Le Top des céramiques

[23/02/2018]

Le vendredi, c’est Top ! Un vendredi sur deux, Artprice vous propose un classement d’adjudications par thème. Découvrons cette semaine les 10 céramiques les plus cotées sur le marché des enchères.

Qui dit céramique dit travail de la terre, donc travail de sculpteur. La céramique, qui vient du mot « keramos » signifiant argile, désigne une famille de matériaux considérés comme moins nobles le marbre et le bronze, les deux matériaux de prédilection de la grande tradition sculpturale en Occident. Mais le renouvellement des codes de l’histoire de l’art par les avant-gardes du XXème siècle a permis de décloisonner la hiérarchie des techniques. De nos jours, le distinguo entre arts mineurs (dont fait partie le travail de la terre) et arts majeurs paraît de plus en plus obsolète, notamment dans la création actuelle, où des artistes tels que AI Weiwei et Thomas SCHUTTE  utilisent abondamment la terre et ne s’en trouvent pas moins cotés pour autant que leurs contemporains. Les œuvres en terre peuvent atteindre des sommets aux enchères. Ce classement révèle d’ailleurs uniquement des résultats millionnaires pour des œuvres allant de la Renaissance jusqu’au milieu du XXème siècle.

Rang Artiste Adjudication ($) œuvre Vente
1 Andrea BRIOSCO (1470-1532) 5 224 838$ Bust of the Virgin and Child 10/12/2002 Sotheby’s Londres
2 Giovanni Lorenzo BERNINI (Attrib.) (1598-1680) 3 239 115$ Il Moro 09/07/2002 Sotheby’s Londres
3 Pablo PICASSO (1881-1973) 2 407 500 $$ Le hibou (rouge et blanc) 16/11/2016 Christie’s New York
4 Lucio FONTANA (1899-1968) 2 064 820$ Concetto spaziale, Natura 11/02/2014 Christie’s Londres
5 Pablo PICASSO (1881-1973) 1 904 457 $$ La chouette 03/02/2015 Sotheby’s Londres
6 Lucio FONTANA (1899-1968) 1 832 000 $$ Concetto spaziale, natura 16/05/2007 Christie’s New York
7 Lucio FONTANA (1899-1968) 1 818 500 $$ Concetto spaziale, natura 13/05/2009 Christie’s New York
8 Lucio FONTANA (1899-1968) 1 575 787 $$ Caminetto 28/04/2015 Christie’s Milan
9 Pablo PICASSO (1881-1973) 1 535 797$ Grand vase aux femmes voilées 19/06/2013 Christie’s Londres
10 Lucio FONTANA (1899-1968) 1 499 198 $ $ Il Guerriero (The Warrior) 06/10/2017 Christie’s Londres
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Deux artistes devancent Picasso

La Renaissance l’emporte sur la Modernité, dans ce classement dominé par deux artistes italiens des XVIème et XVIIème siècles : Andrea BRIOSCO et Lorenzo BERNINI.

5,2 m$ est le prix du record absolu pour une œuvre en terre cuite. Ce sommet venait récompenser, en 2002, l’oeuvre d’un important sculpteur de la Renaissance italienne, Andrea BRIOSCO (1470-1532), une signature rarissime sur le marché. La société de ventes Sotheby’s, en charge de mettre aux enchères une Vierge à l’enfant en buste, décrivait l’oeuvre comme l’un des derniers chefs-d’œuvre en terre cuite de la Renaissance encore en mains privées. Elle fut réalisée vers 1520, pour une église où un couvent à Padoue, puis fut redécouverte par un marchand vénitien en 1902 qui pensa avoir affaire à une œuvre de la main de Donatello. L’attribution à Andrea Briosco fut admise en 1903 pour ce chef-d’œuvre exposé à plusieurs reprises, dont une fois au Victorian & Albert Museum de Londres quelques mois avant sa mise en vente, dans le cadre de l’exposition Earth and Fire: Italian Terracotta Sculpture from Donatello to Canova.

