Retour sur Frida Kahlo, artiste la plus cotée du continent latino-américain

[01/03/2022]

En novembre dernier, Frida Kahlo devenait l’artiste la plus cotée du continent latino-a,éricain grâce à une petite toile de 30 x 22 centimètres. Retour sur la revalorisation de Diego y yo et de l’une des personnalités les plus aimées de toute l’histoire de l’art.

 

Annoncé comme « l’un des lots vedettes à la soirée de ventes d’art moderne de New York » en novembre 2021, Diego y yo (Diego et moi) avait déjà été vendu chez Sotheby’s pour 1,4 m$ en 1990. A l’époque, Frida KAHLO (1907-1954) devenait le premier artiste latino-américain à dépasser le million de dollars aux enchères. Trente ans plus tard, la même société d’enchères révisait le prix de cette toile autour de 30 millions de dollars. Une revalorisation puissante, qui a visé juste compte tenu de la passion que suscite l’iconique Frida…  

Diego y yo est emblématique des autoportraits au regard intense et énigmatique qui ont fait la célébrité de la peintre mexicaine, décédée en 1954 à l’âge de 47 ans. Dans cette peinture achevée en 1949, le visage de son amour et mentor Diego Rivera (avec qui elle a été mariée à deux reprises) apparaît sur celui de Frida, au-dessus de ses yeux noirs, d’où s’échappent quelques larmes. Rivera, qui s’était à l’époque rapproché de l’actrice mexicaine Maria Felix, est représenté ici avec un troisième œil, signe des tourments qu’il cause à son épouse Frida.

Diego y yo constitue donc un autoportrait magnétique autour de la relation de Frida avec Diego. Frida fait d’ailleurs apparaître sur la toile le nom de son cher Diego avant le sien et fait allusion à elle-même comme à un simple “je”. Elle peint le visage de Diego sur son front, afin qu’il domine son visage, tout comme son nom. Ce genre d’œuvre correspond exactement à ce dont raffole les grands collectionneurs et les musées : un sujet à forte dimension autobiographique, dans lequel se mêle la passion et le tourment.

Leïla Jarbouai, commissaire d’une exposition sur Frida Kahlo au musée de l’Orangerie en 2013-2014, explique que la relation de Frida avec Diego Rivera “était aussi un des mythes du XXe siècle et sa présence (de Diego) augmente la valeur de l’œuvre, d’autant qu’il est rarement représenté dans ses autres tableaux.” “Cet autoportrait minimaliste est poignant et résume, selon Madame Jarbouai, tous les thèmes travaillés par l’artiste.”

On conçoit mieux dès lors que cette toile mesurant 30 x 22 centimètres se soit envolée au seuil des 35 m$ le 16 novembre dernier, entraînant une extraordinaire revalorisation de l’artiste mexicaine dont le précédent record culminait à 8 m$, avec Dos desnudos en el bosque (La tierra misma), vendue chez Christie’s en 2016. Entre 2016 et 2021, le record de Frida Kahlo a ainsi gagné 27 millions de dollars. 

Frida plus valorisée que Diego, bientôt que Van Gogh?

“Le résultat exceptionnel de ce soir renforce la place de [Frida Kahlo] dans l’échelon des enchères auquel elle appartient, en tant que l’une des véritables titans de l’art du XXe siècle”, déclarait Julian Dawes, co-responsable de l’art impressionniste et moderne de Sotheby’s à New York, juste après la vente de Diego y yo. Un “titan” d’autant plus important que le tableau est devenu l’œuvre latino-américaine la plus chère de l’histoire vendue aux enchères, devant une oeuvre de… Diego RIVERA.

Jusqu’alors, le travail de Frida Kahlo était beaucoup moins valorisé que celui de son protecteur, du vivant de l’artiste comme après sa mort. Mais la vente de cet autoportrait a  renversé la vapeur. Cette fois, une œuvre de Frida battait enfin le record absolu de Diego, et de très loin : Diego Rivera n’a jamais atteint le seuil des 10 millions de dollars aux enchères, tandis que les 34,8 m$ obtenus pour Diego y yo démontre la passion du marché de l’art pour ce que Frida a incarné dans son œuvre comme dans sa vie.

Nous pourrions comparer les autoportraits de Frida Kahlo à ceux de Vincent Van Gogh (1853- 1890). Tous deux ont témoigné de leur souffrance psychologique et de l’angoisse face à la fragilité de leur santé. Tous deux ont développé un style pictural absolument unique. Tous deux sont des icônes absolues du XXe siècle… Le chemin n’est peut-être pas si ardu avant qu’une toile de Frida Kahlo atteigne les sommets d’un Vincent VAN GOGH, dont le record pour un autoportrait culmine à 65 m$ et le record absolu affiche 82,5 m$ avec la vente du célèbre Portrait du Docteur Gachet en 1990 (Christie’s). Le principal frein pour voir Frida briller aussi haut que Van Gogh est la rareté des œuvres. L’artiste n’a pas peint un grand nombre d’œuvres en raison de sa mauvaise santé. Par ailleurs, la plupart des collections comprenant ses œuvres sont au Mexique et peu circulent sur le marché de l’art. L’emblématique Diego y yo a d’ailleurs rejoint la “collection Eduardo F. Costantini”, du nom du chef d’entreprise et collectionneur argentin, fondateur du musée des arts latino américains (Malba) de Buenos Aires. En dehors des collections privées, une seule peinture est visible du public dans un musée européen: “The Frame”, conservée au Centre Pompidou à Paris.