Ruée sur l’Art Contemporain

Le Marché prend un nouveau virage au début du XXIème siècle avec l’afflux de nouveaux acheteurs millionnaires et l’arrivée de la Chine sur l’échiquier.

Ruée sur l’Art Contemporain

Le Marché de l’Art contemporain n’est plus ce qu’il était il y a 20 ans. Il a profondément changé structurellement, avec de plus en plus d’artistes (de 5.400 artistes à près de 32.000 aujourd’hui), de plus en plus d’oeuvres (on est passé de 12.000 lots offerts à 123.000). Il s’est étoffé et étendu géographiquement, passant de 39 à 64 pays actifs aux enchères. Il s’est accéléré, avec la fluidification des transactions à distance, pour finalement s’imposer comme le segment le plus dynamique et le plus profitable de l’ensemble du Marché de l’Art. En 20 ans, le nombre de maisons de ventes participant au Marché de l’Art contemporain a presque doublé, le nombre de sessions spécialisées a triplé, le nombre de lots vendus a été multiplié par six.

Les chiffres de la croissance

2000 2010 2019
Produit de ventes 92m$ 1 145 m$ 1 993 m$
Meilleur résultat 2,2m$ 16,9 m$ 91,1 m$
Prix moyen 7 430 $ 30 400 $ 25 140 $
Lots vendus 12 355 37 670 79 290
Lots présentés 19 180 61 885 122 875
Taux d’invendus 36 % 39 % 35 %
Sessions 1 794 2 960 5 874
Artistes 5 425 18 284 31 918
Villes 359 377 539
Pays 39 58 64
Maisons de ventes 467 618 843
Frais acheteur 14,4% 16,9% 20,0%
Part de marché 2,9% 8,6% 14,9%
Meilleur artiste Basquiat
© artprice.com

Le Marché de l’Art contemporain a gagné 2 Mrd$ en 20 ans.

Autrefois minoritaire, le segment contemporain pèse désormais 15% du Marché de l’Art global. Au seuil des 2Mrd$ de résultat – contre moins de 92 millions en 2000 – il surpasse la période des Maîtres Anciens et celle du XIXème siècle. Récemment, une oeuvre de BASQUIAT a dépassé le résultat mondial de l’année 2000, en se vendant pour plus de 100m$, c’est dire combien l’échelle de valeur a évolué. Basquiat pourrait de nouveau passer ce palier de prix dans le futur, et il se peut qu’il ne soit pas le seul. D’ailleurs, une poignée de nos créateurs contemporains sont déjà consacrés comme des “valeurs” aussi importantes que les plus grands modernes, de Monet à Picasso.

En entrant dans le XXIème siècle, l’Art Contemporain est devenu le premier moteur de croissance du Marché de l’Art global.

Basquiat encadre les records de ces 20 dernières années. Il est l’auteur de la première œuvre contemporaine millionnaire (1998) comme du dernier record mondial (2017). Entre temps, les prix n’ont cessé d’être tirés vers le haut: son record est passé de 1,7m$ à plus de 110m$. Il a donc été multiplié par 65 en 20 ans. Sur cette même période, le prix moyen d’une œuvre contemporaine a triplé (passant de 7.430$ à 25.140$), enregistrant la hausse la plus importante de l’ensemble du Marché de l’Art, toutes périodes de créations confondues. En entrant dans le XXIème siècle, l’Art Contemporain est ainsi devenu le premier moteur de croissance du Marché de l’Art global.

Art contemporain 2000-2020: les chiffres à retenir

  • 6 fois plus d’artistes et 6 fois plus de lots.
  • Le produit des ventes a progressé de +2.100%.
  • Le record mondial d’adjudication est établi à 110m$ pour un Basquiat (2017).
  • 15% du Marché repose sur l’Art Contemporain, contre 3% il y a 20 ans.
  • La Chine et les Etats-Unis génèrent 68% du volume d’affaires mondial.
  • 22,7Mrd$ d’oeuvres ont été échangés depuis 2000.
  • Plus de 60% du Marché repose sur la peinture.

Evolution des ventes d’Art Contemporain dans le monde: CA et lots vendus

Evolution des ventes d’Art Contemporain dans le monde: CA et lots vendus

Il se vend 6 fois plus d’oeuvres contemporaines qu’il y a 20 ans.

