Les plus-values et les moins-values de l’art contemporain

[17/08/2021]

Le marché de l’art contemporain affiche une reprise très spectaculaire, avec des résultats mondiaux au firmament et un appétit pour l’art plus vif que jamais. Mais avant de vous livrer les chiffres clés et les grandes tendances dans notre prochain Rapport sur le marché de l’art (sortie prévue début octobre), Artprice s’est penchée sur quelques cas de reventes afin d’observer les variations de prix. Cette source d’informations passionnante nous informe sur les tendances du marché actuel…

Le premier moteur du collectionneur est, en règle générale, le désir: celui de posséder un artiste et une œuvre en particulier. Certaines signatures sont évidemment plus désirables que d’autres, et pour celles-ci, la demande internationale est à son comble. Basquiat en constitue l’exemple le plus fort, mais on retrouve aussi les noms de Yoshitomo Nara, Ayako Rokkaku, Banksy ou George Condo de façon récurrente dans le classement des plus remarquables plus-values enregistrées depuis l’été 2020. Pour ces artistes-ci, un temps de détention assez long – entre 10 et 30 ans avant une remise aux enchères – génère entre 20% et 30% de plus-value annuelle chaque année, suivant l’évolution de la cote des artistes.

En quelques années de détention, le renouvellement de la valeur peut s’avérer époustouflant. Pour prendre le cas le plus extrême du marché de l’art contemporain, celui de Basquiat, la prise de valeur de sa toile In This Case (1983) est de 92,1 millions de dollars en un peu moins de 20 ans ! Soit une variation de prix supérieure à +9.000%, entre l’achat et la revente de la toile.

 

Top 10 des plus-values enregistrées pour l’Art Contemporain (juillet 2020/ juillet 2021)

Rang Artiste Adjudication ($) œuvre Vente
1 Jean-Michel BASQUIAT
1 230 000 $ (contre 4 840$ il y a 29 ans) Untitled Christie’s New York
2 LIU Ye 1 131 190 $ (contre 4 462$ il y a 26 ans) Yellow and blue for M Christie’s New York
3 Barkley L. HENDRICKS
44 100 $ (contre 453$ il y a 10 ans) Magnolia #4 Poly Auction Hong Kong
4 Jean-Michel BASQUIAT
93 105 000 $ (contre 999 500$ il y a 19 ans) In This Case Sotheby’s New York
5 BANKSY 978 387 $ (contre 16 660$ il y a 14 ans) Weston Super Mare Christie’s New York
6 Barkley L. HENDRICKS
2 803 000 $ (contre 48 000$ il y a 10 ans) Jackie Sha-La-La
Bonhams Londres
7 Jean-Michel BASQUIAT
400 000 $ (contre 6 900$ il y a 26 ans) Untitled Sotheby’s New York
8 Jean-Michel BASQUIAT 4 590 000 $ (contre 82 280$ il y a 27 ans) MP Christie’s New York
9 Jose John SANTOS III
203 643 $ (contre 4 009$ il y a 15 ans) The Game Christie’s New York
10 Jean-Michel BASQUIAT
1 865 500 $ (contre 45 369$ il y a 21 ans) “Plush Safe He Think” Leon Gallery Makati
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Grands bénéfices sur des détentions de courtes durées

Des enchères animées mènent certaines œuvres à des prix certes moins spectaculaires que ceux de Basquiat, néanmoins remarquables du point de vue de la revalorisation. L’un des exemples les plus frappants de l’année revient à Genieve FIGGIS, artiste irlandaise de 39 ans soutenue par la galerie Almine Rech, dont le prix de Ladies in the Grass (2015) a explosé de +1190% en une année seulement ! La toile, payée 18 750 $ en été 2019 à New York, s’est en effet envolée pour 242 000$ l’été suivant à Hong Kong. Découverte sur Instagram, soutenue par une grande galerie à un moment de regain d’attention et de poussée de la demande pour la Bad painting, Genieve Figgis illustre l’engouement actuel pour une peinture figurative à forte personnalité.

Autre gain important, celui réalisé cette année avec une oeuvre de Mickalene THOMAS illustre une autre grande tendance du Marché contemporain: l’artiste est en effet célèbre pour développer une nouvelle vision de la femme afro-américaine, tout en revendiquant l’héritage de la grande histoire de l’art (Courbet, Manet, Picasso, Matisse et bien d’autres). Elle fait partie de ces artistes participant à ce que l’américaine Tina Campt a défini comme la “Renaissance artistique Noire” dans un ouvrage paru cette année: “A Black Gaze. Artists changing how we see”. Une Renaissance qui re-façonne les collections publiques ou privées, et s’accompagne d’un enthousiasme immense sur le Marché de l’Art. En deux ans seulement, le prix de la toile Untitled #10 (2014) de Mickalene Thomas est passée de 131 250 $ (novembre 2019) à 889 100$ (mars 2020, Phillips New York), gagnant plus de 750 000$ en moins de six mois !

