Zao et Daquian, les deux géants du marché chinois

[17/12/2019]

Dans le classement de tête 2019, deux leaders du marché chinois affichent des performances à hauteur de celles d’un Monet ou d’un Warhol. Zao Wou-ki et Zhang Daqian font vibrer le marché, générant plus de 385 millions de dollars en un an…

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Zhang Daqian, Strange Pines of Mount Huang

L’amour de la tradition

ZHANG Daqian est peut-être l’artiste chinois le plus populaire qui soit. Né en 1899, il commence par étudier en profondeur les grands maîtres chinois, apprenant si bien à les copier qu’il trompera les plus grands connaisseurs. Ses copies de Shitao (qu’il vend à Shanghai dans les années 20) sont certainement les plus remarquables. L’artiste gagne un début de notoriété internationale dans les années 30, à Paris lors de la première exposition de peinture chinoise au musée du Jeu de Paume en 1933, puis à Londres deux ans plus tard. Grand érudit, fin collectionneur de peintures chinoises anciennes (œuvres des dynasties Tang aux Qing), brillant interprète de la tradition (inspiré des “Quatre Grands Moines Peintres de la dynastie Qing”, des quatre maîtres de l’école de Wu de la dynastie Ming” et des peintres paysagistes de la dynastie Yuan), Zhang Daqian renouvelle son style dans les années 40 au contact de l’art bouddhique des grottes de Dunhuang. Le climat politique des années 40 et 50 l’amène à sortir des frontières, pour résider tour à tour en Argentine, au Brésil, en Californie. Durant cette période, ses œuvres sont exposées à Hong Kong, Delhi, Taipei, aux États-Unis (où il se rend en 1954), au Japon (1955 et 1956), à Rome, puis à nouveau à Paris. En 1956, sa rencontre avec Pablo Picasso ne passe pas inaperçue. Elle sera présentée comme la grande rencontre artistique de l’Est et de l’Ouest (Michael Sullivan, The meeting of Eastern and Western art, Greenwich, Connecticut, New York Graphic Society, 1973). Zhang Daqian – que Picasso considère comme le meilleur peintre chinois du siècle – partage avec son aîné quelques secrets sur le maniement du pinceau chinois et de l’encre. Scellant leur pacte de géants, les deux artistes échangent des tableaux.

Le géant de l’Est et le géant de l’Ouest se retrouvent systématiquement dans le palmarès des enchères. Le classement de 2011 bouleversait les anciennes certitudes occidentales, consacrant Zhang Daqian comme l’artiste le plus performant du monde avec plus de 550 m$ d’œuvres vendues sur l’année (soit le meilleur produit des ventes de tous les temps à l’époque), contre 315 m$ pour Picasso. Cette fois, le bilan annuel de Daqian est moins spectaculaire, avec un produit de ventes de seulement 154 m$ à l’issue de l’année 2019, lorsque Picasso génère plus du double. Le marché s’est quelque peu tari en chefs-d’œuvre depuis cette fameuse année 2011 qui célébrait la puissance d’une icône de l’art chinois face à la première icône occidentale. Il semble par ailleurs que certains collectionneurs chinois aient reporté leur intérêt sur une autre signature, celle de Zao Wou Ki, sacré premier artiste chinois selon les résultats de 2019.

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Zhang Daqian – Progression chronologique du nombre de lots vendus. Copyright Artprice.com

Le souffle de la nouveauté

Établi en septembre 2018, le record de vente pour une œuvre de ZAO Wou-Ki culmine à 65,2m$, presque au double du record de Zhang Daqian (Peach Blossom Spring, 1982, 35m$, Sotheby’s Hong Kong, le 5 avril 2016). Ce record de 65,2m$ a été obtenu à Hong Kong pour un exceptionnel triptyque de 10 mètres, Juin-Octobre 1985, commandé par le grand architecte Ieoh Ming Pei pour habiller le grand hall de l’hôtel Raffle City de Singapour. Juin-Octobre 1985 peut-être considérée comme “la pierre angulaire de la période Infinie de Zao, empreinte de solennité et de spiritualité asiatique, tout en manifestant des correspondances avec l’Expressionnisme Abstrait dont le plus américain des artistes Franco-Chinois s’était imprégné pendant son long séjour à New York” en 1957.

Le souffle de la nouveauté de Zao – que s’arrachent les collectionneurs occidentaux comme les chinois – provient peut-être de cette ouverture sur la vitalité “créatrice” de son époque. L’artiste a en effet créé une nouvelle peinture, reliée à la philosophie chinoise du paysage tout en ayant assimilé avec brio la spontanéité de la grande abstraction américaine de l’époque. L’énergie de ses meilleures toiles réussit cette synthèse essentielle entre son héritage oriental et l’avant-garde occidentale.

Les grands collectionneurs guettent ses meilleures œuvres aux enchères, si bien qu’après une période d’accélération considérable des transactions (fois trois entre 2009 et 2014), l’offre s’est tarie et les prix ont explosé. Le chiffre d’affaires annuel de Zao dépasse aujourd’hui les 200m$ amenant l’artiste sur la troisième marche du podium mondial, selon un classement provisoire d’Artprice établi en décembre 2019. Les sociétés de ventes installées en Chine continentale, et surtout à Hong Kong, recherchent constamment des oeuvres pour alimenter leurs catalogues, tandis que les sociétés de ventes en France tentent de conserver le bénéfice d’une offre encore dense sur place. Le record de vente établi en France pour une œuvre de Zao date d’ailleurs de cette année 2019, avec un sommet français de 5,2m$ obtenu chez Artcurial Paris en juin dernier (24.1.61/62), bien loin derrière le sommet hongkongais de l’artiste. Désormais, la concurrence est rude entre l’Est et l’Ouest pour la dispersion de ses œuvres qui comptent parmi les plus cotées de notre époque, et dont la phénoménale progression des prix (+1082 % depuis 2000) participe à la santé du marché international.

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Zao Wou Ki – Indice des prix – Copyright Artprice.com