Les NFTs au musée

[04/01/2022]

Au printemps 2021, la Galerie des Offices de Florence fut la première institution muséale à entrer dans le monde des NFT. Avec l’aide de Cinello, une société italienne proposant des copies numériques de chefs-d’œuvre (en respectant leurs dimensions originales), le célèbre musée a mis en vente le premier exemplaire numérique crypté et certifié authentique du Tondo Doni, sublime composition du début du 16e siècle exécutée par Michel-Ange lui-même. L’œuvre fut alors achetée pour l’équivalent de 160 000$ par une collectionneuse romaine. Un prix raisonnable s’agissant du seul et unique exemplaire existant en version digitale. Pour Eike Schmidt, directeur de La Galerie des Offices, “les ventes de NFT seront à moyen terme en mesure de pallier en partie aux besoins financiers du musée. Ce n’est pas un changement de cap en termes de revenus, c’est un revenu supplémentaire”. Un revenu utile considérant que les recettes du musée des Offices avaient chuté d’un bon quart entre 2019 et 2020…

Michel-Ange, Tondo Doni, détrempe sur bois. Collection Galerie des Offices, Florence

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Le coup d’envoi florentin a donné des idées à d’autres grands musées. L’Ermitage notamment, deuxième à se lancer dans le bain technologique avec cinq chefs-d’oeuvre anciens et moderns : La Vierge à l’enfant de Léonard de Vinci, une Judith de Giorgione, Lilac Bush de Vincent van Gogh, Le Coin du jardin de Montgeron de Claude Monet et Composition VI de Wassily Kandinsky. Pour chaque œuvre, deux NFT ont été produits, dont l’un conservé par le Musée de l’Ermitage en pendant de l’œuvre d’art originale. Vendues pour un total de 440 000 $ sur la plateforme Binance NFT le 7 septembre 2021, les images étaient accompagnées d’un autographe crypté de Mikhail Piotovsky, directeur du musée de l’Ermitage. Au-delà d’un jeton rare, c’est bien le statut de l’Ermitage qui est mis en vente avec chaque NFT, comme pour le Tondo Doni des Offices.

Trois semaines plus tard, ce fut au tour du British Museum – l’un des 10 musées les plus visités au monde – d’annoncer la vente de 200 NFT d’après des œuvres d’Hokusai, parallèlement à son exposition “Hokusai : The Great Picture of Everything”. Les œuvres ont été produites et classées en différentes catégories selon leur critère de rareté, soit selon le nombre de NFT créés par image, avec la complicité de la start-up française LaCollection.io. L’image la plus célèbre – en l’occurrence la Grande Vague de Kanagawa – a atteint le prix de 45 000$ (10,6 ETH), pour son numéro 1/10 (catégorie “super rare”).

Hokusai, La Grande Vague de Kanagawa, vers 1830, Gravure sur bois nishiki-e

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Indéniablement, la production de NFT par le British Museum, le musée de l’Hermitage ou celui des Offices, apporte une vraie légitimité à ce marché en plien boom, tout en promettant des rentrées d’argent bienvenues après les pertes économiques dues aux longues périodes de fermeture pendant la pandémie. Ces premiers NFT muséaux pourraient se transformer en véritable manne économique en fonction de leur courbe de valeur, car les contrats prévoient des commissions en cas de revente sur le marché secondaire. Pour le British Museum, par exemple, la revente d’un NFT Hokusai générera 10% au musée et 3% à LaCollection.io.

L’avenir dira jusqu’où grimpera la valeur de ces œuvres patrimoniales digitalisées. Celles vendues en 2021 par trois des plus grands musées du monde affichent déjà quelques atouts pour des prises de valeur à venir. En plus de leur statut avant-gardiste (les premiers NFT muséaux), elles bénéficient de l’aura de prestige de grands artistes et de puissants labels institutionnels. Par ailleurs, elle n’ont pas de concurrent physique dans la mesure où seule la version numérique est apte à circuler et à passer “d’une main à l’autre”, selon la formule des marchands d’art de l’ancien monde.