PICASSO GRAVEUR – Une œuvre prolixe, un marché complexe.

[21/05/2006]

 

Le peintre le plus emblématique du XXème siècle fut aussi un génial sculpteur, assembleur, défricheur de territoires inconnus et graveur. Entre 1899 et 1973, Picasso réalise plus de 2000 estampes. Sa curiosité insatiable et son goût pour le défi ont donné lieu à cette production prolifique et complexe, dans laquelle l’artiste n’hésite pas à expérimenter les diverses techniques de la gravure, voire à en inventer de nouvelles.
L’œuvre gravée occupe donc une place incontournable dans sa production globale mais doit être acquise avec discernement.

Le marché des estampes de Picasso peut paraître difficile à cerner au premier abord. Ses multiples inondent littéralement le marché de l’artiste, représentant 65 % du nombre de transactions depuis 1997 pour 6% du chiffre d’affaires de ses œuvres passées en ventes publiques. L’amplitude des prix varie de quelques euros à plusieurs centaines de milliers. 60% des quelques 9 000 pièces échangées en 10 ans se sont négociées moins de 5 000 €. Comment s’y repérer ?
L’acheteur se doit de prendre en compte quelques éléments dont : la rareté, la date du tirage, les états (variants selon les stades de l’élaboration du travail de gravure de la planche), la conservation, les particularités du support et le sujet représenté.Toutefois, ces pièces sont peu porteuses. En 10 ans, leur cote n’a progressé que de 4%.

Le Repas frugal, présenté en 2004 chez Christie’s Londres, condensait les qualités nécessaires pour établir un record. Tiré tout de même à 250 exemplaires, cette eau-forte sur zinc de 1904 est cependant emblématique de la fin de la période bleue de Picasso. Forte d’une enchère à 400 000 GBP en 2002 dans la même maison de vente, l’œuvre culmina à 550 000 £ (785 180 €), soit le prix d’une huile sur toile du même artiste ! Autres sujets remarquables sur lesquels l’amateur portera son attention : La Femme qui pleure (1937) réalisé après le bombardement de Guernica, Les Trois Grâces (1923), Femme au collier ( 1920), Le Saltimbanque au repos (1905) ou la célèbre Minotauromachie (1935) qui détient la plus haute enchère, acquise 2,15 millions de CHF (1 278 285 €) chez Kornfeld, Bern, en 1990 par le Metropolitan Museum.

Autres estampes recherchées sur le marché : les gravures de la suite Vollard (1930-1937), de la Suite 347 (1968) et de la Suite 156 (1970-1971). Concernant ces deux dernières séries, qualifiées par le nombre de planches composant la suite, les œuvres s’échangent entre 2000 et 9000 € en moyenne et passe parfois les 10 000 € selon la qualité du sujet. La plus belle adjudication enregistrée pour un papier de la Suite 347 est détenue par Ménines et gentilshommes dans la Sierra, tirée à 50 exemplaires seulement et vendue 12 000 GBP (17 563 €) en 2005 chez Christie’s Londres. Fait rarissime pour ces Suites : l’acquisition d’une série complète. Le cas ne s’est pas représenté depuis 1999, époque à laquelle l’ensemble fut acheté 900 000 $ (851 969 € chez Sotheby’s NY), soit un prix moyen de 2 600 € par planche.

Certaines suites ne sont pas caractérisées par l’hétérogénéité des sujets mais par les divers « états » de l’œuvre. Entre alors en ligne de compte l’équilibre et la lisibilité du sujet et le travail d’ombre et de lumière. Entre décembre 1945 et janvier 1946, Picasso réalise 11 états différents pour Le Taureau, un sujet phare dans son œuvre derrière lequel certains ont reconnu une allégorie de l’artiste. Au fil de son exploration, l’artiste métamorphose l’animal, le simplifie, pour ne conserver de son anatomie que les quelques lignes épurées du dernier état. Les papiers de cette série s’échangent en moyenne entre 3 000 et 10 000 €. L’étonnante planche finale partait en 1999 pour 6 500 $ (6 133 €, Christie’s NY) et un état intermédiaire (le 7éme) doublait son estimation basse en 2002 pour une acquisition à 6 500 £ (10 317 €, Christie’s Londres).