Un tournant pour les Rencontres d’Arles

[21/07/2015]

 

Sous l’humble étendard des « Rencontres de la photographie » se distingue l’une des plus grandes manifestations dédiées à la photographie en Europe, un festival fondé en 1970 par le photographe arlésien Lucien Clergue, l’écrivain Michel Tournier et l’historien Jean-Maurice Rouquette. Ce rendez-vous incontournable est ouvert jusqu’au 20 septembre 2015 dans la ville d’Arles. Il attirera, comme chaque année, plus de 80 000 visiteurs dans divers sites. Cette 46e édition était d’autant plus attendue que le directeur a changé, Sam Stourdzé ayant succédé aux 12 ans de mandat de François Hébel. Pari réussi pour le nouveau directeur qui a resserré l’évènement autour d’une trentaine d’expositions (contre une cinquantaine les années précédentes).

La découverte se déroule au grès de six grandes rubriques : Relecture, Résonances, Je vous écris d’un pays lointain, Les plateformes du visible, Les étranges collectionneurs et Emergences. Cette 46e édition cherche à décloisonner, tel est le message du commissariat regroupant le chanteur Mathieu Chedid et le photographe Martin Parr, dans l’église des Frères Prêcheurs (jusqu’au 30 août). Elle s’appuie sur deux photographes américains majeurs, Walker Evans (1903-1975) et Stephen Shore (né en 1947) pour l’une des expositions parmi les plus remarquées (au musée départemental Arles antique), mais encore sur une sélection de photographes congolais qui semble répondre à l’exposition actuelle de la Fondation Cartier (Beauté Congo, 11 juillet-15 novembre 2015) et accorde un beau chapitre à la scène japonaise, dans un parcours subtile orchestré par Simon Baker, conservateur pour la photographie à la Tate Modern de Londres.

Le Japon à Arles est l’une des plus belles expositions de ces Rencontres. Elle réactive New Japanese Photography, l’exposition du MoMA qui avait fait découvrir la photographie japonaise en Occident en 1974. Parmi les huit artistes réunis à Arles sous le titre Another Language, il est des figures tutélaires de la photographie japonaise, telles que Daido MORIYAMA, Eikoh HOSOE et Masahisa FUKASE. Les clichés noirs et blancs nous transportent dans l’œuvre mélancolique d’Eikoh Hosoe, inspirée du théâtre et du Buto. Né en 1933, Eikoh Hosoe est un artiste reconnu, dont la réflexion sur le corps et l’identité traverse tout l’oeuvre. Une exposition itinérante faisait découvrir son œuvre à travers les Etats-Unis entre 1991 et 2000. A Arles, on retrouve ses clichés de danseur de butō travesti en femme, des œuvres rarement exposées ailleurs en France.
Daido Moriyama (né en 1938) ouvre une autre fenêtre sur le Japon de la seconde moitié du 20e siècle, chassant les images dans les rues étroites de Shinjuku. Ses tirages aux contrastes appuyés répondent à la texture riche des clichés de Masahisa Fukase (né en 1934), l’un des photographes les plus chers et les plus recherchés de la photographie japonaise contemporaine. Fukase a notamment collaboré avec Araki Nobuyoshi, Hosoe Eikō et Moriyama Daidō dans les années 70′. Aujourd’hui, il est difficile d’acquérir ses œuvres en salles tant elles sont rares. Ces artistes restent en marge du marché des enchères, qui n’a jamais été une priorité pour eux. Rares et importants, ils ne sont pas pour autant hors de prix (leurs photographies sont accessibles entre 3 000 et 6 000 $ en moyenne). Le Festival n’est pas un salon d’art, il ne mise pas en premier lieu sur des artistes qui ont la cote, sa priorité est d’ouvrir (ou de ré-ouvrir) des chapitres importants de l’histoire de la photographie.

La prochaine édition des Rencontres profile déjà sa plus grande mutation. Toute la géographie d’Arles se transforme en effet depuis le rachat des Ateliers SNCF (où se tiennent la majorité des expositions) par Maja Hoffmann, la grande mécène suisse d’Arles à la tête de la Fondation Luma. La rénovation de ces bâtiments par l’architecte Frank Gehry doit être achevée pour l’été 2016. Pour la 47e édition, la Fondation Luma aura alors récupéré l’intégralité des ateliers SNCF, ou devrait être exposée la collection Hoffmann.

Les artistes cités dans cet article : Lucien CLERGUEMartin PARRWalker EVANSStephen SHOREDaido MORIYAMAEikoh HOSOEMasahisa FUKASENobuyoshi ARAKI