Deuxième meilleure performance pour les artistes femmes
Bien que les femmes soient encore largement minoritaires parmi les artistes les plus valorisés, l’écart s’estompe comparé à leur quasi-invisibilité il y a tout juste dix ans. À l’époque, Joan MITCHELL était la seule femme du Top 50 mondial avec un résultat annuel deux fois et demi moindre que celui d’aujourd’hui. Cette année, cinq femmes figurent dans le Top 50 mondial grâce à de solides produits des ventes et, parfois, de nouveaux records personnels. Il s’agit de Yayoi KUSAMA (189,7m$), Joan MITCHELL (112,6m$), Georgia O’KEEFFE (56,2m$), Louise BOURGEOIS (50,2m$) et Cecily BROWN (46,6m$).
Les plus grandes artistes du 20e siècle sont ainsi en train de prendre la place qu’elles méritent sur le Marché de l’Art. Cette montée en puissance tient à la volonté manifeste des divers acteurs du marché de réajuster leurs prix. Ce gain de visibilité passe naturellement par l’inclusion d’un nombre croissant de leurs œuvres dans les catalogues de ventes. Sur ce point, les progrès ont été rapides, le nombre de transactions les concernant ayant doublé en l’espace de cinq ans et triplé en dix ans. Cette année, les œuvres d’artistes femmes vendues aux enchères atteignent un pic historique dans l’histoire du Marché de l’Art et cette dynamique ne semble pas prête à s’essouffler.
Le nombre de transactions pour les œuvres d’artistes femmes est plus important que jamais.
L’accroissement de la demande est manifeste sur tous les segments de prix y compris les plus prestigieux : le nombre d’œuvres millionnaires s’érige à 206 contre 80 en 2013, ce qui représente une croissance de +157% sur la décennie. Précisons aussi que cette montée en puissance des transactions millionnaires concerne uniquement les femmes car, sur la même période, les ventes de cette ampleur ralentissent pour les hommes (-24%).
Évolution du produit des ventes aux enchères pour les artistes femmes depuis 2000
La féminisation des catalogues de ventes et la hausse des prix des œuvres des femmes génèrent pour elles un produit des ventes annuel supérieur au milliard de dollars pour la troisième année consécutive. Le résultat de 1,3Mrd$ – qui constitue la deuxième meilleure performance après celle obtenue l’an dernier (1,32Mrd$) – indique que le marché des artistes femmes résiste malgré le ralentissement du marché global et qu’elles n’ont pas achevé leur hausse de prix. Un phénomène parmi les plus frappants est l’accélération phénoménale constatée juste après la crise de la COVID-19 : entre 2020 et 2021, le résultat annuel des femmes a réalisé un bond extraordinaire de +66%.
Des peintres historiques réévaluées
Les maisons de ventes, comme les musées, valorisent plus qu’auparavant les artistes femmes du passé, dans une volonté de réparer les oublis historiques. En 2019, le Musée des Beaux-Arts de Gand ouvrait sa grande exposition consacrée aux “Dames du Baroque. Femmes Peintres dans l’Italie du XVIe et XVIIe siècles“, dont l’aura s’est certainement répercutée sur Artemisia GENTILESCHI, immense artiste de l’époque qui obtenait alors 5,2m$ chez Artcurial, pour une Lucrèce au bord du suicide dans un jeu caravasque d’ombre et de lumière. Cette année, Artemisia remporte une autre adjudication importante : 2,36m$ pour une allégorie de la sculpture que l’estimation haute de Christie’s donnait seulement à 500 000$.
Contemporaine de GENTILESCHI, la bolognaise Lavinia FONTANA dépasse pour la première fois le seuil du million de dollars grâce à la découverte d’un tableau jusqu’alors inconnu des historiens de l’art. Il s’agit du portrait d’une “fillette à barbe” représentant la jeune Antonietta Gonsalvus qui souffrait d’une maladie génétique appelée hypertrichose. Ce chef-d’œuvre de la Renaissance italienne s’est envolé pour 1,3m$ bien qu’estimé dix fois moins lors d’une vente de Rouillac organisée à Vendôme. C’est une des belles surprises que réserve chaque année l’exploration des maisons provinciales en France. GENTILESCHI et FONTANA comptent parmi les rares femmes de la Renaissance italienne à avoir réalisé une carrière de peintres et bénéficié d’une véritable réputation de leur vivant. Longtemps laissées dans l’ombre de l’histoire, elles sont aujourd’hui réhabilitées par les musées et les acteurs du marché.
