Les records de Paris

[11/06/2013]

 

La France n’est certes pas l’épicentre du marché de l’art très haut de gamme, qui préfère s’exprimer à Londres et à New York, mais il n’en demeure pas moins que la richesse extraordinaire des collections modernes et d’après-guerre permet de distiller chaque année quelques chefs-d’œuvre dans les salles parisiennes.

Une décennie de records
On constate par ailleurs que la flambée générale des prix de l’art sur la décennie a aussi considérablement profité à la place de marché parisienne. Si l’on se penche sur les records qui furent signés depuis 2000, tout commence cette fameuse année avec l’adjudication d’un maître ancien rarissime sur le marché, Lucas Cranach, à hauteur de 2,62 m€ (Vénus et l’amour voleur de miel, 4 décembre 2000, Rieunier-Bailly-Pommery Paris, adjudication équivalente à 3 m$). Les années qui suivent sont chiches pour le marché de l’art français haut de gamme. Puis le rythme des enchères millionnaires parisiennes s’accélère à partir de 2006, stimulé par le travail des mastodontes mondiaux Christie’s et Sotheby’s. À quelques exceptions prêts, ce sont ces deux maisons de ventes qui ont enregistré les 50 plus grandes enchères parisiennes de la décennie (elles enregistrent 80 % des enchères records). Après un cru 2009 exceptionnel pour le marché parisien haut de gamme (grâce à la vente historique et Pierre Bergé qui plantait 7 des 10 meilleures adjudications de la décennie) suit un fort ralentissement du marché les deux années suivantes. Il faut attendre l’année 2012 pour que l’ambition des maisons de ventes soit regonflée, grâce à huit adjudications faisant partie des meilleurs coups de marteau signés en France depuis 2000 (2012 : 16 % des meilleures enchères de la décennie).

2013 hors course
Au début du mois de juin 2013, Christie’s et Sotheby’s affichaient une sélection d’artistes et d’œuvres dignes des grandes ventes de Londres et New York : Francis Bacon, Joan Mitchell, Pierre Soulages, Nicolas de Staël, Pablo Picasso, Zao Wou-ki, Andy Warhol, Anselm Kiefer, Alexander Calder et quelques autres se disputant la vedette.
Christie’s, qui ouvrait le bal le 4 juin enregistrait tout de même cinq enchères millionnaires (pour Francis Bacon, Joan Mitchell, Pierre Soulages, Kazuo Shiraga et Fernando Botero). La dispersion du lot phare de la vacation, Painting March 1985 de Francis Bacon, à hauteur de 3,2 m€ (4,1 m$ hors frais) est néanmoins un résultat décevant pour la société, qui espérait voir grimper cette toile entre 4 m€ et 6 m€. Painting March 1985 est une œuvre de belle dimension (près de 2m de haut), dont Bacon fit don à Jacques Dupin en 1987. Cette provenance de choix (Jacques Dupin, décédé le 27 octobre 2012, était à la fois poète, critique, directeur de la galerie Maeght et ami des plus grands artistes) n’a pas suffit aux ambitions de l’estimation. L’œuvre manquait de puissance, notamment par rapport au petit chef-d’oeuvre de 1954 adjugé l’équivalent de 5,1 m€ en février dernier à Londres (Man in Blue VI, adjugé 4,4 m£, près de 6,9 m$, le 13 février 2013, Christie’s Londres). Par ailleurs, Painting March 1985 est loin d’être la plus intéressante des pièces de Bacon proposée sur le marché français des enchères. Sa plus belle réussite aux enchères en France remonte à 2007, avec la dispersion du Portrait of Muriel Belcher (1961) cédée 12,2 m€ et dépassant alors de 2,2 m€ son estimation haute (équivalent à 17,9 m$ hors frais, 12 décembre 2007, Sotheby’s). La vente du Portrait of Muriel Belcher est l’un des plus beau coup de marteau de la décennie, et l’une des rares œuvres à passer le seuil des 10 m€. En effet, la place de marché parisienne a planté seulement sept enchères au-delà de ce seuil depuis 2000. À titre de comparaison, l’antenne new-yorkaise de Christie’s enregistrait huit enchères à plus de 10 m€… Non pas en 13 ans mais en un soir ! (vente Post-War & Contemporary Art Evening Sale du 15 mai 2013 au Rockfeller Plaza).
Le 5 juin au soir, Sotheby’s savourait sa réussite, vendant pour 5,7 m€ frais inclus le Crown Hotel, 1982 de Jean-Michel Basquiat et signant quatre records d’artistes sur le sol français (pour Basquiat, 14.7.71 de Zao Wou Ki, Five Women de Willem de Kooning et un collier multicolore de Jean-Michel Othoniel).

Paris capable d’enchères millionnaires : oui, mais rarement au niveau des deux places de marché leader en Occident, qui jonglent avec des dizaines de millions pour les oeuvres majeures. A Paris, seuls deux résultats de cet acabit ont marqué une décennie de ventes, si on exclu le cas particulier de la collection Pierre Bergé en 2009. La Tête d’Amédéo Modigliani, cédée 38,5 m€ chez Christie’s le 14 juin 2010 (soit 46,6 m$ hors frais et 52,3 m$ frais inclus), reste « Le » record en France depuis 13 ans.