Le premier milliard en 2007

Pour la première fois, le secteur contemporain dépasse le milliard de dollars de chiffre d’affaires annuel et atteint les 15% du Marché de l’Art mondial qu’il tient encore aujourd’hui. L’un des premiers leviers de la croissance est l’arrivée massive d’acheteurs chinois. Ceux-ci vont transformer en profondeur le Marché. Avec l’explosion de l’économie chinoise, de riches entrepreneurs se prennent au jeu de la collection, tandis que d’autres achètent des oeuvres pour diversifier leurs placements. Le business de l’art bat rapidement son plein en Chine avec l’émergence de fonds d’investissements spécialisés. Sur le modèle boursier, il est possible d’acheter des “parts” d’oeuvres dans l’optique de faire d’importantes plus-values, rapides si possible. Des afflux massifs de capitaux se dirigent d’abord sur les artistes chinois, faisant considérablement grimper leurs prix si bien que, en 2011-2012, la Chine vend deux fois plus d’oeuvres à plus de 100.000$ que dans toute l’Europe.

L’un des premiers leviers de la croissance est l’arrivée massive d’acheteurs chinois.

Au fil des années, certains acheteurs chinois deviennent de redoutables collectionneurs, comme Jack Ma, fondateur du géant de l’e-commerce Alibaba, Adrian Cheng ou Lin Han, qui collectionnent aussi des artistes internationaux. Certains d’entre eux ont créé des musées privés pour accueillir des collections devenues considérables, à l’image de Budi Tek avec son Yuz Museum à Shanghai.

L’embellie n’est pas que chinoise. Elle s’affirme comme une tendance générale de la globalisation en cours du Marché de l’Art. Les prix explosent aussi bien pour les artistes indiens de premier plan (Anish KAPOOR, Subodh GUPTA), pour les artistes du Moyen-Orient (Christie’s donne du marteau à Dubaï depuis 2006), que pour les Occidentaux. A New York et à Londres, les records extraordinaires s’enchaînent: l’oeuvre Green car crash de WARHOL part pour 71,5m$, deux fois l’estimation haute de Christie’s; Damien Hirst dépasse les 19m$ avec Lullaby Spring, une oeuvre estimée entre 6 et 8m$; Peter Doig devient le deuxième peintre le plus coté derrière Jean-Michel Basquiat avec plus de 11m$ obtenus pour White Canoe, dont Sotheby’s attendait au mieux 2m$ selon l’estimation; Koons, enfin, affirme son statut d’artiste vivant le plus cher après la vente, pour 23,5m$, de sa sculpture Hanging Heart (Magenta/gold).

Au terme de cette année 2007, certains pensent que le Marché de l’Art contemporain a atteint son point culminant. Il n’en n’est rien. Jeff Koons va battre son propre record à sept reprises dans les années suivantes.

Ren Zhong - Nine dragons and sea, 2018

Ren Zhong
Nine dragons and sea, 2018
Encre sur soie
138,5 x 357 cm
© Ren Zhong, Courtesy Wang Wen

2008, une année charnière

Avant son premier pic de croissance en 2008, le produit de ventes de l’Art Contemporain progresse de +1.640% (2000-2008), puis il s’affaisse en réaction à la crise américaine des subprimes, dont les répercussions sont mondiales. De la croissance à la contraction, l’année se joue en deux temps: les prix de l’art se maintiennent jusqu’aux ventes d’été, puis le Marché plie en septembre, après une vente consacrée à Damien Hirst chez Sotheby’s.

La crise financière impacte fortement mais brièvement le Marché de l’Art.

L’euphorie se poursuit au cours du premier semestre, et ce malgré la dégradation de l’économie mondiale due à la crise des subprimes. Jusqu’à mi-septembre, l’art campe sur sa position de valeur refuge, avec d’excellents résultats à la clef. Christie’s et Sotheby’s enregistrent de nouveaux records, aussi bien pour les grands modernes, que pour les artistes d’après-guerre et contemporains. Christie’s vend un Bassin aux Nymphéas de Claude Monet pour 71,8m$; une toile de Mark Rothko pour 50m$ (contre 11 millions en 1999, No. 15, 1952); une autre de Lucian Freud pour 33m$ (Benefits Supervisor Sleeping, 1995); une sculpture de Koons au seuil des 26m$ (Balloon Flower (Magenta), 1995/2000).

