Percée des artistes africains

Après 20 ans de tentatives plus ou moins fructueuses, la création africaine trouve enfin un écho auprès des collectionneurs internationaux. Une nouvelle ère s’ouvre pour cette scène contemporaine qui rayonne désormais à Venise et à New York.

Dans le précédent rapport du Marché de l’Art Contemporain (Chapitre “Afrique et diasporas”, 2017/2018), nous dressions le bilan de l’extraordinaire croissance de l’art afro-américain et afro-britannique, porté notamment par Kerry James MARSHALLNjideka Akunyili CROSBY, Adam PENDLETON, Toyin Ojih ODUTOLA, Yinka SHONIBARE, Hurvin ANDERSON et Henry TAYLOR. Notre attention porte cette fois sur les artistes du continent africain, aux cotes certes moins flamboyantes, mais de plus en plus demandés à l’international.

x 10 en 20 ans

Il y a 20 ans, Sotheby’s dispersait une sélection d’œuvres africaines issues de la fameuse collection de Jean Pigozzi (24 juin 1999, Londres). Cette vacation a marqué un tournant, s’agissant de la première grande vente organisée par une grande société internationale. Le prix des œuvres était alors peu élevé (pas plus de 18.000$), mais la presque totalité des lots (88%) se sont vendus.

20 ans plus tard, le produit des ventes d’art africain de Sotheby’s a explosé. Il est multiplié par 10 entre le résultat de la vente Pigozzi et les 3m$ obtenus pour sa session Modern & Contemporary African Art d’avril 2019, pour un nombre de lots similaires, ce qui implique une très forte hausse des prix sur le secteur.

Une demande enfin consolidée

Une vingtaine d’années furent nécessaires pour que l’achat d’artistes africains entre dans les habitudes des collectionneurs. Les ventes spécialisées ont longtemps affiché des ratios déprimants: 60% d’invendus chez Bonhams à Londres en 2010, 74% d’invendus pour Artcurial Paris la même année; 72% d’œuvres ravalées pour la vente Africa Now de Bonhams en 2016… Les taux d’invendus oscillent plutôt entre 25% et 45% aujourd’hui.

La tendance s’est inversée il y a deux ans, au moment de l’ouverture officielle du département d’art moderne et contemporain africain de Sotheby’s à Londres. Depuis la première session du 16 mai 2017 (79% de lots vendus, 3,6m$ de résultat), la société a enregistré plus de 60 nouveaux records pour des artistes africains. Une réussite portée par de nouvelles stars du Marché, dont El Anatsui, deuxième artiste africain ayant obtenu un Lion d’or à la Biennale de Venise (2015) après Malick Sidibé (2002).

L’ouverture sur Venise

Les artistes africains rayonnent encore à Venise cette année et El Anatsui n’est pas le seul a y faire sensation. Son œuvre accompagne celles d’Ibrahim Mahama, Felicia Abbas, Lynette Yiadom-Boakye, John Akomfrah et Selasi Awusi Sosu, pour faire triompher le premier pavillon ghanéen de cette incontournable Biennale. L’Afrique n’a jamais eu meilleure tribune à Venise, avec la représentation de sept des 54 pays du continent.

Le grand rendez-vous vénitien participe à élargir le cercle des amateurs internationaux, donc des collectionneurs. El ANATSUI a remporté deux nouvelles adjudications millionnaires depuis l’obtention de son Lion d’or en 2015, et ce prix obtenu par Malick SIDIBÉ en 2002 a inauguré une accélération des transactions et une inflation de son produit de ventes annuel, passant de 5.000$ à 44.000$ entre 2006 et 2007. Le photographe malien (décédé en 2016) a remporté un record d’enchère en début d’année: 87.500$ pour une installation de 38 photographies dispersée chez Swann Galleries à New York, le 21 février 2019.

La Biennale de Venise agit comme un catalyseur. Elle influence le comportement des acheteurs en assurant le rayonnement des artistes. Il en va de même avec la multiplication de grandes expositions dédiées à l’art d’Afrique, comme avec le développement du salon 1:54 lancé par Toura El Glaoui à Londres (2013), puis à New York (2015) et à Marrakech (2018). Cette internationalisation de la scène africaine contemporaine permet, désormais, d’attirer un public fidèle et croissant.

