Lynette Yiadom-Boakye, nouvelle star de la peinture figurative

[08/11/2022]

« J’ai appris à peindre en regardant la peinture et je continue à apprendre en regardant la peinture. En ce sens, l’histoire sert de ressource. Mais le plus grand attrait pour moi est la puissance que la peinture peut exercer à travers le temps ». Interview de Hans Ulrich Obrist pour Kaleidoscope : Futura: Lynette Yiadom-Boakye

 

À 45 ans, cette artiste d’origine ghanéenne n’a pas fini de faire parler d’elle. Elle affirme haut et fort que la peinture figurative est plus actuelle que jamais. Depuis dix ans, son travail passionne le monde de l’art et son ascension sur le marché est à la mesure de cette ferveur.

Casework,2011

Casework, 2011

 

Des portraits hors normes

Par sa vision personnelle, Lynette YIADOM-BOAKYE redéfinit les paramètres de la peinture contemporaine et du portrait. Puisant ses références chez les grands portraitistes du XIXe siècle comme Degas ou Manet, elle se distingue par la rapidité et la spontanéité d’exécution (pas plus d’un jour par toile), et par des personnages exclusivement noirs. En reprenant les codes de représentation classiques, à savoir un fond sombre traditionnellement utilisé pour mieux faire ressortir les carnations claires des personnages, elle en souligne l’inadaptation pour les modèles noirs, montrant ici combien les procédés de la peinture occidentale historique sont inadaptés à la diversité.

Intrigants, à la fois familiers et mystérieux, ses portraits invitent le spectateur à projeter ses propres interprétations et soulèvent d’importantes questions sur l’identité et la représentation.

 

Un parcours prometteur

Le travail de Lynette Yiadom-Boakye bénéficie déjà d’une très bonne visibilité dans les plus prestigieux musées du monde. Dès 2001, les toiles de l’artiste sont exposées aux quatre coins du globe grâce au soutien de galeries importantes, bien qu’elle ne soit pas encore diplômée de la Royal Academy. Ce sont les galeries Faye Fleming & Partner (anciennement Arquebuse) et Michael Stevenson qui lui offrent ses premières expositions personnelles en 2009 à Cape Town et Genève. Représentée par la galerie new-yorkaise Jack Shainman depuis 2010, ces trois galeries, axées sur la promotion des artistes africains et leur diasporas, contribuent largement à son rayonnement international. Outre leur volonté d’affirmer les artistes africains sur le marché international et de présenter leurs travaux dans des expositions à l’étranger, ces galeries promulguent un échange avec des créateurs du monde entier.

Lynette est ensuite présélectionnée pour le Turner Prize en 2013, et la Serpentine Gallery lui consacre une exposition personnelle à Londres deux ans plus tard. En 2017, c’est au tour du New Museum, à New York, d’exposer ses œuvres et, en 2019, elle est sélectionnée pour investir le premier pavillon du Ghana à la Biennale de Venise.

Fin novembre 2022, la capitale britannique s’apprête à saluer son travail au travers d’une exposition monographique intitulée Fly in League with the Night à la Tate Britain. Il s’agit de la plus importante rétrospective de Lynette Yiadom-Boakye. Initialement prévue en mai 2020, la rétrospective a été repoussée plusieurs fois à cause du Covid. Elle a été montrée au Moderna Museet à Stockholm et à la Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen de Düsseldorf avant de faire étape au Mudam et enfin après de longs mois d’attente ses toiles rejoignent l’institution britannique. Cette rétrospective rassemble 67 peintures et couvre 20 années de création, dont des œuvres créées pendant la pandémie qui n’ont encore jamais été exposées. Portraits de femmes, de danseurs et silhouettes androgynes viendront habiller les murs du musée avant de continuer leur route vers le Guggenheim de Bilbao. Ce sera une opportunité unique d’admirer l’ensemble de ces œuvres profondes que s’arrachent le monde de l’art.

 

Son ascension fulgurante sur le marché

 

évolution du produit des ventes aux enchères de l’artiste FR

Évolution du produit des ventes aux enchères de l’artiste

 

Aujourd’hui, dans le top 200 au classement mondial des artistes les mieux vendus aux enchères, son ascension depuis son introduction sur le marché (en 2013) est spectaculaire. Majoritairement achetées aux États-Unis et au Royaume-Uni, ses peintures réalisées exclusivement à l’huile se vendent plusieurs centaines de milliers de dollars, et dépassent même le million, notamment ces deux dernières années.

 

diplomacy III

Diplomacy III (2009)

 

Diplomacy II, sa deuxième toile introduite sur le marché se vendait déjà plus de 230 000$ en 2013! Tandis que Diplomacy III issue de la même série frôlait les 2m$ en mai dernier lors des grandes ventes du soir chez Christie’s NY. Pour une première présentation aux enchères, cette toile de 2 x 2,50 m est composée d’un groupe de personnalités noires importantes, qui semblent réunies pour célébrer un événement historique capital. Le titre ne fait qu’accentuer cette première impression et pourtant l’identité spécifique de chaque personnage est laissée délibérément vague. Tous sont vêtus de costumes sombres à l’exception de deux personnages : un Soudanais en robe blanche détournant le visage et un femme arborant un haut rose fixant le spectateur. L’introduction d’une femme dans le spectre du pouvoir suggère une vision critique du post-colonialisme et du rôle qu’une femme aurait pû avoir. On ne peut s’empêcher de faire le lien avec le mouvement d’indépendance africaine des années 1960. Le conservateur Okwui Enwezor a d’ailleurs comparé sa série Diplomacy à des photographies de dirigeants d’Afrique de l’Est lors d’un sommet en 1967 prises par la photographe Marion Kaplan. Notamment dans cette série, l’ambition de Lynette Yiadom-Boakye ne serait-elle pas de dresser un portrait de notre société tout en conservant son caractère universel?

La volonté croissante du monde de l’art à valoriser la création féminine et celle des institutions à promouvoir des artistes noirs expliquent en partie son succès spectaculaire. Si autrefois la cote d’un artiste se construisait sur la durée, aujourd’hui les performances sont étonnamment précoces et les œuvres des jeunes artistes (nés après 1945) passent brusquement de quelques milliers à plusieurs millions de dollars.