Marché du dessin en France : le patrimoine national déprécié ?

[24/02/2004]

 

En France, le mois de mars est riche de ventes de belles feuilles. La treizième édition du salon du dessin, tenue au Palais de la Bourse du 17 au 24 mars 2003, offre l’occasion aux maisons de ventes d’orchestrer de prestigieuses ventes thématiques. Chaque année le poids de ce secteur gagne en France un peu plus d’ampleur. Mais ce succès est terni par la baisse des prix, notamment celle des productions des artistes nationaux.

Au fil des années, le segment du dessin n’a cessé de croître en France, notamment par une qualité de feuilles dispersées toujours améliorée. Ainsi le prix moyen des dessins adjugés sur le marché hexagonal n’a jamais été aussi élevé qu’en 2004 : 4 140 euros contre 3 480 euros en 2002 et aux alentours de 3 300 euros en 2001 et 2000. A l’origine de cette progression, davantage de records. Parmi les plus retentissants, notons les 1,3 millions d’euros décrochés par Paul Gauguin avec un pastel de 1892 intitulé Tête de Tahitienne, de profil à gauche (œuvre dispersée par Piasa à l’occasion du salon du dessin 2003) et les 1 million d’euro pour Le siège de Yorktown / La pris de Yorktown (1786) de Louis Nicolas Van Blarenberghe en juin 2003 chez Rouillac. Plus récemment, le 21 décembre dernier, Paul Gauguin, s’illustrait encore, mais cette fois en Bretagne, chez Thierry-Lannon, puisqu’un autre pastel de 1894 atteignait 430 000 euros. Insufflée par le centenaire de sa mort et les expositions autours de l’école de Pont Aven, la cote de ses œuvres sur papier a augmenté de 10% en 2003.

Evolution des prix des dessins/aquarelles des principaux mouvements artistiques françaisSéléction Artprice de mouvements artistiques françaisValeurs de l’indice des prix base 100 en 1993Variation annuelle200220032003/2002Dessin français 17e219.85175.02-20.4%Dessin français 18e215.49195.97-9.1%Romantisme français191.08187.29-2.0%Ecole de Barbizon82.4389.929.1%Orientalisme français178.81172.57-3.5%Art Pompier86.45106.5823.3%Impressionnisme français237.29184.18-22.4%Ecole de Pont-Aven207.61278.7534.3%Art Naif français119.48161.0434.8%Fauvisme181.83106.94-41.2%Cubisme202.79142.79-29.6%Surréalisme204.92176.44-13.9%Ecole de Paris155.83108.53-30.4%Seconde Ecole de Paris162.16148.64-8.3%Art Brut185.3178.01-3.9%Nouveau réalisme125.69126.090.3%Figuration narrative159.17142.55-10.4%Figuration libre308.93267.18-13.5%

En tout, 39 dessins ont été adjugés en France au delà de 100 000 euros en 2003. Les ventes de dessin de mars 2003 organisées par Christie’s, Piasa et Tajan pour le 12ème Salon du Dessin ont engendré près de 3,5 millions d’euros de chiffre d’affaires en moins de 300 lots. En tout les feuilles vendues plus de 10 000 euros représentent près de 7,8% du marché hexagonal, contre à peine 6,4% en 2002. Grâce à cela, même si le volume d’échange a chuté en France de 14% entre 2002 et 2003 dans le domaine du dessin, le poids de la France dans le marché mondial a progressé de près de 2 points en valeur. Il est désormais de 14,5% du chiffre d’affaires pour 24% du volume de ventes. Mais derrière ces résultats exceptionnels se cachent une autre réalité : la forte dépréciation des prix de la majeur partie des artistes nationaux.

Alors que la qualité des feuilles dispersées sur le marché hexagonal tend a croître, globalement, leurs prix baissent en 2003. C’est d’ailleurs avec la photographie, l’un des seuls segments de marché touché par la déflation : ses prix ont chuté de 5% en douze mois. Cette dépréciation fait du dessin le médium le moins rentable du marché : 100 euros investis en 1996 dans un dessin valent en moyenne 113,5 euros en janvier 2004, soit une progression annuelle moyenne de 2%. A titre comparatif, pour la peinture, le rendement annuel moyen sur la même période est de plus de 4%.
Cette baisse ne touche pas l’ensemble des mouvements de manière homogène. Elle touche d’abord les segments les plus spéculatifs de ces dernières années. En tête : les dessins anciens.
A l’image des productions de la renaissance italienne et des dessins italiens du 17ème siècle, après de belles progressions en 2001 et 2002, les feuilles françaises du 17ème et du 18ème siècle sont fortement dépréciées en 2003. Elles ont respectivement vu leur prix baissé de 10 et 15% au cours de l’année. Dans le domaine du dessin ancien, seules les œuvres de l’Ecole du Nord du 17ème siècle résistent encore.
Le mouvement de baisse des prix se ressent aussi au niveau des feuilles modernes. Cubistes, Fauves, Ecole de Paris, tous les grands mouvements de la scène artistique française de la première moitié du 20ème siècle subissent une chute des prix. Même les productions des surréalistes, pourtant portées par la vente Breton enregistrent une baisse de 15% sur l’ensemble de l’année. L’hémorragie s’étend aux productions de la seconde moitié du 20ème siècle : les nouvelles figurations (la Figuration Narrative de Valerio Adami, de Peter Klasen ou de Jacques Monory et la Figuration Libre de Robert Combas et d’Hervé Di Rosa) se déprécient. Nouveau Réalisme et Art Brut se maintiennent. Une exception néanmoins : les dessins des artistes du groupe supports-surfaces, Claude Viallat en tête, ont doublé de valeur en 2003.
Au delà de quelques rares exceptions, seuls les dessins français du 19ème semblent épargnés. En effet, soit leur valeur demeure stable, comme pour les dessins des paysagistes, des impressionnistes et des orientalistes, soit elle a légèrement augmenté, à l’image des productions des Romantiques et des Nabis. Il faut dire que sur 10 ans, les dessins du 19ème ne sont quasiment pas l’objet de spéculation. A titre d’exemple, entre 1993 et 2003, le prix des dessins des paysagistes n’ont augmenté que de 12%, celui des Pompiers de 7% et ceux des Impressionnistes de 28%. A l’inverse, les productions françaises du 17ème et du 18ème ont vu leur valeur doubler entre 1993 et 2002.

Pour espérer des gains à la revente, l’amateur est tenté de s’intéresser d’abord aux segments délaissés depuis de nombreuses années et dont les marges de progressions restent importantes. Aujourd’hui, dans un perspective de spéculation, paysagistes de l’Ecole de Barbizon ou artistes Pompiers sont très prometteurs. Mais au delà de la signature et du genre, l’état de conservation de la feuille ne doit pas être négligé, surtout quand celle-ci est déjà plus que centenaire. Pour trouver preneur un croquis se doit d’être irréprochable. 36% des feuilles sont désormais ravalées contre 29% en 1999. Taches et pliures sont peut appréciées par les collectionneurs plus exigeants que jamais. Au delà d’un certain niveau de prix, ces défauts deviennent même rédhibitoires. En France, pour des estimations inférieures à 1000 euros, moins d’un tiers des lots sont ravalés. Au delà de 5 000 euros, le taux d’invendus s’élève à 43%.