Valse millionnaire pour la France

[20/06/2017]

Deux corps dansent enlacés. Ils valsent. A l’origine de l’une des sculptures les plus célèbre et passionnée de l’histoire de l’art, les deux corps étaient entièrement nus. Camille CLAUDEL (1864-1943) n’eut d’autre choix que de draper le corps féminin en 1901 suite au rapport de l’inspecteur de l’Académie des Beaux-Arts. Sans ce surcroît de pudeur, l’administration française n’aurait pas délivrée d’accord pour une commande de l’État. L’artiste réalisa plusieurs versions « de pudeur », la plus impressionnante étant pourvue d’un drapé déferlant comme une vague sur les deux amants sculptés. Cette première version permit à Camille d’éviter le scandale tout en ajoutant encore à la beauté de la scène. Une autre version fut vendue le 11 juin dernier en France. Celle-ci laisse à nu le torse de la danseuse. Il s’agit d’un bronze de 46,7 centimètres de hauteur fondu du vivant de l’artiste, une information importante puisque de nombreux exemplaires posthumes furent réalisés par la suite. L’émergence de cette Valse aux enchères relève d’une histoire telle que le marché l’aime et telle que le territoire français est capable d’en produire encore régulièrement : l’oeuvre avait en effet disparu pendant une centaine d’année, avant d’être retrouvée l’an dernier dans une maison de famille de l’Oise.

Estimée pour un montant équivalent à 559 000 $, cette Valse s’envolait pour 1,31 m$ signant un record pour ce sujet sur le territoire français, le record absolu de l’artiste en France étant tenu pour le marbre L’aurore vendu 3,1 m$ (Cornette de Saint Cyr à Paris en 2014). Les 1,31 m$ emportés le 11 juin 2017 par La Valse témoignent d’une bonne circulation de l’information dans le maillage du marché hexagonal, d’autant que cet important résultat est enregistré par une société de ventes française provinciale, Rouillac au château d’Artigny, à Montbazon (dans l’Indre). L’oeuvre reste par ailleurs dans la famille de l’artiste, l’acquéreur n’étant autre que la petite-nièce de Camille Claudel, Reine-Marie Paris, dont la grand-mère épousa le frère de Camille, Paul Claudel. Historienne de l’art et codétentrice du droit moral sur les œuvres de sa grande tante, Reine-Marie Paris a révélé l’oeuvre de Camille et écrit plusieurs ouvrages, dont le Catalogue raisonné de ses œuvres (en 1990, 2000 et 2004).

Emblématique, La Valse est l’un des sujets les plus convoités de Claudel et de la sculpture du XIXème de façon plus générale. La première version de l’oeuvre, pourvue d’un drapé plus puissant que celle vendue le 11 juin dernier, et de dimension plus importante (96 cm) tient d’ailleurs le record absolu de l’artiste à hauteur de 8 m$, suite à une vacation du mois de juin 2013 chez Sotheby’s, à Londres… un record affichant au demeurant 10 m$ de moins que le sommet pour une œuvre en bronze de la main d’Auguste Rodin, son amant et mentor pendant de nombreuses années (Rodin, Eve, grand modèle-version sans rocher, vendue plus de 18,9m$ le 6 mai 2008 chez Christie’s à New York). A l’époque de la création de La Valse, en 1893, Camille s’est émancipée du maître. Elle connait une période de création féconde dans un atelier qu’elle loue boulevard d’Italie. C’est aussi l’époque de la création de Clotho, la vieille Parque au corps flasque, et de la délicate et juvénile Petite Châtelaine, dont le marbre de 32,7 cm s’est vendu l’an dernier pour 1,445 m$ à New York (Christie’s, le 12 mai 2016).

Depuis 10 ans, le marché français se dispute les œuvres de Camille Claudel avec Londres et New York, la grande majorité des œuvres se trouvant encore sur le territoire français (63% des lots sont vendus en France pour 34 % du produit de ventes mondial des œuvres de Camille Claudel). C’est au cœur de ce vivier français que des sculptures circulent dans une fourchette de prix moyenne de 10 000 à 30 000$, sous la signature de Claudel comme sous celle de Rodin, dont Paris fête le centenaire de la mort. L’exposition des plus grands chefs-d’oeuvre de Rodin est d’ailleurs en cours au Grand Palais de Paris, jusqu’au 31 juillet 2017.