Les musées américains prêts à vendre leurs chefs-d’oeuvre
[25/09/2020]
“La pandémie change les règles”, comme le titrait le New York Times en date du 16 septembre, avec l’annonce de la décision du Brooklyn Museum de se séparer de 12 œuvres issues de ses collections permanentes (Brooklyn Museum to Sell 12 Works as Pandemic Changes the Rules).
Face à la crise et malgré sa réouverture quelques jours plus tôt, le musée a du prendre cette douloureuse décision pour payer ses frais de fonctionnement. Une question de survie. Après plusieurs semaines de fermeture, le retour des visiteurs est trop ténu pour renflouer les caisses, d’autant que les touristes sont encore presque absents. Le Brooklyn Museum a besoin de 40 millions de dollars pour l’entretien des collections et le versement des salaires. Dans cette situation d’urgence, accepter de se séparer de quelques œuvres est effectivement la solution la plus efficace.
.Jusque là, les ventes d’oeuvres muséales étaient tolérées par l’Association of Art Museum Directors (AAMD) dans le cadre de « désaccessions » (deaccessionning, aliénation des collections), en vue d’injecter le fruit de ces ventes sur de nouvelles acquisitions jugées plus pertinentes pour le musée.
Mais la puissante Association a assoupli cette règle, annonçant qu’elle ne pénaliserait pas les musées qui revendent une partie de leur collection « pour payer les dépenses liées à l’entretien des collections», un nouveau régime dont l’échéance est pour l’instant fixée au 10 avril 2022. De nombreuses œuvres de provenance muséales risquent donc fort d’arriver sur le marché dans les deux prochaines années.
Pour l’heure, le Brooklyn Museum se sépare de 12 œuvres importantes par l’entremise de Christie’s New York, dans le cadre de la vente Old Masters prévue le 15 octobre 2020. Joyau de cette vente et perte douloureuse pour le musée américain : une superbe Lucrèce (ci-dessus) peinte par Lucas I CRANACH en 1526 est attendue entre 1,2 et 1,8 m$. L’estimation est prudente pour cette œuvre qui pourrait grimper bien plus haut tant le sujet est séduisant, la provenance superbe et la cote de Cranach au beau fixe.
Un COROT (Italienne debout tenant une cruche estimée entre 200.000 et 300.000$), un COURBET, un portrait attribué à Lorenzo Costa (estimé 60.000-80.000$) et un grand Saint Jérôme de Donato de ’Bardi, actif au XVè siècle, (80.000$-120.000$) comptent parmi les œuvres dont se défait le Brooklyn Museum mi-octobre. L’ensemble est estimé entre 2,3 et 3,5 million de dollars.
En novembre 2019, le musée avait récolté 6,6m$ avec la vente d’un Pape (1958) de Francis BACON chez Sotheby’s. L’exercice n’est donc pas nouveau pour lui. Ce qui change ici, c’est bien l’assouplissement des règles déontologiques de la profession sur le deaccessioning.
Cette solution drastique ne saurait être envisagée en France où les collections publiques françaises sont déclarées « inaliénables, imprescriptibles et insaisissables » (sauf cas de restitution d’oeuvres). Les grands musées francais (surtout parisiens), eux aussi en très mauvaise posture à cause de la crise sanitaire, ne peuvent donc pas résoudre leurs problèmes budgétaires par ce levier.
Les pertes financières du Louvre s’élèvent à 59 millions d’euros depuis le début de la crise. La fréquentation du célèbre musée est passée de 220.000 visiteurs en juillet et 330.000 en août, contre 800.000 par mois d’été les années précédentes. Une baisse malheureusement attendue, puisque les étrangers sont habituellement les premiers visiteurs du Louvre (75%). Malgré ce passage difficile, l’assouplissement des règles françaises régissant les collections n’est pas à l’ordre du jour.
En haut à droite : Portrait attr. à Lorenzo Costa (Coll. Brooklyn Museum)