Les lois secrètes d’Odilon Redon

[29/04/2014]

 

Inspirateur des Nabis, symboliste, précurseur du surréalisme, Odilon REDON (né en 1840 à Bordeaux, mort à Paris en 1916) explore le subconscient, transforme la nature en symptôme onirique, conçoit des images pieuses issues d’un syncrétisme poétique. Artiste majeur de la modernité, il connu le succès de son vivant. Sa carrière débute à Paris au milieu des années 1880, lorsqu’il co-fonde et préside la Société des Artistes indépendants (qui organise les Salons des Indépendants), réalise une première grande exposition à la galerie Durand-Ruel en 1894, est consacré au Salon d’Automne en 1904 (soixante-deux œuvres exposées), avant de se faire connaître des amateurs new-yorkais (plusieurs oeuvres à l’Armory Show en 1913,New York, Chicago et Boston). Des premiers travaux au fusain à l’explosion chromatique des pastels et des huiles, une rétrospective retrace son parcours à la Fondation Beyeler. Il reste peu de temps pour la découvrir, celle-ci prend fin le 18 mai 2014.

Gravure
Redon apprend la gravure auprès de Rodolphe BRESDIN, en 1865, à Bordeaux. Bresdin l’initie à l’estampe, lui fait découvrir les œuvres d’Albrecht Dürer et de Rembrandt, dont les noirs sont déterminants. Sa grande période lithographique dure de 1870 à 1895, période qui marque aussi l’apogée du travail au fusain. Redon illustre ses propres textes (Les Yeux Clos, Les Origines) et l’univers fantastique d’Edgar Allan Pœ. Le prix des planches originales a littéralement flambé en 2013, à l’occasion d’une dispersion chez Christie’s New York au mois d’octobre ou une dizaine de lots ont explosé les estimations pour des adjudications comprises entre 220 000 et 1,2 m$… 1,2 m$ constitue un record spectaculaire pour Redon. Il consacre un lot de 10 estampes (La Tentation de Saint Antoine), estimé 100 fois moins, et il s’impose comme l’un des meilleur résultat au monde dans ce médium, après Hokusai et devant Rembrandt. Les estampes alimentent 62 % du marché de Redon pour 12 % des recettes globales. Les diverses éditions expliquent des écarts de prix conséquents pour un même sujet et rendent le marché abordable. Grâce à elles, le tiers des oeuvres est accessibles pour moins de 1 300 $ en salle de ventes.

La période noire
La période noire est la première de Redon, encore étrangère à la couleur, dont le fusain est la technique élue. L’artiste privilégie l’exploration ténébreuse entre 1870 et 1889 environ. Ses Noirs révèlent, dans l’obscurité, un monde fantasmatique, peuplé de créatures énigmatiques. Il est rare d’en trouver en salles : seuls quatre travaux furent présentés au cours de l’année 2013. Deux se sont vendus, l’un pour 48 763 $ (Ophélie) et l’autre pour 190 000 $ (Visage-Germination, 1888). L’estimation des deux autres dessins ont découragé les amateurs qui préfèrent engager un budget conséquent sur les pastels de la période suivante. La couleur émerge en effet vers 1889, année de la naissance du fils de l’artiste, et explose trois ans plus tard, en 1902. Redon renonce alors au fusain en faveur de la couleur.

La couleur
Le retour à la couleur (1889/1890) accompagne un sujet bien particulier, celui du sommeil et du rêve, à travers des visages aux yeux clos. L’éruption colorée advient véritablement avec les fleurs, métaphore même de la peinture pour l’artiste, qui affirme : « L’art est une fleur qui s’épanouit librement, hors de toute règle ». Les fleurs, comme les insectes, sont observés et décortiqués, mais c’est un au-delà de la nature qui intéresse Redon. La nature est un prétexte pour formuler les signes d’un monde rêvé, poétique et céleste. Avec les bouquets viennent la sécurité matérielle : Redon vend bien et touche un public de plus en plus large dès 1905. Aujourd’hui, les bouquets sont toujours les oeuvres les plus cotées, pouvant passer les 3,5 m$. Ce record sanctionne non pas une huile sur toile mais un pastel, technique la plus prisée de l’artiste (Vase au guerrier japonais, vers 1905, vendue chez Sotheby’s le 5 février 2008 à Londres). Le record pour le même sujet à l’huile culmine à 1,5 m$ au marteau (Fleurs dans un vase vert, 1910, vendu 1,5 m$ le 5 mai 2004 chez Sotheby’s à New York). Le passage à la couleur est aussi marqué par l’usage de toiles de plus en plus grandes, surtout lorsque l’artiste se prête à des thèmes mythologiques ou sacrées. L’oeuvre la plus imposante parue en salle est une composition mythologique audacieuse dans son élan vertical de 2,4 mètres (Le Monde des chimères, vers 1903-1904, vendue 1,2 m$ au marteau de Sotheby’s le 16 novembre 1998). Les toiles de plus d’un mètre sont néanmoins rarissimes. Le marché est essentiellement alimenté de petits formats, entre 30 et 70 cm en moyenne, qui passent aisément le seuil de 200 000 $ si l’oeuvre est aboutie et le sujet typique. Lors des récentes ventes de Londres, Christie’s cédait un bouquet de 65 x 55 cm pour 622 440 $ (soit 751 000 $ frais inclus, Fleurs dans un vase bleu, le 4 février 2014).

Deux huiles sur toiles sont annoncées pour les prochaines cessions new-yorkaises : Eve dans un paysage (27 x 21,3 cm), qui pourrait atteindre 120 000 $ malgré son petit format, chez Christie’s le 7 mai 2014, et une Femme ailée (37,1 x 27 cm) annoncée autour de 30 000 $ chez Sotheby’s le lendemain.