Second sur le podium des records, une œuvre moins sage de Giovanni Lorenzo BERNINI (1598-1680) révèle le corps noueux d’un Maure tout en torsion et contre-torsion dynamiques. Malgré sa seule « attribution » au grand Bernin, cet hymne au mouvement typiquement baroque a largement décuplé son estimation haute en 2002, pour s’envoler à 3,2m$. Il Moro est la seule et unique terre cuite du Bernin connue aux enchères. Elle constitue par ailleurs le record absolu de l’artiste. Cette œuvre fut commandée par le Pape Innocent X pour orner la Fontaine du Maure de la place Navone à Rome. Les experts de Sotheby’s ont considéré que cette importante sculpture était l’une des toutes dernières versions réalisées par Le Bernin pour la présenter au Pape en 1652, quelques mois avant l’installation définitive de la sculpture sur la place Navone.

Picasso et la céramique

Picasso fait son premier essai à la poterie Madoura le 26 juillet 1946 après avoir rencontré Georges et Suzanne Ramié, propriétaires de l’atelier de céramique Madoura. Intéressé par la malléabilité de la terre, l’artiste se jette pleinement dans l’exploration de ce matériau jusqu’à créer quelques 2 000 pièces sur la première année passée à Vallauris (1947-1948). Le rythme se calme dans les années qui suivent mais Picasso laisse finalement derrière lui quelques 4 000 pièces en 20 ans (jusqu’en 1971). Il souhaitait que ces œuvres, de prix plus accessibles, intègrent le quotidien et soient pour la plupart fonctionnelles. Le contrat établit avec Madoura comprenait l’édition de certaines pièces. Quelques 633 modèles ont donc été édité de 25 à 500 exemplaires chacun. Assiettes, pichets à vin, vases… Picasso a joué avec les formes, les styles, les outils et les techniques, osant tout, ne s’interdisant rien. Il a décoré inlassablement plats et assiettes, avec ses thèmes favoris dont la corrida, les femmes et les oiseaux, a transformé la matière et créé des formes plus personnelles, de véritables sculptures émancipées de toute logique pratique.

La céramique de Picasso est aujourd’hui considérée comme une niche à part du marché, niche à laquelle la société Christie’s dédie des ventes chaque année avec un taux de réussite impressionnant. Le record absolu demeure assez récent : il fut enregistré en novembre 2016 à New York grâce à un superbe hibou (rouge et blanc), une sculpture peinte de 1953. Ce symbole de la sagesse est un motif dominant dans l’oeuvre de Picasso, et donc particulièrement prisé des collectionneurs. L’oeuvre mise en vente chez Christie’s provenait de la prestigieuse collection Rockefeller, soit un pedigree non négligeable pour attiser les enchères. Le hibou (rouge et blanc) s’est finalement envolé pour 2,4m$, posant le record absolu d’un Picasso agile à manier la terre. Cette pièce est par ailleurs unique, mais certaines éditions rares de Picasso passent le million de dollars, à l’instar Grand vase aux femmes voilées, l’une de ses céramiques les plus appréciées. Le meilleur prix emporté pour cette œuvre tirée sur 25 exemplaires fut atteint en 2013, à hauteur de 1,5 m$ frais inclus.
Le marché des céramiques de Picasso offre en parallèle de nombreuses possibilités d’acquisitions avec un budget inférieur à 3 000$. Or, pour les petites céramiques comme pour les grandes, la demande est mondiale. Les collectionneurs sont majoritairement occidentaux mais les acheteurs asiatiques ont une véritable considération pour ce type de pièces qui relèvent d’un « art du feu » profondément ancré dans la tradition asiatique.

Fontana tient la moitié du Top

Heureux de s’être «  fait un nom comme céramiste » de son vivant, Fontana considérait pleinement ce travail comme un travail de sculpteur. Jubilation de la matière et richesse des couleurs à travers les émaux, l’art de la céramique de Fontana est généreux, décomplexé et rococo. La reconsidération du pan important que constitue son œuvre modelée s’avère assez récente. Ce travail a longtemps été relégué dans l’ombre, n’étant pas du goût de son époque, d’autant que l’artiste s’est d’abord inspiré de l’iconogra­phie religieuse pendant 10 ans, avec un bouillonnement de la matière inhabituel pour des sujets tels que la Vierge à l’Enfant, la Crucifixion ou le Chemin de Croix. Après la Seconde Guerre Mondiale, la céramique a nourri le développement du Spatialisme, qui constitue le pan le plus recherché et le plus coté de ses œuvres. L’œuvre la plus valorisée du classement est un Concetto spaziale, Natura, une sphère en terre portant les traces d’un modelage sommaire, une œuvre brute et puissante emportée pour plus de 2 m$ en 2014 à Londres.