Les artistes contemporains latino-américains

[27/04/2012]

 

Le vendredi, c’est Top ! Un vendredi sur deux, Artprice vous propose un classement d’adjudications par thème. Cette semaine : les dix meilleures adjudications réalisées par des artistes contemporains latino-américains.

Le continent sud-américain est le berceau d’une scène émergente riche, de plus en plus reconnue sur la scène internationale. Si collectionneurs, fondations privées, musées et artistes émergent depuis quelques années, ce n’est pas un hasard que de grandes maisons de ventes se spécialisent dans des ventes d’art latino-américain (depuis 2009 chez Phillips de Pury & Company et 2010 chez Sotheby’s). La vitalité des artistes contemporains au sein de cette région, ajoutée à l’intérêt mondialisé croissant des amateurs et professionnels de l’art, n’est pas étrangère aux enchères records signées en 2011.
Face à la profusion et au dynamisme des artistes issus de cette région, quelles générations l’emportent, quels pays se démarquent?
Le Top dévoile que 3 artistes sur les 4 présents sont de la même génération. Nés entre 1957 et 1964 ces trois artistes se disputent 9 des 10 plus belles adjudications de 2011. Le Brésil avec son extraordinaire production artistique et son économie montante sort grand gagnant de ce classement: sur les 4 artistes du Top, 3 en sont natifs. Une montée en puissance qui se manifeste aussi avec une révision des précédents records pour 2 Brésiliens en 2011 : Adrian Varejao et Cildo Mereiles. Quant à la plus belle enchère du Top, elle révèle l’époustouflante ascension d’Adriana Varejao qui, en plus d’une première place atteinte grâce à une enchère millionnaire, occupe les 5ème, 6ème, 8ème et 10ème places.

Top 10 : Meilleures adjudications réalisées par des artistes contemporains latino-américains

Rang Artiste Adjudication Oeuvre Vente
1 Adriana VAREJAO $1527980 Parede com Incisoes a la Fontana II (Wall with Incisions a la Fontana II) (2001) 16/02/2011 (Christie’s LONDON)
2 Felix GONZALEZ-TORRES $1400000 Untitled (Aparicion) (1991) 10/05/2011 (Sotheby’s NY)
3 Beatriz MILHAZES $957840 “O Moderno” (2002) 27/06/2011 (Phillips de Pury & Company LONDON)
4 Beatriz MILHAZES $488070 “Eu só queria entender por que ele fez isso (I just wanted to understan (1989) 14/04/2011 (Phillips de Pury & Company LONDON)
5 Adriana VAREJAO $480000 Ambiente Virtual II (2001) 14/11/2011 (Phillips de Pury & Company LONDON)
6 Adriana VAREJAO $450000 Paisagem II (1997) 26/05/2011 (Christie’s NY)
7 Cildo MEIRELES $430000 In-Mensa (1982) 25/05/2011 (Sotheby’s NY)
8 Adriana VAREJAO $351582 Tea and Tiles (1995-96) 29/06/2011 (Sotheby’s LONDON)
9 Felix GONZALEZ-TORRES $351000 Untitled (1995) 21/09/2011 (Christie’s NY)
10 Adriana VAREJAO $298908 Pele (Skin) (1996) 14/10/2011 (Christie’s LONDON)

