Les artistes les plus chers peuvent-ils être abordables ?

[22/10/2013]

 

Si le monde des enchères se repaît de records toujours plus spectaculaires, le marché haut de gamme ne représente qu’une part infime de l’offre mondiale.Aujourd’hui, le marché est constitué à plus de 80 % d’oeuvres adjugées pour moins de 5 000 $. Contrairement aux préconçus, cette manne d’oeuvres ne concernent pas seulement les « second couteaux », les marchés très localisés et les pièces anonymes (non prises en compte dans les analyses). Les signatures les plus cotées du monde changent elles aussi de mains dans des gammes de prix abordables, en fonction de leur médium, de leur état et de leur rareté. La preuve par l’exemple : en retenant les cinq artistes les plus cotés de la planète, à savoir Edvard Munch, Pablo Picasso, Alberto Giacometti, Gustav Klimt et Mark Rothko (cf Top 10 : les oeuvres les plus chères du monde), force est de constater que tous font l’objet de transactions inférieures à 5 000 $.

Edvard Munch

Chez Edvard MUNCH, détenteur de la meilleure enchère mondiale toutes périodes et tous médiums confondus, le marché des estampes est particulièrement dense puisqu’il représente 22 % des recettes de l’artiste et 91 % de ses transactions. Le marché étant particulièrement chiche en toiles et dessins de Munch, les estampes flambent et leurs prix grimpent d’autant plus qu’elles sont un mode d’expression aussi important pour lui que la peinture. L’artiste cumule d’ailleurs plus de résultats millionnaires dans le genre que Picasso (14 adjudications millionnaires pour Munch contre dix chez Picasso) avec pour record l’adjudication à 2,79 m$ de Young Woman on the Beach (1896, 3,22 m$ frais inclus, 20 mars 2013, Christie’s Londres). Récemment, une autre eau-forte, certes non signée mais en bon état a changé de mains pour 1 000 $ chez Christiania auktionsforretning à Oslo (Norsk Landskap, 10.5 cm x 14.8 cm, vente du 26 septembre 2013).

Pablo Picasso

La moitié des oeuvres de Picasso se vendent moins de 5 000 $ ! Pablo PICASSO n’est pas seulement l’un des artistes les plus chers de la planète, il fut aussi l’un des plus prolifiques, notamment en terme d’estampes. Le coeur de son marché est ainsi constitué à plus de 60 % d’estampes et de 27 % de céramiques, tandis que ses oeuvres sur toiles représentent seulement 2 % de ses transactions (pour 76 % des recettes). De rares épreuves atteignent le prix de peintures, et le record du genre s’élève tout de même à 4,5 m$ pour La Femme qui pleure 1 (1938, 5 122 500 $ frais inclus, Christie’s New York, 1er novembre 2011)… mais les propositions de feuilles abordables sont pléthores, à l’instar de l’aquatinte Bacchanale, signée et numérotée sur 250 exemplaires et vendue l’équivalent de 6 366 $ en octobre dernier à Fribourg (Peege Frank, 12 octobre 2013). Moins précieuse que cette dernière, l’eau forte non signée intitulée Profil et Tête de Femme n’atteignait pas même sont estimation basse le 5 octobre 2013 à Londres… elle fait le bonheur de son nouveau propriétaire pour un coup de marteau équivalent à 322 $ (chez Rosebery’s à Londres).

Alberto Giacometti

Avec une cote en hausse de plus de 230 % sur la décennie, le marché d’Alberto GIACOMETTI est encore constitué à plus de 40 % d’oeuvres vendues moins de 5 000 $… et à ce niveau de prix, il est possible de tomber sur un dessin original, tel que le travail au crayon Homme sur table, cédé l’équivalent de 4 300 $ chez Kornfeld en juin 2013 (adjudication de 4 000 francs suisses, le 13 juin à Bern, Suisse) ou encore comme le dessin de deux têtes d’hommes dessinés à la plume sur une enveloppe et arrếté à 2 600 euros en décembre 2012 à Paris (Christie’s, près de 3 400 $ au marteau et 4 232 $ frais inclus, 13 décembre 2012). La provenance de ce petit trésor était pourtant belle et apte à faire grimper le prix, les Deux têtes ayant appartenu au libraire Pierre Berès qui fut l’ami de Picasso, Eluard, Queneau et Brassaï.

Gustav Klimt

Il s’avère plus délicat d’accéder à une œuvre originale de Gustav KLIMT pour moins de 5 000 $… non pas qu’elles soient si rares (une soixantaine de dessins ont alimenté les ventes sur l’année 2012) mais il est nécessaire d’être plus généreux. Quelques dessins au crayon circulent en effet, dont certaines sont accessibles pour moins de 15 000 $. Dans ces prix, il est préférable de surveiller les cessions de ventes en Autriche et en Allemagne que sur les places de marché de Londres ou de New York, les prix y sont souvent plus bas. Ainsi, en novembre 2012 par exemple, la Villa Grisebach de Berlin vendait une femme en pied dessinée au crayon rouge pour 10 000 euros, soit 13 000 $ contre une fourchette d’estimation comprise entre 19 000 et 26 000 $ (dessin intitulé Stehender weiblicher Akt réalisé vers 1903, 45 cm x 30 cm, vendu le 30 novembre 2012).

Mark Rothko

Parmi la fine fleur des artistes les plus cotés de la planète, le plus difficilement abordable est le seul américain du Top 5 artistes. Il s’agit de Mark ROTHKO, dont la cote a explosé de près de 225 % sur la décennie et dont le record d’enchère culmine à 77,5 m$ depuis mai 2012 (Orange, Red, Yellow, 1961, le 8 mai chez Christie’s New York). Rothko était avant tout un peintre. Il a laissé sortir peu de dessins et produit peu d’estampes. L’effet de rareté des lithographies n’a pas véritablement d’effet levier sur leur cote aujourd’hui, si bien que l’amateur peut espérer emporter un champ coloré sérigraphique signé et numéroté sur 30 exemplaires pour mois de 2 000 $, comme ce fut le cas chez Fabiani Arte en décembre 2012 (Senza Titolo N° 10, 100 cm x 70 cm)…. pour cela, il s’agira d’être attentif aux occasions, rarissimes. A l’exclusion des affiches d’exposition lithographiques, seules trois épreuves se sont retrouvées en salles de ventes en 20 ans.