Sotheby’s fait encore mieux, cédant un triptyque majeur de Francis Bacon pour plus de 86m$ le 14 mai. L’acheteur est l’oligarque russe Roman Abramovitch, nouveau propriétaire du Benefits Supervisor Sleeping de Freud acheté la veille. La société américaine renouvelle aussi les records des contemporains Richard Prince (Overseas Nurse, 8,4m$), Antony Gormley (Angel of the North, 4,5m$), Anish Kapoor (Untitled, 3,8m$), Takashi Murakami. Après l’été, elle reçoit 21.000 visiteurs lors de l’exposition “Beautiful inside my Head forever” de Damien Hirst. Le Marché ne vacille qu’après cette vente record.

Murakami, un Japonais à New York

L’ascension fulgurante de Takashi MURAKAMI est emblématique des transformations rapides du Marché de l’Art contemporain. Quasi absent des radars en 2000, il rejoint déjà le top 10 mondial en 2008 (produit de ventes annuel). Signe précurseur de son succès, le prix de ses sculptures de Mr Dob se trouve multiplié par 10 entre la fin des années 90 et le début des années 2000. Mais le marché de Murakami bascule véritablement dans les plus hautes sphères avec la vente de My Lonesome cowboy #l-4647578 (Sotheby’s). A la fois trash et kawaii, cette sculpture d’un grand éjaculateur, inspiré des mangas et des Otaku, ouvre à Murakami les portes du Marché américain en s’envolant pour 13,5m$, 10 fois son estimation. Présent dans la salle pour assister à son propre record le 14 mai 2008, l’artiste en profite pour acheter une importante sculpture de son ami et compatriote Yoshitomo NARA , Light my Fire (2001), pour 1,1m$. Avec la vente de My Lonesome cowboy et l’achat du Nara, Murakami vient de faire entrer l’Art Contemporain japonais dans la bataille du capitalisme, aux côtés de l’américain Jeff Koons et du britannique Damien Hirst, tous deux rompus aux codes de la communication et du Marché.

Hirst & Sotheby’s, un avant et un après

Mi-septembre, l’étendard des Young British Artists (YBA) écrit un nouveau chapitre du Marché de l’Art en vendant directement ses œuvres chez Sotheby’s, passant outre le circuit habituel des galeries. Plus de 200 oeuvres sorties de l’atelier de Damien HIRST sont proposées aux enchères. C’est le jackpot: seulement 1,5% d’invendus, 45 coups de marteau millionnaires, dont des résultats exceptionnels pour des œuvres en formaldéhyde tout juste sorties de l’atelier: 18,5m$ pour The Golden Calf (2008), 17,1m$ pour The Kingdom (2008), 5,3m$ pour Here Today, Gone Tomorrow (2008), 4,7m$ pour The Black Sheep with the Golden Horn (2008)… Cette série d’animaux (mouton, poissons, requin, veau) plongés dans des aquariums de formol est un travail initié par Hirst en 1992 et financé à l’époque par Charles Saatchi. D’autres oeuvres emblématiques partent pour plusieurs millions, dont ses fameux cabinets de pilules. Cet événement fait la fortune de Hirst et renforce encore la renommée de celui qui est le premier artiste à prendre un rôle si déterminant dans la commercialisation de ses oeuvres.

La vacation fut un succès malgré un contexte économique alarmant: le coup d’éclat de Damien Hirst coïncide en effet avec la faillite de la banque Lehman Brothers le 15 septembre 2008. Le Marché se contracte ensuite fortement: faute de clients, Sotheby’s ravale cinq oeuvres importantes des YBA le 11 novembre. Elle parvient à en vendre deux, mais sous les estimations basses. Entre septembre et décembre 2008, le taux d’invendus de l’artiste explose, passant de 11% à 55%, et son indice de prix s’effondre (-65% entre 2008 et 2010). Il n’est évidemment pas le seul artiste à pâtir des répercussions de cette crise.

L’Art Contemporain perd un tiers de son résultat…

La crise financière liée aux subprimes impacte fortement mais brièvement le Marché de l’Art. Dans les mois suivant la vente “Beautiful inside my Head forever”, 65% des œuvres contemporaines sont adjugées sous leurs estimations basses (contre la moitié les années précédentes). Après des marges de progression phénoménales, le climat économique est bouleversé, les marchés financiers plongent, les banques cessent leurs crédits pour l’achat d’oeuvres, une vague de licenciements touche le monde de l’art… Dans ce contexte, le volume d’affaires des maisons de ventes chute, inexorablement. L’Art Contemporain perd deux tiers de son résultat en 2009 (588.000$ contre 1,6m$ en 2008). Mais cette baisse est aussi violente que brève, et les indicateurs repartent vite à la hausse. Fin 2010, l’Art Contemporain pèse à nouveau son milliard (1,1Mrd$), puis 1,5Mrd$ en 2011 (contre 1,59Mrd$ en 2008). L’opulence revient avec la confiance, et le Marché repart vers son deuxième pic, celui de 2014.