Top 10 des œuvres contemporaines africaines (juillet 2018 – juin 2019)

Artiste Œuvre Prix Date Maison de ventes
1 Chéri SAMBA (1956) J’aime la couleur (2005) 122.554$ 02/04/2019 Sotheby’s, Londres
2 Chéri SAMBA (1956) L’attachement aux racines (2010) 116.519$ 15/05/2019 Piasa, Paris
3 Eddy Ilunga KAMUANGA (1991) Palm (2016) 106.213$ 02/04/2019 Sotheby’s, Londres
4 YÉANZI (1988) Tokoos 3 (2018) 99.340$ 14/11/2018 Piasa, Paris
5 Chéri SAMBA (1956) Prix Nobel de l’Amour (2004) 90.302$ 15/05/2019 Piasa, Paris
6 Aboudia Abdoulaye DIARRASSOUBA (1983) Carnet de voyage (2011/12) 78.650$ 15/05/2019 Piasa, Paris
7 Ian MWESIGA (1989) The telephone call (2018) 68.774$ 14/11/2018 Piasa, Paris
8 Chéri SAMBA (1956) Le debut de Cheri Samba (2001) 59.353$ 20/03/2019 Bonhams, Londres
9 Chéri SAMBA (1956) J’aime la couleur (2003) 57.707$ 20/03/2019 Bonhams, Londres
10 Aboudia Abdoulaye DIARRASSOUBA (1983) Sans titre (2015) 53.490$ 14/11/2018 Piasa, Paris
© Artprice.com

Chéri Samba et Chéri Chérin

Aujourd’hui, l’artiste le plus demandé des ventes d’Art Contemporain africain est Chéri SAMBA. La moitié du Top 10 des ventes spécialisées lui appartiennent. L’artiste emporte des adjudications supérieures à 100.000$ à Londres et à Paris, les deux premières plaques tournantes de cette spécialité. Chéri Samba ayant été introduit aux enchères il y a une trentaine d’années, il est possible d’observer des cas de reventes fructueuses. Exemple avec Une vie non ratée (A Successful Life), payée 14.500$ lors de la vente Pigozzi de 1999, puis revendue 68.000$ en mai 2017 ( Sotheby’s Londres), soit un prix en hausse de +369% en moins de 20 ans.

Les récents coups d’éclats obtenus pour Chéri CHÉRIN sont tout autant révélateurs de la tendance à la hausse: l’une de ses toiles estimée pour moins de 10.000$ chez Piasa s’est arrachée pour plus de 30.000$ en novembre 2018. Une autre, attendue pour 5.000$, s’est envolée pour 36.000$ en mars dernier chez Bonhams.

Chéri Samba - L’Attachement aux racines (2010)

Chéri SambaL’attachement aux racines (2010)
Acrylique et paillettes sur toile, 135 x 200 cm
© Chéri Samba
116.500$, Piasa, Paris, 15/05/2019

Londres et Paris concurrencées par New York

Face à l’art afro-américain fortement valorisé à New York, Paris et Londres mettent l’accent sur l’Art Contemporain issu du continent africain. Les ventes spécialisées – de Bonhams et Sotheby’s à Londres, de Piasa et Artcurial à Paris – sont désormais courues. Plus qu’encourageants, les bilans y sont excellents: les records tombent et les produits de ventes explosent.

x 4

Le résultat cumulé de Paris et de Londres passe de 7,6m$ entre 2014 et 2016 à 27,9m$ entre 2017 et 2019. Le produit des ventes d’art africain moderne et contemporain est presque multiplié par quatre.

