 4 172 430 $
4 Vasudeo S. GAITONDE (1924-2001) 8 550 860 $ 9 1 5 745 600 $
5 Tyeb MEHTA (1925-2009) 8 506 250 $ 7 1 3 573 910 $
6 Maqbool Fida HUSAIN (1915-2011) 7 947 630 $ 76 9 870 750 $
7 Amrita SHER-GIL (1913-1941) 7 872 830 $ 10 0 7 432 690 $
8 Akbar PADAMSEE (1928-2020) 6 745 790 $ 19 0 3 107 000 $
9 Ram KUMAR (1924-2018) 4 611 320 $ 74 1 595 650 $
10 Manjit BAWA (1941-2008) 3 591 990 $ 9 0 3 011 090 $
© Artprice

 

La vitalité du marché indien étonne sur d’autres points, notamment par son taux de réussite exceptionnel dépassant les 95% lorsque la moyenne mondiale des lots vendus affiche 62%. L’offre est contenue (moins de 2 200 lots cette année) mais parfaitement ajustée à une demande compétitive qui permet à l’Inde de tenir la septième place mondiale dans le classement des pays par chiffres d’affaires. Les 152 millions de dollars cumulés sur l’année constituent un bond de +76% comparé à 2022, qui était déjà une année record.

Amrita SHER-GIL (1913-1941) The Story teller (1937)

Amrita SHER-GIL (1913-1941)
The Story teller (1937)
7,4m$, Saffronart Bombay, 16 septembre 2023