Une vente récompense cette fois une virtuose de la nature morte du 18e siècle, la française Anne VALLAYER-COSTER qui fut l’une des rares femmes admises à l’Académie royale de peinture et de sculpture. La National Gallery of Art de Washington, qui axe clairement ses récentes acquisitions sur des tableaux de peintres féminins, remporte l’un de ses superbes bouquets de fleurs pour 2,8m$, un prix record qui valorise l’artiste parmi les plus grandes signatures de son temps (Nature morte au vase d’albâtre rempli de fleurs avec sur une table plusieurs espèces de fruits, comme ananas, pêches et raisins, 1783).
Des œuvres du 20e siècle revalorisées de plusieurs millions
Les œuvres d’artistes phares de la seconde moitié du 20e siècle sont revalorisées, à l’image de la Spider de Louise BOURGEOIS, dont le prix obtenu à Hong Kong en mai 2023 (32,8m$) excède de deux millions de dollars celui qu’elle décrochait il y a cinq ans à New York. Une autre sculpture en bronze, The Family of Man: Ancestor II (1970), porte le record de Barbara HEPWORTH à 11,5m$, alors que cette même œuvre, pourtant estimée 10 millions de moins, était restée invendue en 2014. Similairement, la sensuelle Black Iris VI peinte par Georgia O’KEEFFE en 1936 et vendue 21,1m$ cette année coûtait 20 millions de moins en 1998. Citons encore Jenny SAVILLE, dont la toile Shift, vendue 10,9m$ en novembre 2023, gagne deux millions depuis sa dernière vente en 2016. Les exemples de cet acabit sont légion. Ils reflètent de profonds changements chez les maisons de ventes, qui appuient plus fermement la création féminine dans un secteur historiquement à prédominance masculine, mais aussi chez les collectionneurs, certains plaçant l’achat d’œuvres réalisées par des femmes au cœur de leur démarche d’acquisition.
Barbara Hepworth passe pour la première fois le seuil des 10 millions, tandis que Louise Bourgeois remporte un record pour toute sculpture vendue aux enchères en Asie, à 32,8m$.
Nombre d’adjudications millionnaires par genre en 2023 vs 2013
Yayoi KUSAMA devance Gustav KLIMT
Son génie extravagant l’impose comme l’artiste femme la plus performante du monde : Yayoi KUSAMA flirte avec les 190m$ de résultat annuel et gagne la huitième marche du Top 10 mondial, entre René MAGRITTE et Gustav KLIMT. C’est la première fois qu’elle se retrouve si bien placée, ayant clôturé le Top 10 en 2021. Son succès reflète un marché très organisé et diversifié, constitué à la fois d’œuvres prestigieuses et d’une grande quantité de pièces en éditions limitées permettant de toucher toutes les catégories de collectionneurs. Artiste à la force de production impressionnante, Yayoi KUSAMA accumule les œuvres comme elle disperse le motif obsessionnel de ses pois et cette manne créative nourrit abondamment les enchères. Elle s’impose comme l’artiste femme ayant vendu le plus d’œuvres de son vivant avec près de 9 400 lots cédés depuis son introduction aux enchères, dont plus de 800 cette année.
Joan MITCHELL dépasse les 100m$ sur l’année
Figure centrale de la seconde génération des Expressionnistes Abstraits, Joan MITCHELL signe une année historique (112,6m$) scandée par deux nouveaux records à plus de 27 millions de dollars chacun. Son œuvre est défendue par David Zwirner depuis 2018, galerie incontournable qui contribue à accroître la valorisation de la célèbre peintre. Depuis que la galerie Zwirner s’occupe de son œuvre, 13 lots sur 14 ont dépassé les 10 millions de dollars aux enchères. Le prix de certains de ses grands diptyques a été multiplié par cinq ou six depuis le début des années 2010. L’artiste tient aujourd’hui la douzième place mondiale, devant Mark ROTHKO et Cy TWOMBLY.