+260%

Piasa enregistre un nouveau record pour une vente d’Art Contemporain africain avec 1,455m$ de lots vendus le 15 mai. Le résultat est en hausse de +260% par rapport à celui de novembre 2016.

x 3

Révélé par la galerie Saatchi en 2015, le jeune Eddy Ilunga KAMUANGA (né en 1991) est la figure de proue de la nouvelle peinture congolaise. En avril dernier, Sotheby’s cédait sa toile Palm (2016) au triple de l’estimation basse. Le nouveau record de l’artiste est désormais établi à 106.000$.

16%

La vente Africa Now de Bonhams (10/2018) représente 16% de son résultat pour l’Art Contemporain (2018/2019). C’est la part la plus conséquente pour toute maison de ventes internationale.

Ventes spécialisées d’art africain: Londres domine

Ventes spécialisées d'art africain : Londres domine

A Londres, Sotheby’s concurrence fermement Bonhams. En deux ans seulement d’activité sur ce secteur, elle enregistre de meilleures performances que sa concurrente, pourtant pionnière depuis 10 ans, avec deux sessions dont les résultats excèdent les 3m$ chacune, tandis que Bonhams plafonne à 2,9m$ depuis mai 2016.

Le récent succès de Sotheby’s tend à prouver que les collectionneurs sont suffisamment nombreux et motivés pour absorber au moins deux ventes spécialisées par an au Royaume-Uni. Les spécialistes du département parlent d’une véritable “explosion de l’intérêt pour l’Art Moderne et Contemporain africain”; une “explosion” qui devrait se manifester prochainement à New York…

Bonhams vient en effet d’exporter ses ventes d’Art Africain aux États-Unis, organisant une première vacation new-yorkaise le 2 mai 2019, tandis que le salon 1:54 battait son plein. Cette première session a dégagé 1,4m$, avec six œuvres vendues plus de 100.000$ sous les signatures de Ben Enwonwu, Irma Stern, Demas Nwoko, Alexander Skunder Boghossian, Papa Ibra Tall et Nelson Mandela. Bohmans ouvre une voie déterminante pour l’avenir de ce marché, New York étant une caisse de résonance essentielle pour la conquête de nouveaux collectionneurs internationaux.

L’Art Contemporain africain fait par ailleurs une entrée remarquable au MoMA de New York, grâce Jean Pigozzi. Le plus grand collectionneur connu d’Art Contemporain africain (plus de 10 000 œuvres) a fait don de 45 œuvres d’Art subsaharien au prestigieux musée l’été dernier (juillet 2019). Les oeuvres de Frédéric Bruly Bouabré, Seydou Keïta, Romuald Hazoumé, Moké ou Chéri Samba, intégrées au réaménagement de la collection permanente du musée américain.

Le Marché français est un bon tremplin pour les jeunes artistes africains dont les prix évoluent rapidement. De nombreux records ont été enregistrés depuis mai 2018, notamment pour l’Angolais Cristiano MANGOVO (près de 37.000$), les Ougandais Ian MWESIGA (53.000$) et Joseph NTENSIBE (43.700$), le Centrafricain Dieudonne Sanna WAMBETI  (22.000$), le Congolais Aboudia Abdoulaye DIARRASSOUBA (78.600$). Les œuvres de plusieurs artistes, dont YÉANZI et ANJEL, sont parties largement au décuple des estimations dès leur première apparition en salle des ventes.

Les collectionneurs sont prêts à livrer de véritables batailles d’enchères pour obtenir les œuvres qu’ils considèrent comme les meilleures, y compris pour des artistes novices sur le second marché, dont les cotes sont à construire. De telles envolées méritent d’autant plus d’être signalées qu’elles sont rares sur le Marché parisien, contrairement aux percées rapides que l’on constate régulièrement depuis New York. L’enthousiasme dont font preuve les acheteurs donnent un élan particulier à cette spécialité et un souffle nouveau au Marché de l’Art Contemporain, français aujourd’hui, new-yorkais demain.

Aboudia Abdoulaye Diarrassouba - Carnet de voyage (2011/12)

Aboudia Abdoulaye DiarrassoubaCarnet de voyage (2011/12)
Dessins (36), 15 x 15 cm (chacun)
© Aboudia Abdoulaye Diarrassouba
78.650$, Piasa, Paris, 15/05/2019