Quoi de neuf à Singapour ?

[26/01/2016]

 

La cité-état de Singapour a bien des atouts pour exister dans la géopolitique du marché de l’art. C’est une zone de brassage au bout de la péninsule malaise où foisonnent les cultures, où circulent les artistes, où se concentrent les milliardaires. C’est surtout une Suisse de l’Asie qui mise sur la culture comme facteur d’attractivité… Depuis le plan Renaissance lancé en 2000 et ses importants investissements gouvernementaux, les musées et galeries ont fleuri à Singapour, les sociétés de ventes Christie’s, Sotheby’s et Borobudur s’y sont ancrées, et les transactions privées ont pu se développer d’autant plus aisément qu’un port-franc hautement sécurisé facilite le commerce.

Le grand moment du calendrier annuel de Singapour vient de s’achever avec la sixième de la Art Stage, foire d’art contemporain lancée par Lorenzo Rudolf (l’ancien directeur d’Art Basel) en 2010. Cette grande foire attire chaque année plus de 50 000 visiteurs. Le chiffre reste certes bien en-deçà de celui des autres grandes foires internationales (plus de 70 000 pour la Fiac à Paris et près de 100 000 pour la Art Basel de Bâle) mais c’est un très bon taux de visites pour cette partie du globe (pour information, la plus importante foire asiatique, Art Basel Hong Kong, attire 60 000 visiteurs).
En 2016, Art Stage s’est élargie en nombre d’exposants, avec 170 galeries présentes au Convention Center du Marina Bay Sands, contre moins de 160 il y a deux ans. L’ancrage de la foire reste quant à lui fidèle à son objectif premier qui est de s’imposer comme une plateforme pour les acteurs asiatiques. Ainsi, comme lors des précédentes éditions, 75 % des exposants étaient des galeristes basés en Asie. Des galeries venues de Singapour bien sûr, mais aussi de Bangkok, Taiwan, Seoul, Bombai, Jakarta, Tokyo, Shanghai, Pékin et Hong Kong. Ce parti pris d’un focus asiatique est aussi le meilleur gage de réussite commercial pour les galeries, car, c’est un fait, les acheteurs asiatiques privilégient l’achat de leurs compatriotes : les artistes chinois se vendent mieux en Chine, les japonais au Japon, les français en France… les collectionneurs de chaque pays montrant naturellement un intérêt plus vif pour l’histoire et la culture avec lesquels ils se sont forgés, avant de s’ouvrir, éventuellement, à d’autres langages de création et d’autres cultures.
Rares sont les exposants venus de New York, Londres où Paris. Certains acteurs occidentaux présents depuis les débuts de la foire ont d’ailleurs manqué à l’appel cette année, comme Emmanuel Perrotin, Edouard Malingre, et plus modestement Paris-Beijing… Fort heureusement, d’autres galeries internationales importantes restent fidèles, comme la White Cube, basée à Londres et à Hong Kong.

Afin de réfléchir à de nouveaux débouchés pour l’art et la culture, Art Stage organisait cette année un nouveau forum au sein de la foire, consacré à l’Asie du Sud-Est. Intitulé Sismographe : Sentiment de la Ville – Art dans l’Âge Urbain, l’objectif du forum étant de renouveler les débats sur le rôle de l’art contemporain dans la région. Comment l’Asie prendra-t-elle le virage de l’art contemporain dans son urbanisme ? Plusieurs artistes, dont Sherman ONG (singapourien), Norberto Roldan (philippin), Aliansyah Caniago (indonésien) expliquaient leurs visions et leurs projets en cours, ainsi que d’autres acteurs importants tels que Jean de Loisy (directeur du Palais de Tokyo) l’architecte Rem Koolhaas et le commissaire priseur Simon de Pury. La Art Stage continue donc à déplacer le monde de l’art et demeure un important catalyseur culturel sur place.

Une centaine d’évènements artistiques se jouaient d’ailleurs à Singapour pendant la semaine agitée de la foire. Une agitation essentielle pour de nouveaux pôles culturels dont l’activité est par ailleurs loin d’être débordante le reste de l’année, malgré le travail de fond mené sur place. Dans le quartier Gillman Barracks, l’ancien quartier de baraquements de l’armée britannique des années 1930 transformés en galeries et lieux de résidences pour artistes, c’était le moment pour dynamiser des affaires loin d’être au beau fixe le reste de l’année. Les lourds investissements du quartier et les paris pris par les galeries venues s’installer là, telles que les galeries Arndt, Shanghart, Mizuma, Fost gallery ou Pearl Lam, sont loin d’être payants. Le pôle Gillman Barracks n’est pas encore le hub arty escompté, mais plutôt un lieu déserté par les visiteurs la majorité de l’année. L’attrait pour Singapour en nouvelle ville culturelle aurait-il été surestimé ? L’activité sur le strict marché de l’art ralentit en tous cas considérablement. Les sociétés de ventes de Singapour ont subi une lourde perte de recettes l’année dernière, passant de 35,9 m$ de résultats en 2014 à seulement 17,9 m$ en 2015. La cité-état est aujourd’hui la 28ème place de marché mondial en terme de performance pour le Fine Art aux enchères.