Dans une toute autre perspective, la flambée de prix constatée pour l’artiste chinois Liu Ye, illustre un autre pan des tendances actuelles. LIU Ye est très recherché par les collectionneurs internationaux, surtout depuis qu’il a rejoint la galerie internationale David Zwirner (2019). Une trentaine de ses toiles ont dépassé le million aux enchères depuis l’annonce de cette collaboration, l’artiste passant le cap des 10 millions de dollars le 4 juin dernier à Pékin (Bamboo bamboo broadway, 12,6m$, Poly International). The Window – une toile payée 85 700 $ avant qu’il ait intégré la galerie Zwirner (Beijing ChengXuan Auctions Pékin, juin 2018) – a été revendue pour 646 000 $ en avril 2021 (Sotheby’s Hong Kong), gagnant 560 000$ en l’espace de trois ans.

De telles plus-values sont rares mais très révélatrices de ce que recherche le marché de l’art contemporain de nos jours: le Street art (Basquiat, Banksy, Kaws…), l’esthétique Manga (Ayako Rokkaku, Murakami, Nara…), la Bad painting (George Condo, Genieve Figgis…), la Renaissance noire, etc…

L’enthousiasme est loin d’être le même pour tous les créateurs, y compris les plus célèbres, y compris les plus cotés. Face aux fortes plus-values des derniers mois, des moins-values ont été constatées sur des œuvres de grands artistes contemporains, habituellement très recherchés par les collectionneurs… 

Moins-values

Le marché n’a pas été très vif sur la photographie contemporaine, si bien que les résultats de certains tirages signés Andres Serrano, Hiroshi Sugimoto ou Andreas Gursky ont pu décevoir cette année.

Une désaffection plus poussée touche certains jeunes abstraits américains dont les prix avaient flambé trop vite et trop haut il y a quelques années. Lucien Smith et Dan Colen font partie de ceux-là. Après une période de surchauffe, les prix ont atteint un seuil critique, le Marché a implosé et les résultats des jeunes météores se sont effondrés en 2016, aussi rapidement qu’ils avaient flambé. De quoi ruiner des débuts de carrière pour les artistes n’ayant pas encore de galeries suffisamment puissantes et engagées derrière eux. Lucien SMITH (né en 1989) en pâtit toujours : le prix de la toile A Simple Twist of Fate 6 (2012) a perdu la moitié de sa valeur entre février 2017 et décembre 2019 (vendu 30 000 $ puis 13 940 $). La baisse est plus rude encore pour Oy Vey (3) (2010), de Dan COLEN: payée au prix fort de 164 500 $ en 2013, elle ne valait plus que 23 750 $ en 2020 (Phillips).

Un artiste aussi incontournable que Damien HIRST est également soumis à une forte volatilité des prix. L’une de ses grandes Spin painting a récemment perdu 500.000$ en valeur. Vendue pour 855 000 $ en 2015, c’est à dire dans sa fourchette d’estimation, lors d’une vente Christie’s Londres, la toile a été réévaluée à 370 000 $ en novembre 2020 (Sotheby’s Londres vente en ligne de novembre 2020), soit une perte équivalente à près de 500.000$. Beautiful Mis-shapen purity clashing excitedly outwards painting (1995) est pourtant une grande œuvre issue d’une période essentielle dans la carrière de Damien Hirst: celle des Spin painting, ces peintures faites à la machine, où les couleurs sont réparties sur le support par la force centrifuge d’un moteur électrique. L’optimisme de Christie’s en 2015 avait payé, d’autant que Damien Hirst avait beaucoup fait parlé de lui cette année-là, notamment en ouvrant sa propre galerie (Newport Street Gallery) dans le sud de Londres.

Cette moins-value difficile à digérer ne remet pas en cause l’importance de Hirst dans la création contemporaine. Ni sur le marché des enchères. Bien d’autres toiles de Hirst ont d’ailleurs réalisé des “scores” tout à fait honorables ces derniers mois. Le marché s’est simplement calmé après un pic atteint dans les années 2007-2008. Alors au sommet de sa notoriété, le britannique était le plus désirable des contemporains pour bien des collectionneurs. Depuis, le marché s’est transformé, étoffé, et la demande a naturellement évolué…