Adriana Varejao
Nourrie de références multiples telles que l’histoire coloniale du Brésil, l’art baroque, les ruines architecturales, les sciences naturelles ou encore le théâtre, l’œuvre d’Adriana VAREJAO (1964) bouleverse les représentations, questionne et renverse les mythes. La dimension traditionnelle de son travail incarne la complexité de l’identité brésilienne, de sa culture aux multiples facettes.Elle se fait connaître dès le milieu des années 90, avec ses toiles imitant les carreaux bleus et blancs des azulejos, une peinture traditionnelle sur faïence que les Portugais ont importé au Brésil lors de la colonisation. Mais elle donne une autre dimension à cette tradition et transcende les représentations en offrant un violent contraste : à la toile peinte telle une surface carrelée, froide elle associe de la chair, des viscères. Son actuel record en est un bel exemple : Parede com Incisões a la Fontana II (Wall with Incisions a la Fontana II) présente un mur de carreaux jaunis dont les incisions « fontaniennes » laissent apparaître de la chair. En trouvant preneur à 1,5 m $ (le 16 février 2011 chez Christie’s Londres), elle a plus que triplé son estimation maximale. Encore discrète mais loin d’être étrangère au marché de l’art, la première adjudication au-delà de 100 000 $ d’Adriana Varejao date de 2007 avec Pele tatouada a moda de azulejaria (soit peau tatouée à la façon d’azuléjos, vendue 170 000$ chez Christie’s New York, le 19 novembre). En réalité, l’artiste a su s’exporter, s’imposer, séduire doucement mais sûrement la scène internationale. Et ce depuis les années 90 grâce à des expositions régulières en Europe, aux États-Unis ou encore au Japon, dans des galeries et institutions prestigieuses. Sa consécration officielle date de 2008, année où son pays lui dédie un pavillon permanent au Centre d’art Contemporain d’Inhotim à Sao Paulo. Depuis 2008, sa plus petite enchère s’est frappée à 15 000 $ pour une photographie (Mélée de guerrier nus de Etienne Delann, chez Phillips de Pury & Company, New York le 17 décembre 2010), médium pourtant le moins populaire de l’artiste. Adriana Varejao signe une exceptionnelle année 2011, et s’érige comme l’artiste latino-américaine la plus recherchée avec pourtant seulement 5 enchères néammoins toutes au-dessus de 190 000$ dont sa largement millionnaire Parede com Incisões a la Fontana II (Wall with Incisions a la Fontana II)… affaire à suivre en 2012 !

Felix Gonzalez-Torres

La courte carrière du Cubain décédé du sida en 1996 (1957-1996) a été plus que prolifique, l’intimité de ses œuvres combinant expériences personnelles et réflexions sur l’histoire de l’art a marqué de façon indélébile le monde de l’art. Débutant sa carrière dans les années 80, sa démarche est intimement liée à l’apparition du SIDA. Investissant l’art conceptuel, il réussit à instiller à cette pratique, souvent considérée comme hermétique, une dose d’humanité vraie en interrogeant avec sensibilité et poésie la fragilité de la vie, de l’œuvre d’art. Ayant régulièrement comme point de départ des objets usuels (miroirs, ampoules, bonbons, papiers…), ses travaux s’ouvrent à un large panel de médias. Exemple type d’un artiste auquel le marché donne ses lettres de noblesses post-mortem, les œuvres de Felix GONZALEZ-TORRES connaissent leurs premières adjudications l’année de sa disparition avec des photographies dépassant d’emblée les 4 700 $. En 1998, Untitled, Rossmore, fameuse installation de bonbons invitant les visiteurs à les manger, franchit déjà le seuil des 100 000 $ (Chez Christie’s Londres le 22 avril 1998). Emblème de sa pratique, Untitled, Rossmore pointe du doigt la fragilité de l’œuvre d’art et fait échos à la contamination de la maladie. Depuis le début des années 2000, les œuvres phares de l’artiste signent régulièrement de très belles enchères, ce n’est donc pas un hasard si nous retrouvons Untitled (Aparicion) à la deuxième place. Même si sa meilleure vente 2011 adjugée à 1,4 m$ (Sotheby’s, New York, le 8 novembre) est loin de son record à 4 m$ signé en 2010 pour Untitled (Portrait of Marcel Brient) (Phillips de Pury & Company, New York le 8 novembre), elle se positionne néanmoins comme la 3ème meilleure vente de l’artiste. Les 8 œuvres passées en vente en 2011 ont toutes trouvé preneur, confirmant ainsi la stabilité de son marché.