Julie MEHRETU est sacrée artiste d’origine africaine la plus cotée
La peinture exigeante de Julie MEHRETU, une abstraction unique en prise avec les problématiques du temps, a intégré les plus grandes collections muséales et les plus importantes collections privées, dont celles du français François Pinault ou des américains Eli et Edythe Broad. À 52 ans, l’artiste d’origine éthiopienne se hisse parmi les 100 premières signatures du marché mondial avec un résultat exceptionnel et deux records absolus. En octobre 2023, l’une de ses œuvres décroche en effet 9,32m$ chez Sotheby’s Hong Kong, atteignant un sommet pour un artiste d’origine africaine. Ce diptyque monumental de près de cinq mètres (Untitled, 2011) avait déjà fait l’objet d’une vente aux enchères en 2015, où il atteignait 2,85m$. En huit ans, son prix a ainsi augmenté de +227%, ce qui donne la mesure de la revalorisation des œuvres majeures de MEHRETU. Le record fut de courte durée, car dépassé le 15 novembre par un grand dessin vendu 10,7m$ pendant The Now Evening Auction de Sotheby’s. Les œuvres d’artistes féminines représentent par ailleurs 45% de la valeur de cette session contemporaine de Sotheby’s… presque la parité !
Top 10 des records personnels aux enchères pour des artistes femmes (2023)
Artiste | Œuvre | Prix | Date | Prix maximal | |
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1 | Louise BOURGEOIS (1911-2010) | Spider (1996) | 32 804 500 $ | 18/05/2023 | Sotheby’s New York |
2 | Joan MITCHELL (1925-1992) | Untitled (c.1959) | 29 160 000 $ | 09/11/2023 | Christie’s New York |
3 | Agnes MARTIN (1912-2004) | Grey Stone II (1961) | 18 718 500 $ | 08/11/2023 | Sotheby’s New York |
4 | Barbara HEPWORTH (1903-1975) | The Family of Man: Ancestor II (1970) | 11 565 000 $ | 09/11/2023 | Christie’s New York |
5 | Julie MEHRETU (1970) | Walkers With the Dawn and Morning (2008) | 10 737 500 $ | 15/11/2023 | Sotheby’s New York |
6 | Amrita SHER-GIL (1913-1941) | The story teller (1937) | 7 432 690 $ | 16/09/2023 | Saffronart Mumbai |
7 | Claude LALANNE (1925-2019) | Très grand choupatte (2008) | 5 276 400 $ | 30/10/2023 | Sotheby’s Paris |
8 | Alma Woodsey THOMAS (1891-1978) | A Fantastic Sunset (1970) | 3 922 000 $ | 17/05/2023 | Christie’s New York |
9 | Paula REGO (1935-2022) | Dancing Ostriches from Walt Disney’s (1995) | 3 720 180 $ | 13/10/2023 | Christie’s Londres |
10 | Lynette YIADOM-BOAKYE (1977) | Six Birds in the Bush (2015) | 3 602 760 $ | 12/10/2023 | Sotheby’s Londres |
© Artprice |
Paula REGO réalise une année record un an après sa mort
La disparition de la grande peintre portugaise Paula REGO en juin 2022 a considérablement agité les enchères : des transactions en hausse de +39% cette année et une compétition plus ardue que jamais entre les enchérisseurs portent son résultat annuel à 4,8m$, un sommet dans l’histoire de son marché. En octobre, Christie’s Londres établit le record personnel de l’artiste à 3,8m$ (plus du double du précédent record) avec le diptyque intitulé Dancing Ostriches from Walt Disney’s “Fantasia” (1995), un grand travail au pastel ayant fait partie de la célèbre collection Saatchi.
Claude LALANNE est la première artiste en France
La cote de Claude LALANNE (1925-2019) prend une autre dimension à l’heure où son complice François-Xavier LALANNE se distingue comme l’artiste le plus performant du Marché de l’Art français. Le nouveau record personnel de Claude s’érige désormais à 5,27m$, soit au quintuple de l’estimation basse après une course de surenchères advenue le 30 octobre. La sculpture si désirée (Très grand choupatte) est une pièce unique créée en 2008 pour Pauline Karpidas, dont Sotheby’s dispersait les œuvres à Paris. Cette vente offre à Claude LALANNE la meilleure adjudication pour toute artiste femme vendue en France cette année tandis que son résultat annuel de 5,5m$ la positionne devant des homologues masculins aussi illustres que Pierre BONNARD, Auguste RODIN ou encore Paul GAUGUIN.
La jeune génération stimule considérablement les enchères
Les enchères sont aussi très compétitives pour les femmes plus jeunes. Exemple avec la vente très suivie de Christie’s New York en date du 7 novembre où l’enthousiasme des enchérisseurs pour les jeunes femmes contraste avec la tiédeur reçue pour des Blue Chips de la trempe d’Andy WARHOL, Keith HARING, Cy TWOMBLY ou encore Jeff KOONS.
