Les hyperréalistes d’hier à aujourd’hui

[20/08/2013]

 

A l’heure où les artistes Pop émergent sur la scène américaine en détournant les codes d’une société de consommation bouillonnante, quelques compatriotes se livrent à des jeux laborieux explorant les frontières ténues entre réalité et illusion.

Prenant pour base de travail des photographies, les hyperréalistes vont s’appliquer à jouer au pinceau ce que l’objectif capture sans effort. Avec une fidélité impressionnante, ils réalisent donc des copies de copies, dans lesquelles le lustre d’une voiture, la ridule d’un visage ou la lumière crue d’un néon sont autant de prouesses techniques. Fondée à la fin des années 60 par le galeriste Louis K. Meisel sous le nom de Photoréalisme, cette tendance est un constat de réalité, dépourvu à priori du subjectivisme de l’artiste, et très éloignée en ce sens de l’Expressionnisme américain qui le précède, et dont la cote s’envole actuellement aux enchères. Les artistes de l’expressionnisme abstrait sont en effet dix fois plus cotés en moyenne que leurs confrères réalistes.

L’hyperréalisme a évolué sur trois générations, les artistes s’emparant notamment des possibilités techniques de leur époque. Des paysages urbains de Richard ESTES aux photo-tableaux de Cindy SHERMAN, le processus de trompe-l’œil s’est parfois inversé, allant de la photographie vers la peinture chez Estes, puis de la peinture (maquillage à outrance) vers la photographie chez Cindy Sherman. Dans ces renversements, les principaux sujets demeurent : rapport leurre-réalité et analyse du monde dans ses détails afin de mieux le voir et le comprendre.

Hétérogénéité des prix selon les signatures
On compte parmi les grands maîtres américains de la première génération des artistes tels que Richard ESTES, Ralph GOINGS, Chuck CLOSE et Robert COTTINGHAM, qui ont tous atteint une reconnaissance internationale lors de leur participation à la Documenta 5 de Kassel en 1972. Ces virtuoses ont ensuite rapidement gagné les cimaises des plus grands musées. Quarante ans plus tard, leurs œuvres sont rares en salles des ventes, et cette pénurie tient en grande partie à une production très restreinte due à l’application lente et minutieuse des artistes. Faute d’œuvres majeures régulièrement soumises à enchères, leurs records sont souvent quelque peu anciens.

C’est notamment le cas du portraitiste chéri du mouvement, Chuck Close. Aucune huile ou acrylique de Close n’ayant été présentée en salle de ventes en 2004, la première adjugée en 2005 établissait d’emblée un record, toujours actuel, à 4,3 m$ (portrait monumental d’un certain John daté 1971-72, vendu chez Sotheby’s New York le 10 mai 2005). Les grands formats de Close dépassent donc largement le million mais on trouve encore quelques dessins pour moins de 10 000 $, à l’instar du portrait pixelisé de Robert (1982) acheté l’équivalent de 6 405 $ à Tokyo le 5 novembre 2011 chez Mainichi Auction.
Chez Close, le réalisme du visage génère un impact psychologique plus puissant que les paysages urbains de Richard Estes ou les natures mortes de Ralph Goings, et porte les meilleures toiles à des niveaux de prix encore jamais atteints par ces derniers. Les sommets d’Estes et Goings n’ont jamais encore flirté avec le million (record de 500 000 $ pour Estes, 34th St Manhattan le 12 mai 2004, et de 580 000 $ pour Goings, Still life with Peppers le 12 mai 2010).

Plus les œuvres sont précises et monumentales, plus elles fascinent et sont cotées. Quelques artistes américains moins laborieux sont de fait plus abordables : comptez entre 5 000 $ et 15 000 $ pour Don EDDY (né en 1944) dont les prix sont nettement retombés en 20 ans, tandis que des Européens de la même génération se vendent parfois moins de 5 000 $, comme Bruno SCHMELTZ, né en 1943. Les artistes européens leaders sont plus abordables que les figures tutélaires américaines, la force de frappe du marché n’ayant rien de commun de part et d’autre de l’Atlantique. Même si un artiste de la trempe de Gérard SCHLOSSER (artiste phare de la Figuration narrative en France) a vu son indice de prix augmenter de plus de 80 % sur la décennie, son record d’enchère équivaut à 133 920 $ (100 000 € pour la toile 11H 35 de 1969, vendue chez Versailles Enchères le 11 décembre 2011), lorsque les sommets américains sont à multiplier par quarante au minimum.

La sculpture plus appréciée que la peinture
L’hyperréalisme n’est pas qu’affaire de peinture et c’est d’ailleurs en sculpture qu’il s’exprime le mieux. Plus vraisemblable en trois dimensions, l’œuvre piège véritablement le spectateur en le prenant par surprise dans son propre espace de vie. Comment ne pas être destabilisé par la présence d’un double si réaliste, à qui il ne manque qu’un souffle ?
Le trompe-l’œil en 3D est particulièrement recherché et, à ce jeu, les jeunes artistes sont plus cotés que les pères du mouvement. Les collectionneurs préfèrent en effet les enfants de leur temps aux figures tutélaires de l’histoire de l’art contemporain : le record de Ron MUECK est ainsi trois fois plus élevé que celui de Duane HANSON et Maurizio CATTELAN fait mieux encore avec un sommet équivalent à 7 m$, 20 fois supérieur à celui de Duane Hanson.

John Louis DE ANDREA et Duane Hanson, n’ont jamais atteint le million en vente publique. Plus étrange encore, De Andrea ne dépasse pas 120 000 $ bien qu’il soit une figure historique connue dans le monde entier (Sitting woman, record actuel de Sotheby’s, 11 mai 2011). Certes, les prix progressent mais timidement par rapport aux envolées millionnaires que connaissent nos contemporains. Cette amplitude de prix abyssale entre les pionniers et les ultra contemporains ne tient pas qu’à l’effet de mode mais aussi au degré de réalisme supplémentaire conquis en vingt ans, et à une amplification de l’implication psychologique du spectateur. A ces jeux, Maurizio Cattelan et Ron Mueck sont les nouveaux élus de l’hyperréalisme contemporain.