Michael Armitage, brève histoire d’un succès fulgurant

[16/04/2021]

Le marché de l’art contemporain affiche une nette préférence pour la peinture figurative, surtout si celle-ci aborde les thèmes des identités raciales et sexuelles. Les artistes les plus cotés Outre-Atlantique ont souvent un travail en lien avec les grands bouleversements sociaux-culturels du moment.

Les œuvres de Michael Armitage, artiste de 36 ans originaire du Kenya, sont ainsi arrivées sur le marché de l’art à ce moment clé dans la redéfinition des collections muséales, comme des collections privées américaines et britanniques. Celui dont personne ne regardait les œuvres il y a six ans selon ses dires, s’est imposé comme l’un des nouveaux météores du marché de l’art en un temps record.

Michael ARMITAGE peint sur du lugubo, l’écorce d’un figuier ougandais laquelle, une fois lavée, battue et étirée en tissu est traditionnellement utilisée pour des linceuls ou pour la confection de vêtements rituels, mais que l’on retrouve aussi dans des objets prosaïques sur les marchés touristiques de Nairobi. Ce matériau lui permet de planter les racines de sa peinture en Afrique de l’est, où il a passé son enfance.

Formé à la Slade School of Fine Art et à la Royal Academy de Londres, l’artiste obtient son diplôme en 2010. Depuis, Armitage est devenu l’un des représentants de la nouvelle peinture kényane que les collectionneurs s’arrachent. Plusieurs de ses toiles monumentales seront bientôt exposées au sein de la même Royal Academy, dans le cadre de l’exposition Paradise Edict.

Les toiles de Michael Armitage commencent à attirer l’attention lors de sa première apparition à la White Cube de Londres en 2015. La même année, il participe à diverses expositions collectives à New York, Pékin, Turin et en France, lors de la biennale d’art contemporain de Lyon. Puis, la White Cube fait découvrir l’artiste à Hong Kong en 2017, à travers l’exposition Strange Fruit, dont le titre fait référence à une célèbre chanson de protestation sur le lynchage des Afro-Américains.

Sur les toiles de fond accidentées et rugueuses de lugubo présentées par la White Cube, Armitage entrecroise des aspects réels et fantasmés du Kenya. Histoires, mœurs, idéologies politiques, ragots et souvenirs personnels se répondent dans une tension esthétique située entre “les traditions européennes et le modernisme est-africain”.

L’une des toiles exposée, Necklacing, attire l’attention du Metropolitan de New York, qui l’acquiert en 2018 auprès de la White Cube. L’œuvre représente un homme nu au visage clownesque, affublé d’un pneu autour du cou. Il s’agit d’une référence directe à une pratique de lynchage courante en Afrique du Sud dans les années 1980, consistant à incendier une personne accusée d’un crime, au moyen du pneu imbibé d’essence porté en collier. Enfant, Armitage a été témoin de l’un de ces règlements de compte d’une terrible violence à Nairobi.

“…The Conservationists s’envole pour 1,52 m$ aux enchères, soit 25 fois l’estimation moyenne fournie par Sotheby’s New York.”

En 2018 donc, l’artiste intègre l’une des collections muséales les plus prestigieuses qui soit. Peu après, tous les projecteurs se braquent sur lui, du côté des institutions comme du marché de l’art international. En 2019, ses peintures et dessins font sensation à la 58e Biennale de Venise (May you live in interesting times) et au MoMA à New York (Projects 110: Michael Armitage), tandis que sa toile The Conservationists (2015) s’envole pour 1,52 m$ aux enchères, soit 25 fois l’estimation moyenne fournie par Sotheby’s New York.

The Conservationists avait fait partie d’une exposition de la White Cube en 2016 et achetée par un grand collectionneur new-yorkais à cette occasion. Trois ans plus tard, l’œuvre atteint le prix d’un grand White nets de Yayoi KUSAMA – l’une des 30 artistes les plus cotées du monde – vendue le même jour chez Sotheby’s.
The Conservationists est arrivée en salle de ventes juste après les expositions à Venise et à New York renforçant l’aura de l’artiste et, surtout, dans une période où l’acquisition d’œuvres d’artistes africains s’affiche comme l’une des grandes priorités des musées et des collectionneurs des États-Unis et d’ailleurs.

Un marché sous tension

Le marché des enchères va vite, de plus en plus vite, alors que les galeries ont tendance à contrôler l’évolution de cote de leurs protégés, pour que cette évolution soit constante et durable. Les galeries se méfient généralement du phénomène de mode qui propulse rapidement les jeunes artistes à des niveaux de prix plus forts que ceux d’artistes contemporains plus connus. Il y a toujours un danger pour que le marché s’essouffle, qu’il passe à autre chose et que la cote dégringole. Mais lorsqu’il y a un soutien institutionnel, que les artistes sont exposés et achetés par les musées, la base est plus solide et les collectionneurs sont rassurés.

“Promu parmi les 10 artistes de la  “Peinture au nouveau millénaire” par la Whitechapel Gallery (2020).”

Même si la cote de Michael Armitage a flambé du jour au lendemain, nous ne sommes peut-être pas au bout de nos surprises tant il est soutenu. Promu parmi les 10 artistes de la  “Peinture au nouveau millénaire” par la Whitechapel Gallery (2020), Armitage exposait à la Biennale de Taiwan et à la Haus de Kunst de Munich en ce début d’année. En circulant, l’œuvre gagne en notoriété internationale et conquiert naturellement de nouveaux acheteurs potentiels. Il serait étonnant donc de voir sa cote s’essouffler dans les prochains mois si le principe de rareté des œuvres est maintenu en salles de ventes. Moins les œuvres seront nombreuses, plus les enchères grimperont. La loi d’une offre raisonnée face à une demande électrique devrait maintenir les prix, désormais millionnaires, du jeune trentenaire.