Zao Wou Ki

[07/01/2014]

 

Zao Wou Ki, l’un des plus illustres représentants de l’abstraction lyrique est aussi un symbole culturel fort pour la Chine. Porté par une demande asiatique boulimique, ses prix s’envolent, si bien que 35 enchères millionnaires ont été enregistrées sur l’année 2013.

Né en 1920 à Pékin dans une famille d’intellectuels, ZAO Wou-Ki descend de la Dynastie Song. Il intègre l’École des beaux-arts de Hangzhou en 1935 ou il étudie durant six ans les techniques de peinture occidentales et chinoises. Après une première exposition personnelle à Shanghaï en 1947, l’artiste décide de s’installer à Paris. Il fréquente alors l’atelier d’Emile Othon FRIESZ à l’académie de la Grande-Chaumière, ainsi que l’école des Beaux-Arts. Ayant eu vent de l’importance de Montparnasse dans l’émulation artistique parisienne, il décide de s’y installer et côtoie Sam FRANCIS, Jean-Paul RIOPELLE, Pierre SOULAGES, Hans HARTUNG, Alberto GIACOMETTI, Maria Elena VIEIRA DA SILVA. Un tournant radical s’opère en 1951, année ou il découvre à Berne l’oeuvre de Paul KLEE, s’en émerveille et trouve sa voie vers l’abstraction.
L’oeuvre glisse alors vers l’affrontement de couleurs et de lumières intenses et vibrantes, pour ouvrir sur l’expérience visuelle pure. Dans ses grands formats à l’huile ou dans ses petites estampes, l’art de Zao Wou Ki a déployé des abstractions vivantes, espaces vastes ouvrants sur des immensités. Sa double culture occidentale et chinoise, admirablement synthétisée dans son œuvre, lui réserve une place particulière parmi les artistes contemporains. Après avoir gagné ses lettres de noblesse sur les scènes culturelles européennes, et notamment en France ou il fut honoré d’un grand nombre de prix et de distinctions, son œuvre impose petit à petit sa majesté an Asie, et d’abord à Pékin au début des années 80. Il faut néanmoins attendre les années 2000 et l’explosion du marché chinois pour que les prix flambent.

Son marché : glissement de la France vers l’Asie

En 1986, l’artiste est admiré et reconnu en France. Il a d’ailleurs été promu officier de la Légion d’Honneur sur proposition du ministre de la Culture en 1984 et est déjà collectionné par quelques initiés. Son marché reste néanmoins timide et abordable. A l’époque, on acquiert une toile pour 5 000 $ en salle (une Composition, 73 cm x 92 cm est adjugée 35 000 FRF, l’équivalent de 5 000 $, le 19 juin 1986 à Drouot, société Audap-Godeau-Solanet, Paris).
Trois ans plus tard, alors que le marché de l’art occidental connait un fort emballement des prix, Zao en bénéficie et passe pour la première fois le seuil des 100 000 $ (son premier résultat à six chiffres est enregistré le 22 novembre 1989 chez Ader-Picard-Tajan à Paris). Le pallier très haut de gamme du seuil millionnaire ne sera pas inauguré quant à lui à Paris, mais à Hong Kong en 2006. La France reste un vivier d’oeuvres qui représente 40 % des transactions de l’artiste mais l’engouement des collectionneurs asiatiques et leur pouvoir d’achat drainent depuis quelques années les toiles les plus importantes à l’Est. Hong Kong s’est ainsi imposée au fil des années comme la place de marché rêvée pour vendre une œuvre de Zao Wou Ki au meilleur prix. L’ancienne colonie britannique représente désormais 58 % des ventes d’oeuvres de l’artiste en terme de recettes avec 15 % seulement des lots dispersés à travers les salles du monde entier.

