Paul Klee, géant discret de la modernité

[26/04/2016]

 

Paul KLEE, artiste inclassable, passionné de musique et de signes, auteur de presque dix mille œuvres, est fêté au Centre Pompidou. L’exposition “Paul Klee, L’ironie à l’œuvre” réunit 230 peintures, sculptures et dessins, depuis le 6 avril et jusqu’au 1er août 2016, grâce à d’importants prêts issus de collections internationales, du Zentrum Paul Klee, et de collections privées. La moitié des œuvres sont montrées pour la première fois en France.

Cette rétrospective est bienvenue, car aucun hommage de cette envergure ne lui avait été consacré en France depuis 47 ans. Sa dernière rétrospective parisienne au musée national d’art moderne remonte en effet à 1969 et la précédente à 1948. Celle d’aujourd’hui est organisée selon sept sections thématiques visant à mettre en lumière les différentes étapes de son évolution artistique. Le parcours s’ouvre sur les débuts satiriques, et se poursuit sur : Cubisme ; Théâtre mécanique (dada); Constructivisme (les années au Bauhaus) ; Regards en arrière (les années 1930) ; Picasso (Klee après la rétrospective de Picasso à Zurich en 1932) ; Années de crise (entre la politique nazie, la guerre et la maladie)… le tout proposé sous un angle sciemment choisi, celui d’une ironie toujours présente dans l’oeuvre. Klee l’affirmait combien cette ironie servait son travail en disant notamment “je sers la beauté en dessinant ses ennemis”.

Repères biographiques

Né près de Berne en Suisse en 1879, dans une famille de musiciens, Paul Klee s’installe à Munich en 1906 avec sa femme Lily, une pianiste. Après des années d’apprentissage et d’introspection, il adhère au groupe du Blaue Reiter. Il voyage aussi : Paris en 1912, et Tunis en 1914. En octobre 1920, Walter GROPIUS l’invite à enseigner au Bauhaus, récemment fondé à Weimar. Il est chassé de son emploi d’enseignant par les nazis en 1933 et part se réfugier en Suisse. Classé “artiste dégénéré “, 17 de ses œuvres sont présentées pour l’exposition “Art dégénéré” de Munich en 1937 et 200 œuvres sont saisies dans les collections germaniques. Il ne cessera jamais les révoltes parodiques et les irrévérence vis à vis de la République de Weimar. Même en fin de vie, la production reste impressionnante (plus de 1 200 œuvres sur la seule année 1939). Klee meurt en Suisse, à l’âge de 60 ans (en 1940), laissant derrière lui l’une des œuvres les plus importantes du XXe siècle, pourtant toujours mal connue du grand public en France.
Peut-être est-il resté plus confidentiel que ses contemporains Picasso, Delaunay ou Kandinsky parce que volontairement – et ironiquement – insaisissable. Paul Klee fut, il est vrai, détaché des grands courants artistiques. Bien sûr, il s’est nourri des révolutions créatives de son époque, à savoir le cubisme, le dadaïsme, l’abstraction et le constructivisme, mais sans se rallier à une tendance particulière. Il a joué, pioché ce qui l’intéressait, et détourné les choses avec humour et poésie. Préférant la transgression à l’imitation, il affirmait “je suis mon propre style”.

Paul Klee vu par le marché

Parce qu’il est un électron libre incontournable de la modernité et qu’il eut une influence capitale sur l’évolution de nombreux artistes (dont ZAO Wou-Ki), Paul Klee a son cœur de marché à New-York, la première place mondiale, (39% du chiffre d’affaires), devant Londres (34%). Les pays européens drainent moins d’oeuvres que la Suisse (10% du chiffre d’affaires), où il vécu et créa ardemment pendant sept années. Néanmoins, les œuvres les plus importantes ont tendance à partir se vendre à Paris plutôt que dans une société de ventes Suisse, lorsqu’elle ne sont pas intégrées au ventes de prestigieuses anglaises et américaines. Le record suisse de Klee avoisine les 1 m$ pour un dessin réalisé en 1922 et mesurant 26 centimètres de haut (chez Kornfeld Galerie & Cie à Berne le 6 juin 2008). Tandis que son record absolu concerne une peinture vendue près de 7 m$ à Londres en 2011 (Tänzerin, 1932, 66 x 56 cm, Christie’s le 21 juin 2011). Les œuvres sur toiles constituent la part la plus ténue de son marché : 8%, contre 48% de dessins vendus.
Actuellement, le marché de Paul Klee est mieux alimenté que d’habitude, et l’on doit ce flux renouvelé à l’effervescence de l’exposition en cours au Centre Pompidou. Ainsi, lors des ventes londoniennes qui ont eu lieu au début du mois de février 2016, Sotheby’s, Christie’s et Bonhams ont mis en vente 14 de ses œuvres. Sur ces 14 propositions, 12 œuvres ont changé de propriétaires, pour des sommes allant de 27 000 $ à 384 000 $ selon l’importance du dessin. La cote des dessins de Klee s’est ainsi rapprochée de celle des dessins de Kandinsky, même si l’évolution des prix du premier est globalement moins importante que le second. L’indice des prix de Klee affiche en effet une hausse de 20% en 10 ans, tandis que celui de Kandisky a grimpé de 140%. A l’heure actuelle, un large panel d’oeuvres est accessible pour moins de 5 000 $ sur le marché des enchères, grâce à son travail d’estampes (42% des transactions). Mais en matière de gravures, le marché de Klee est affaire d’initiés, certaines épreuves étant plus chères que des dessins. Le record du genre est tenu depuis 2005 par Ein Mann versinkt vor der Krone, Invention 7, une superbe épreuve de 1904 partie pour 117 900 $ chez Kornfeld Galerie & Cie à Berne.
Quid d’une œuvre de Klee plus facilement abordable ? Elles existent : la maison de ventes allemande Doebele présente d’ailleurs une petite lithographie de 1920 le 30 avril 2016, estimée 510 $ seulement. A ce prix, la feuille n’est malheureusement pas signée par l’artiste… (Riesenblattlaus, Lithographie, 13,8 cm x 6 cm, Doebele – Kunstauktionen).