Max Beckmann, au coeur du marché allemand

[09/12/2022]

Selbstbildnis gelb-rosa de Max Beckmann a dépassé les 24 millions de dollars le 1er décembre à la Maison Grisebach de Berlin. Retour sur un artiste majeur qui pèse lourd sur le marché de l’art allemand.

Selbstbildnis gelb-rosa (Autoportrait jaune-rose) est une œuvre hors-norme dans ce qu’elle raconte de notre histoire commune, mais aussi dans ce qu’elle convoque du parcours personnel de Max Beckmann. Ce tableau est un autoportrait réalisé pendant l’exil de l’artiste à Amsterdam, où il se rend en 1937 après avoir entendu Adolf Hitler prononcer un discours condamnant les artistes “dégénérés”. C’est lors de cette même année 1937 que les autorités retirent ses œuvres des musées allemands. En Hollande, Beckmann entame une décennie prolifique en terme de production, mais c’est aussi une période d’isolement profond.

Ce tableau est offert par Beckmann à son épouse Mathilde, qui le conserve jusqu’à sa mort en 1986. L’autoportrait est ensuite acheté directement auprès de la famille Beckmann par un avocat de Brême. Il reste pendant des décennies dans une collection Suisse privée, jusqu’à ce que la famille de l’avocat ne décide de s’en séparer et qu’elle réalise pleinement combien cette œuvre comptait dans la production de Beckmann, donc dans l’histoire de l’art allemand.

“Lorsque j’ai posé les yeux pour la première fois sur cette peinture de qualité muséale – qui compte pour moi parmi les plus beaux et les plus frappants des autoportraits de Max Beckmann – j’ai moi aussi été fasciné par son allure. Qu’une œuvre d’une telle importance arrive sur le marché de l’art est un événement majeur, sans parler d’une opportunité unique pour les collectionneurs et les musées du monde entier”.  (Bernd Schultz, associé principal chez Grisebach)

 

Les historiens de l’art s’entendent tous pour dire que cet autoportrait est une oeuvre à part, portée par une utilisation inhabituelle de couleurs vives : du jaune pour le vêtement, et du rose pour définir les contours d’un cadre à l’arrière-plan. L’attitude troublante de Beckmann – bras croisés -, la force tranquille et la dignité de sa figure : tout exprime la souveraineté d’un “roi artiste” que rien ne fait vaciller, malgré les pièges qui lui sont tendus à l’époque.

“Aucune œuvre comparable n’avait été mise aux enchères en Allemagne depuis 1945” constatait Micaela Kapitzky, directrice de la Maison Grisebach, lorsqu’elle s’est vu confier cette vente, qui a marqué un moment fort pour le marché allemand.

Les enjeux d’une vente en Allemagne

La décision des vendeurs de passer par une maison de ventes allemande pour se défaire d’une toile si importante n’allait pas de soi, car les œuvres de cet acabit sont généralement réservées aux places de marché new-yorkaise et londonienne. La place de marché la plus gourmande étant celle de Londres, où l’on enregistre plus de la moitié des performances de Max BECKMANN aux enchères (56% du produit des ventes sur la dernière décennie, avant la vente de l’Autoportrait). Le marché allemand est certes bien positionné en tenant un tiers du résultat de l’artiste, mais l’on sait que le seuil des 10 millions de dollars est hors du commun sur place. Avant la vente de cet autoportrait, le plus haut montant atteint pour une oeuvre d’art sur le marché des enchères en Allemagne culminait en effet à 6,4m$, avec Weiblicher Kopf in Blau und Grau (Die Ägypterin) (1942)… autre chef-d’œuvre d’un Max Beckmann qui s’impose comme l’artiste le plus coté du marché allemand.

En choisissant de passer par la Maison Grisebach plutôt que par Christie’s ou Sotheby’s pour vendre Selbstbildnis gelb-rosa, les vendeurs ont fait confiance au marché allemand. L’enjeu était de taille s’agissant de la plus forte estimation pour un tableau jamais vendu en Allemagne, mais le pari est réussi : Selbstbildnis gelb-rosa est bel et bien devenue l’œuvre d’art la plus chèrement vendue sur le marché des enchères allemand!

Articulation du marché allemand, les cinq oeuvres les plus coûteuses

Max Beckmann, Selbstbildnis gelb-rosa, 24,4m$ (Grisebach, Berlin, 01/12/2022)

Max Beckmann, Weiblicher Kopf in Blau und Grau, 6,4m$ (Grisebach, Berlin, 31/05/2018)

George de la Tour, La fillette au brasier, 5,2m$ (Lempertz, Cologne, 08/12/2020)

Max Beckmann, Anni(1942), 4,8m$ (Grisebach, Berlin, 03/06/2005)

Gerrit Dow, Old man in his studio (1649), 4,9m$ (Lempertz, Cologne, 12/05/2012

  • Le marché allemand doit à Max Beckmann trois des cinq meilleurs coups de marteau de son histoire.

 

Top 5 des adjudications de Max Beckmann

45,8m$ : Hölle der Vögel, Christie’s Londres, 27/06/2017

24,4m$ : Selbstbildnis gelb-rosa, 24,4m$, Grisebach, Berlin, 01/12/2022

22,5m$ : Selbstbildnis mit Horn (1938), Sotheby’s New York, 10/05/2001

16,8m$ : Self-Portrait with crystal Ball (1936), Sotheby’s New York, 03/05/2005

8,1m$ : Still-Life with Gramophone and Irises) (1924), Sotheby’s Londres, 23/06/2014

  • Selbstbildnis gelb-rosa devient la deuxième meilleure adjudication de Max Beckmann, et la première adjudication allemande supérieure à 10 millions de dollars.

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Le record de Max Beckmann a été fermement révisé assez récemment puisqu’il est passé de 22,5m$ (2001) à 45,8m$ en 2017. Ce dernier seuil de prix – 45,8m$ obtenus chez Christie’s à Londres – fut atteint par une oeuvre sans précédent de par sa puissance et son importance historique, s’agissant de L’Enfer des oiseaux (Hölle der Vögel), une fresque anti-nazi considérée comme étant à Beckmann ce que Guernica est à Picasso. Sa vente hissait Beckmann dans le Top 50 des artistes les plus performants du monde aux enchères en 2017. 

Le marché ne peut que réagir favorablement, et valoriser avec un élan inédit, l’apparition de toiles si importantes car, bien que Beckmann n’ait pas toujours bénéficié d’une réception aisée tant son style peut paraître dérangeant, l’intensité de son œuvre et ses engagements dans les représentations d’un monde en plein bouleversements l’affirment sans conteste comme l’un des plus grands peintres figuratifs de la modernité.