Beatriz Milhazes

Les toiles de Beatriz MILHAZES (1960) foisonnent de couleurs et de motifs décoratifs qui possèdent indéniablement une saveur brésilienne. A ses inspirations diverses allant des premiers peintres abstraits (Frantisek KUPKA, Wassily KANDINSKY, Sonia DELAUNAY-TERK…) en passant par les couleurs intenses d’Henri MATISSE et par les compositions structurées d’un Piet MONDRIAAN, s’ajoutent les traditions classiques et populaires de son pays natal : céramique, joaillerie, dentelle, architecture baroque, bossa nova… Quant à la végétation luxuriante, véritable fascination pour l’artiste, elle s’exprime dans ses arabesques de fleurs et plantes tropicales omniprésentes dans son œuvre. Si la peinture constitue l’élément majeur du travail de Béatriz Milhazes, elle a recourt également à d’autres techniques telles que le collage, la gravure ou encore sa technique très singulière inspirée de la décalcomanie (elle recouvre de peinture des films plastiques transparents et applique les couleurs sur la toile en retirant le film).Beatriz Milhazes émerge sur la place de marché comme Adriana Varejao à la fin des années 90, toutefois plus présente que cette dernière, elle a à son compteur 70 œuvres mises en vente contre 33 pour sa compatriote. Même si elle n’a pas encore connue d’enchère millionnaire, ses ventes sont néanmoins régulières et enregistrent, à ce jour, 27 œuvres au dessus de 100 000$ avec une première enchère dépassant ce seuil en 2005 avec Romantico Americano (adjugée 111 000 $ chez Christie’s Londres le 9 février). L’énergie et les couleurs explosives de ses toiles sont bien représentées dans ce Top où deux de ses œuvres s’accaparent les 3ème et 4ème places avec une adjudication à 958 000 $ (O Moderno, Phillips de Pury & Company, Londres le 27 juin) et une à 488 000 $ Eu só queria entender por que ele fez isso (I just wanted to understand why he did that, Phillips de Pury & Company, Londres le 14 avril).

Cildo Meireles

Né en 1948, le Brésilien fait le lien entre la génération d’artistes nés dans les année 60 qui a conquis une place de choix sur le marché mondial de l’art et celle, plus intimiste, des artistes nés dans les années 20 et 30, initiateurs du néo-concrétisme qu’il a ensuite développé (mouvement initié à la fin des années 50 par Lygia CLARK, Hélio OITICICA, Lygia PAPE). Reconnu pour ses installations et sculptures déroutantes dont la plupart tendent à exprimer avec une dérision poétique la société de consommation, le monde de l’art, la politique. Ses œuvres, souvent immenses et denses, encouragent l’interaction du spectateur et convoquent quelques-unes de nos peurs profondes (le noir, le gaz, les barbelés…). Il est révélé dans les années 70 grâce à ses installations profondément politiques, contestataires, s’érigeant contre la dictature brésilienne alors en place (1964-1985). Il réalise, par exemple, lors de la Biennale de Sao Paulo en 1981 La Bruja 1, une mer de 2500 kms de fils qui phagocyte l’espace et s’accroche aux pieds des spectateurs. Discret jusqu’à présent, son marché s’accélère en 2011 où il se vendait 17 œuvres, c’est-à-dire presque autant qu’en 3 ans (1997-2010). Sur ces 17 œuvres, deux effacent son record détenu depuis 2008 par Coracao Faquir (un cœur clouté tel un tapis de fakir adjugé 160 000 $ chez Sotheby’s New York le 18 novembre) : Art Market Confidence Index devient son nouveau record et lui accorde la 7ème place de ce Top avec un prix marteau atteignant 430 000 $ (chez Sotheby’s New York le 25 mai). Quant à sa deuxième plus belle enchère, Jogo de Velha seri C 8A (Tic-Tac-Toe Serie C 8A frappée 237 000 $ (chez Christie’s Londres le 14 septembre 2011), elle illustre bien la montée en puissance de cet artiste puisque deux œuvres de la même série et aux dimensions identiques avaient été adjugées 80 000 $ puis 140 000 $ en 2009.

L’art contemporain latino-américain semble prendre peu à peu l’importance qu’il mérite sur la place mondiale du marché de l’art. La plupart des ces artistes, déjà largement acclamés par les institutions (Tate, Moma, Guggenheim…) et évènements majeurs (biennales, foires…) voient dans l’ensemble leur marché s’accélérer en 2011. Considérablement soutenue aussi bien par des acteurs publics que privés, l’immensité de cette région et le foisonnement de sa scène sont encore loin de nous avoir livré tous leurs secrets.