Tracey Emin rencontre Edvard Munch
[30/04/2021]The Loneliness of the Soul, exposition croisée de Tracey EMIN & Edvard MUNCH à la Royal Academy of Arts de Londres, devrait rouvrir ses portes le 18 mai et ce jusqu’au 1er août. Nous l’avons visitée sur le site Web de la Royal Academy.
La Royal Academy n’a pas choisi Tracey Emin par hasard. La vénérable institution britannique a grandement contribué à faire connaître l’artiste. La première fois en 1997, en exposant sa célèbre tente brodée avec les noms de toutes les personnes avec lesquelles elle avait passé la nuit : Everyone I Have Ever Sleep With 1963-1995 (1995), œuvre achetée par Charles Saatchi et aujourd’hui détruite dans un incendie. C’est aussi à la Royal Academy que l’artiste sera nommée académicienne royale 10 ans plus tard, et deviendra, dans les années 2010, l’une des seules professeures depuis la fondation de l’institution en 1768.
Dialogue de deux âmes sœurs
L’admiration de Tracey Emin pour Edvard Munch (1863-1944) débute dès son plus jeune âge. La Britannique a une révélation artistique en découvrant l’œuvre de Munch à travers un livre sur l’Expressionnisme et cette inspiration l’a toujours accompagnée depuis. Dès 1998, Emin fait référence à Munch à la fois dans le titre et dans le lieu de son film “Homage to Edvard Munch and all my dead children” où on la voit nue, recroquevillée en position fœtale sur une jetée en bois au bord du fjord d’Oslo à Asgardstrand, précisément là où Munch a peint plusieurs œuvres bien connues. Puis elle se met à hurler, en référence, évidemment, à la célèbre toile Le Cri (1893, image ci-contre) du maître scandinave.
L’idée de cette exposition commune est venue à Tracey Emin (ci-contre) lors d’une visite aux archives Munch à Oslo, se trouvant alors en parfaite harmonie avec l’univers de son idole artistique. Elle obtient une carte blanche du musée pour organiser cette petite mais puissante exposition, avec une sélection soigneusement étudiée de 19 peintures à l’huile et aquarelles du peintre norvégien (issues de la collection et des archives MUNCH), aux côtés de 25 de ses œuvres, principalement des toiles mais aussi des néons, et quelques sculptures.
Malgré tout ce qui oppose a priori les deux artistes : leur sexe, leur siècle de naissance, leur origine géographique et leur culture, l’exposition vise à montrer combien ils sont malgré tout liés. Les deux artistes partagent la même intensité émotionnelle brute et explorent les territoires sombres de la psyché. La douleur et la couleur les rassemblent également, surtout le rouge du sang de la passion et de la colère, d’une douleur si intense qu’elle en devient physique. Tous deux ont montré des tendances autodestructrices mais ont également toujours trouvé consolation dans l’art.
Ce qui plaît ou déplaît au marché
Le 25 mars dernier, le père du fameux cri était à l’honneur chez Sotheby’s à Londres pour la vente de deux tableaux. Un véritable événement compte tenu du peu d’œuvres en circulation sur le marché et de la qualité de celles alors proposées : Étreinte sur la plage, peinte en 1904, et un Autoportrait à la palette, daté de 1926.
Mariage de couleurs vives et contrastées, perspectives singulières, personnages fantomatiques, étrangeté, faisaient la qualité d’Étreinte sur la plage issue d’une grande famille de collectionneurs norvégiens, les Olsen, qui en avait fait l’acquisition en 2006 pour près de 11m$. Elle a cette fois doublé sa valeur, atteignant 22,4m$ pour prendre la cinquième place au palmarès des adjudications de l’artiste.
Edvard Munch, Etreinte sur la plage (1904), vendue pour 22,4 m$ le 25 mars 2021.
De même provenance mais beaucoup moins séduisant (malgré la rareté de l’occasion), l’Autoportrait à la palette est parti pour 5,9m$ “seulement”, sommes nous tentés d’écrire. Il en était attendu bien au-delà, mais le visage sévère au regard perçant de Munch, son front et menton froncé arborant un air proche du dégoût, n’ont pas conquis suffisamment les grands collectionneurs.
Il en va tout autrement pour l’autoportrait symbolique de Tracey Emin – son fameux My Bed – bien qu’il n’ait rien, esthétiquement, de “séduisant”. Cette installation génère même une forme de dégoût chez le spectateur confronté à un lit souillé, à quantité de bouteilles d’alcool vides, de mouchoirs sales, de mégots de cigarettes, de traces “trash” d’une vie dissolue… L’installation est pourtant partie au prix record de 4,3m$ chez Christie’s Londres en 2014. Mais cette œuvre, qui fut en lice pour le Turner Prize en 1999, est emblématique des recherches d’une Tracey Emin qui n’hésite pas à plonger dans les profondeurs du désespoir pour livrer ses témoignages de “la solitude, la vulnérabilité et la fragilité des émotions”… c’est peut-être là qu’elle rencontre le mieux Munch, dans cette traversée des profondeurs qui sous-tend toute l’exposition de la Royal Academy.
Suite monumentale de l’exposition à Oslo…
Après Londres, le dialogue entre le pionnier au style radical et l’une des figures majeures de l’art contemporain se poursuivra à Oslo, dans le nouveau musée consacré à l’artiste norvégien qui contient pas moins de 28 000 de ses œuvres. Pour parfaire le décor, The Mother, une sculpture de neuf mètres de haut réalisée par Emin devrait y être installée, surplombant le front de mer d’Oslo.
Tracey Emin, 2007. Photo Piers Allardyce