Des enchères particulièrement vives et compétitives saluent les travaux d’artistes telles que Stefanie HEINZE, 36 ans, dont la toile Le Troisième rendez-vous (2020) triple ses attentes en atteignant 239 400$ le 7 novembre, tandis que le nu féminin lesbien de Jenna GRIBBON (1978), Regarding Me Regarding You and Me (2020) hisse le nouveau record personnel de l’artiste au seuil des 500 000$ face à une estimation haute de 150 000$. Toujours lors de cette même session, la peintre Russe vivant à New York Sanya KANTAROVSKY (1982) dépasse à nouveau les 200 000$ avec sa toile Charnal Field (2022) estimée deux fois moins. L’américaine Ilana SAVDIE (1989) obtient quant à elle un nouveau record à 201 600$ après son exposition au Whitney Museum of American Art. Enfin, Issy WOOD (1993) décroche 277 200$, soit plus du double de son estimation haute pour Fanta Car interior, tandis que Jadé FADOJUTIMI (1993) remporte près de 1,7m$ pour sa toile A Thistle Throb (2021), un record de courte durée pour la britannique d’ascendance nigériane qui flirte avec les deux millions de dollars la semaine suivante chez Sotheby’s.
Jadé FADOJUTIMI et Michaela YARWOOD-DAN sont les deux jeunes artistes abstraites les plus en vue de la scène britannique actuelle.
Jadé FADOJUTIMI stimule les enchérisseurs depuis 2020, époque où sa première œuvre mise en vente s’envole pour 52 000$, soit 13 fois la prévision optimiste. Deux mois plus tard, Phillips vend une toile plus importante à hauteur de 378 000$, puis les prix poursuivent leur course folle en 2021 en dépassant le million de dollars. En 2022, elle est la plus jeune artiste présente dans la collection permanente de la Tate Modern et participe à la prestigieuse Biennale de Venise. L’actualité influe encore sur la ferveur de la demande et des prix, d’autant qu’elle intègre dans le même temps la puissante galerie Gagosian aux côtés d’artistes comme Damien HIRST et Takashi MURAKAMI. Ces trois meilleures adjudications, toutes millionnaires, datent de cette année et se partagent entre Phillips, Sotheby’s et Christie’s New York.
Autre jeune peintre abstraite britannique dont l’ascension est fulgurante, Michaela YEARWOOD-DAN était inconnue sur le marché des enchères avant 2022. Elle se voit cette année propulsée parmi les 500 artistes mondiaux les plus performants du moment. L’une de ses toiles, Love me nots (2021), atteint 884 000$ chez Christie’s à la fin du mois de février, dépassant de plus de dix fois le prix conseillé (estimation haute : 72 000$). Si ce record provient de Londres, où l’artiste est établie, les prix de ses toiles s’envolent tout aussi bien lorsque les ventes sont organisées à New York ou à Hong Kong. Christie’s, Sotheby’s et Phillips ont chacune fait l’expérience du succès phénoménal de cette puissante artiste, qui n’a pas encore fếté ses 30 ans.
Les prix grimpent aussi pour l’artiste américaine Loie HOLLOWELL, dont les toiles aux formes souples et géométriques, aux échos corporels et sensuels, lui valent d’être décrite comme une Georgia O’KEEFFE des temps modernes. Sa cote s’est envolée de façon fulgurante après qu’elle ait intégré la galerie Pace en 2017. Partant d’une première adjudication à 68 750$ en mai 2018, l’artiste dépasse pour la première fois le million en 2021. En 2023, son nouveau record personnel atteint 2,29m$ avec Standing in Red (2019) lors de la vente organisée pour le 50e anniversaire de Sotheby’s en Asie. Ce record d’adjudication à plus de deux millions ne la réjouit pourtant pas véritablement. Elle considère au contraire comme un affront le fait que des collectionneurs rencontrés lorsqu’ils achetaient ses œuvres en galerie revendent rapidement sur le marché secondaire en vue d’une copieuse plus-value. Ces affaires menées malgré elle ont sans doute influencé la production d’une collection de NFT pour plus de maîtrise : en cas de revente, Loie HOLLOWELL reçoit automatiquement un reversement de commission grâce au contrat intelligent. Plus fair…