Mondrian : J-3

[11/11/2022]

Dans quelques jours, le 14 novembre, Sotheby’s propose aux enchères un important tableau du peintre Néerlandais Piet MONDRIAN, pionnier de l’abstraction européenne. Cette toile intitulée Composition n°II  date de 1930, époque où l’artiste résidait à Paris pour y affiner son style.

Considérées comme des toiles charnières dans l’art moderne, chaque apparition de  compositions abstraites de Piet MONDRIAAN (1872-1944) est toujours un petit évènement sur le marché de l’art. Mais cette toile est particulièrement attendue pour deux raisons. Tout d’abord, Sotheby’s pourrait renouveler le record actuel de l’artiste en dépassant le seuil des 50 millions de dollars, car le le dernier record en date, a été établi à 50,5m$ en 2015 par la principale concurrente de Sotheby’s : Christie’s (Composition No. III, with Red, Blue, Yellow, and Black). Ensuite, elle arrive au moment précis où Mondrian fait parler le monde l’art, alors que fut revélé il y a quelques jours que l’une de ses toiles les plus importantes vient de passer 77 ans accrochée à l’envers !

Les atouts de Composition n°II

Emblématique d’une période charnière de l’art moderne, “Composition n°II est un chef-d’œuvre indéniable de l’artiste, portant les caractéristiques de l’approche révolutionnaire et élémentaire de la composition de Mondrian – lignes noires, formes de couleurs primaires et précision géométrique”, explique le président de Sotheby’s Europe, Oliver Barker, dans un communiqué de presse.

Effectivement, les œuvres de cette période et de cette qualité sont rarissimes sur le marché. Mondrian a réalisé environ 120 huiles de cette période dont dix-sept sont dominées par un rouge intense, comme dans la Composition n°II. Trois œuvres seulement de cette qualité sont détenues dans des collections privées.

Par ailleurs, cette toile affiche un pedigree de rêve : présentée pour la première fois en 1930 dans l’exposition inaugurale Cercle et Carré à Paris, l’œuvre a été prêtée par Mondrian à l’artiste suédois Otto Carlsund dans les années 1930, puis elle a brièvement séjourné dans la collection de l’artiste néerlandais César Domela à la fin des années 1940. Plus tard, Composition n°II a été conservée dans la collection Bartos jusqu’en 1983, date à laquelle elle a été vendue aux enchères par Christie’s, aux côtés d’œuvres importantes de Joan Miró, Alexander Calder, Fernand Léger et Mark Rothko. A l’époque de sa dernière vente, il y a près de 40 ans, sa valeur établie à 2,2m$ en faisait le plus coté des Mondrian, et l’une des œuvres abstraites les plus précieuses du monde.

Sa revente à New York lui assure une très bonne visibilité : c’est ici que Mondrian remporte ses plus belles enchères, car l’artiste a marqué l’histoire de l’art américain. Alors que son travail est exposé comme “Art dégénéré” dans l’Allemagne nazie en 1937, Mondrian se décide à quitter la France pour trouver refuge en Angleterre puis à New York. Ses abstractions vont alors jouer un rôle essentiel, en inspirant les artistes américains issus d’écoles aussi diverses que le Color Field, le Minimalism, et le Pop Art. Les collectionneurs américains le connaissent bien, et savent son importance dans leur histoire de l’art.

 

Mondrian : nombre de lots vendus aux enchères par an (copyright Artprice.com)

 

 

77 ans à l’envers

La toile arrive aux enchères 150 ans après l’année de naissance de Mondrian, et deux semaines après que l’artiste ait fait couler beaucoup d’encre suite à une révélation de Susanne Meyer-Büser, commissaire de l’ exposition “Mondrian: Evolution” au Kunstsammlung de Düsseldorf. Madame Meyer-Buser a découvert que la toile New York City I (1941) a été comprise et exposée à l’envers pendant 77 années. New York City I est une version au ruban adhésif de New York, exposé à l’endroit au Centre Pompidou à Paris. New York City 1 a été dévoilée pour la première fois au Musée d’Art Moderne de New York en 1945, soit un an après la mort du peintre. Lorsqu’il a été transmis au musée de Düsseldorf en 1980, le tableau a été exposé de la même façon : à l’envers !

Parmi les indices ayant orienté Madame Meyer-Büser dans le bon sens : une photo de l’atelier de l’artiste publiée dans un numéro de Town & Country en 1944 montre le tableau sur son chevalet, tourné à 180 degrés par rapport à la façon dont il est accroché depuis. Mondrian ayant considéré l’œuvre incomplète ne la pas signée, les conservateurs n’ont donc pas été en mesure d’orienter la peinture grâce à la signature.

New York City I ne sera pourtant certainement jamais remis dans le bon sens car “Les rubans adhésifs sont déjà extrêmement lâches et ne tiennent qu’à un fil”, explique Meyer-Büser. “Si nous devions le retourner maintenant, la gravité le tirerait dans une autre direction.” Et de conclure, que cette erreur fait désormais partie de l’histoire du tableau, et qu’elle ne l’en rend certainement que plus savoureux…