Avec l’ouverture de la Chine dans les années 80, l’émergence des collectionneurs et des artistes chinois d’avant garde sur la scène culturelle comme sur le marché de l’art, l’art de Zao Wou Ki – considéré comme déviant avec le début des années 80 – s’érige alors en symbole, celui d’une synthèse réussie, puissante et poétique, entre des traditions chinoises et européennes. En 1983, le ministère de la Culture chinois organise sa première exposition en Chine depuis son départ en 1948. Elle se tient conjointement au Musée National de Pékin et dans son ancienne école, devenue la Zhejiang Academy of Fine Arts. Quelques marchands et collectionneurs se manifestent déjà en Asie mais il faut attendre 15 ans de plus pour que l’artiste s’impose en salle de ventes.

Un réel tournant s’opère dans les années 2000 alors que la vitalité économique chinoise, l’engouement des collectionneurs et l’activité effrénée des investisseurs propulsent Zao Wou Ki sur le marché haut de gamme des enchères. L’artiste devient une valeur refuge que l’on se dispute de part et d’autre du planisphère. Les prix flambent, jusqu’à afficher un indice en hausse de 620 % sur la décennie (2003-2013), et atteignent leur point culminant à la fin de l’année 2013 avec quatre nouveaux records. Les toiles de Zao ont en effet déchainé les ventes au cours de l’année 2013, avec pas moins de 35 enchères millionnaires, dont quatre sommets oscillant entre 8 et 12,4 m$, décrochés en octobre et décembre, entre Hong Kong et Pékin.
L’Asie (Hong Kong, Taïwan et la Chine continentale) est assoiffée d’oeuvres de Zao. Elle parvient a drainer dans les grandes salles de ventes un peu plus de 20 % des lots, souvent les meilleures, et dégage 80 % du produit de ventes de l’artiste.

L’art du multiple

C’est à la fin des années 40 et au début des années 50 que se constitue le terreau de son oeuvre multiple. Il découvre tout d’abord la technique de la lithographie chez l’imprimeur Desjobert en 1949, puis Henri Michaux écrit spontanément huit poèmes pour orner huit de ses lithographies, enfin, la découverte de l’oeuvre de Klee lui donne un nouveau souffle .
Cette forme exigeante de travail, dont la moitié des oeuvres sont abordables pour moins de 1 500 $ sur le marché des enchères, est de plus en plus recherchée, d’autant que l’envolée du prix des oeuvres uniques fait naturellement grimper celui des multiples.
On s’arrache les oeuvres historiques, feuilles subtiles et rares, dont le record est tenu par Les cerfs/Hortensias, datés de 1951/1952, soit peu après sa découverte des gravures de Paul Klee. Ce lot de deux épreuves s’est vendu 77 100 $, le 29 mai 2011 chez Christie’s Hong Kong, ce qui, ramené au prix de la feuille, nous amène à un sommet 38 550 $ au marteau.
Autre exemple, l’une des feuilles les plus cotées date de 1952: intitulée Marine seascape (1952), cette épreuve d’artiste numérotée 5/55 estimée 3 000 $ s’est envolée à plus de 24 000 $ chez Christie’s Hong Kong en 2010 (vente du 30 mai 2010, dimensions 38.1 cm x 53 cm).

Le marché du multiple est dense (près de 400 oeuvres proposées en 2013) et international. L’amateur trouvera aussi des oeuvres en Suisse, à des prix plus avantageux que sur la place de marché hong kongaise, et pour cause, Zao Wou Ki s’est établi en Suisse en 2012 avec son épouse Françoise Marquet, ancienne conservatrice au musée d’Art moderne de la ville de Paris qui travaille au catalogue raisonné de l’œuvre.
L’artiste s’est éteint le 9 avril 2013 à Nyon, à la suite d’une longue maladie. L’annonce de son décès a affolé le marché, en témoigne les 135 m$ de recettes générées par la vente de ses oeuvres en 2013 (hors frais), un chiffre en hausse de +85 % par rapport à l’année précédente.