Maurizio Cattelan – l’art de la supercherie
[07/09/2009]
Qu’il ouvre une galerie à New York, la Wrong Gallery, toujours fermée et où rien ne se vend, qu’il crée une fondation permettant à un artiste de vivre pendant un an à la condition de ne rien exposer (Fondation Oblomov), qu’il scotche au mur son galeriste italien Massimo De Carlo pour son vernissage (A Perfect Day, 1999) ou déguise son galeriste parisien Emmanuel Perrotin en lapin rose phallique pendant un mois (Errotin le Vrai Lapin, 1995), Maurizio CATTELAN ironise sur le petit monde de l’art et pervertit ses rouages, tout en en faisant grand profit. Son art désenchanté annihile l’idée romantique de l’artiste investi, car selon lui, l’art est un produit comme les autres et il n’y pas lieu de créer, hormis pour répondre à une demande. Ses dires comme ses œuvres jonglent entre une bonne dose de dérision et une critique volontairement immature du monde contemporain.
La recette fonctionne ! En bon provocateur, il produit des images fortes et largement médiatisées. Maurizio Cattelan émerge dans le monde de l’art au début des années 90 et frappe son premier grand coup en 1999 avec La Nona Ora, reproduction grandeur nature du pape Jean-Paul II terrassé par un météorite. L’œuvre exposée quelques mois plus tard pour Apocalypse, à la Royal Academy de Londres fait scandale. A la même période, la prestigieuse Galerie Marian Goodman de New York prend l’artiste sous son aile et en 2001, la Nona Ora est présentée officiellement à la Biennale de Venise. L’artiste bénéficie alors d’une émulation sans précédent dans sa carrière et sa Nona Ora (The Ninth Hour) double son estimation en salles des ventes le 17 mai 2001 pour un coup de marteau record à 800 000 $ chez Christie’s, soit près de 900 000 € ! Le même Pape malmené décrochait 2,7 M$ en novembre 2004 chez Phillips de Pury & Company (environ 2,09 M€). Sur cette même période, la revente de La Ballata di Trotsky, un cheval naturalisé à suspendre au plafond de son salon, enregistrait une plus-value équivalente à 600 000 € : l’encombrante installation changeait de mains pour 560 000 £ en juin 2001 chez Christie’s puis pour 1,85 M$ en mai 2004 chez Sotheby’s.
Entre ces deux dates : l’artiste est devenu une nouvelle star de l’art contemporain… La demande se faisant plus pressante, il réalise en 2003 une version plus modeste de la Nona Ora en plâtre, qu’il fait éditer à 10 exemplaires. La version en plâtre atteignait 400 000 $ en novembre 2006, période de plein boom du marché de l’art contemporain, mais deux ans et demi plus tard, en pleine crise, Sotheby’s ne parvenait pas à en obtenir 250 000 $ (13 mai 2009, New York).
L’année 2004 est celle de la consécration : Cattelan expose au Musée du Louvre, à la Serpentine Gallery de Londres, à la galerie Goodman de New-York, en Espagne, en Grèce, en Italie… il est sur tous les fronts et multiplie les records en salles des ventes. En 12 mois, son indice des prix grimpe de +171% et son volume d’affaires aux enchères explose de +577% par rapport à l’année précédente. Cette progression hors normes est due à quatre enchères millionnaires, celles de la Nona Ora et de la Ballade de Trotsky, et de deux autres sommets atteints chez Christie’s en novembre : Not afraid of Love adjugé 2,45 M$ (1,9 M€) est un éléphant grandeur nature en polyester recouvert d’un drap blanc et une installation sans titre vendue 1,8 M$ (1,4 M€), qui implique de la part du collectionneur le sacrifice de son plancher. Il s’agit en effet d’un autoportrait où la tête de l’artiste fait irruption depuis un trou au sol… ce simulacre d’entrée en effraction rappelle que les canulars artistiques de l’artiste peuvent tourner au cambriolage : en 1996, Cattelan dévalise la Bloom Galerie à Amsterdam et expose son butin dans une galerie voisine (Another Fucking Readymade)! La même année, il duplique les œuvres de ses voisins dans une exposition collective (Cabines de bain, Fribourg), les signe et les expose à quelques mètres des originaux. Il inaugure aussi entre 1995 et 1996 sa série de Z paintings, entaillant d’un Z digne de Zorro des toiles monochromes qui tournent en dérision les lacérations inspirées de Lucio FONTANA.
Cattelan prend au piège les structures dans lesquelles il évolue, et le monde de l’art en redemande : un Z de Zorro sur fond vert quadruplait les prévisions pour une adjudication de 500 000 £, environ 730 000 € le 08 février 2006 chez Christie’s à Londres. Le même jour, Christie’s dispersait un Concetto spaziale de 1960 signée Fontana à son estimation basse de 150 000 £, un peu moins de 220 000 €. En 2009, les enchérisseurs furent nettement moins joueurs et le meilleur score d’une toile Zorro aux enchères grimpait difficilement à 120 000 $ le 13 mai 2009 (88 000 €, Sotheby’s). La différence majeure entre cette Z painting et celle adjugée en 2006 : le fond monochrome est passé du vert au bleu… cette comparaison ne signifie pas que les toiles Z auraient perdu près de 88% de leur valeur en trois ans, mais elle témoigne de la boulimie avec laquelle les acheteurs ont consommé cette signature star de l’art contemporain durant la dernière période faste du marché.
Les attitudes de quelques artistes parviennent à ébranler durablement les certitudes du monde de l’art et de son marché. Voilà pourquoi Maurizio Cattelan n’est pas simplement un artiste jouant avec la mode, la post-modernité ou le phénomène adulescent. Il y a déjà un siècle, Marcel DUCHAMP remettait en cause l’autorité des institutions culturelles en faisant exposer un urinoir sous le pseudonyme de Mutt (signifiant Imbécile en argot américain). Or, Duchamp est aujourd’hui un jalon incontournable dans l’histoire de l’art, dans le renouvellement des formes et des idées. Cattelan ne lui rendrait-il pas hommage en mettant dernièrement aux enchères un chèque de 1 $ ? Signé Cattelan, il fut adjugé 8 000 € le 20 mai dernier à Amsterdam (Christie’s).