Damien Hirst n’a jamais retrouvé l’euphorie de “Beautiful inside my Head forever” mais son Marché s’est réajusté depuis. Les oeuvres importantes passent le million (notamment les Spot paintings et les Pill cabinets) à un rythme moins soutenu. L’artiste a par exemple remporté cinq enchères millionnaires entre janvier 2019 et juillet 2020, contre 65 au cours de l’année 2008. Mais à l’échelle des 20 dernières années, il s’est imposé comme le troisième artiste le plus performant (695m$ d’oeuvres vendues), derrière Basquiat et Koons.

Nouveau pic en 2014 et ancrage de la Chine

Une activité sans précédent agite le Marché en 2014: plus de 100.000 oeuvres contemporaines affluent aux enchères, du jamais vu. 64.000 d’entre elles sont absorbées (un record), et le produit de ventes gagne un milliard en deux ans, pour atteindre 2,4Mrd$. Un sommet en lien avec la santé générale du Marché de l’Art, dont les recettes annuelles s’élèvent à 16,4Mrd$, toutes périodes de création incluses.

Hong Kong est rapidement devenue incontournable.

Entre temps, la Chine a pris une part beaucoup plus active. Portée par une croissance extrêmement rapide, elle devient un nouveau centre névralgique face aux Etats-Unis (qu’elle surpasse notamment en 2010). L’eldorado chinois attire toujours plus les investisseurs internationaux, dont la première société de ventes mondiale, Christie’s, qui prend le pari d’opérer ses ventes à Shanghai. Annoncée comme un événement aussi important que son ouverture à New York en 1977, la première vente de Christie’s en Chine continentale a stratégiquement lieu au moment où Shanghai facilite les opérations d’entrées et de sorties temporaires des oeuvres sur son territoire (fin septembre 2013), grâce à une nouvelle politique de libre-échange facilitant l’import et l’export d’œuvres d’art (SHFTZ, Shanghai Free Trade Zone). Sotheby’s fait pour sa part une courte tentative pour développer des ventes à Pékin (entre 2013 et 2015). Mais c’est à Hong Kong, où les œuvres peuvent entrer librement, que bat le coeur du Marché asiatique.

Ventes d’Art Contemporain à Hong Kong

Ventes d’Art Contemporain à Hong Kong

Sotheby’s domine le Marché hongkongais, avec 50% du chiffre d’affaires.

Place de marché mineure avant 2000, Hong Kong est rapidement devenue incontournable. La péninsule pèse 10% du Marché de l’Art contemporain en 2014, un chiffre toujours d’actualité. L’activité y est particulièrement intense cette année-là chez Sotheby’s, avec des niveaux de prix exceptionnels pour deux stars du Marché: Zhang Xiaogang et Fang Lijun. Le premier, dont les oeuvres se négociaient autour de 5.000$ en 2000, est auréolé d’un nouveau record à hauteur de 12,1m$ pour Bloodline: Big Family No.3 (1995), une toile payée 6m$ en 2008, année déjà faste pour les artistes chinois. Le prix de l’oeuvre a donc doublé en six ans. Le nouveau record de FANG Lijun est quant à lui établi à 7,6m$, au double de l’estimation moyenne, avec Series 2 No. 4 (1992).

Les chiffres d’affaires hongkongais de Christie’s et Sotheby’s s’envolent, grâce à la flambée des artistes chinois dans un premier temps, puis avec le succès que remportent enfin de grands artistes occidentaux. En 2011, les deux sociétés rivales vendent pour 236m$ d’oeuvres contemporaines à Hong Kong, contre 558.000$ en 2000. Leur résultat cumulé a explosé de 42.000% en une dizaine d’années. Phillips finit par suivre le mouvement à partir de 2016.

L’activité des trois sociétés représente désormais 86% du résultat hongkongais (2019), avec une nette avance de Sotheby’s qui tient à elle seule la moitié du Marché de l’Art contemporain de la péninsule (164,3m$ d’oeuvres contemporaines vendues en 2019). Forte de ses 10% de recettes mondiales, Hong Kong est aujourd’hui la troisième place de Marché pour la vente d’Art Contemporain, derrière New York et Londres.