Le succès de Pierre Bonnard à Fontainebleau

[07/04/2015]

 

L’univers intime et chatoyant de Pierre Bonnard est à l’honneur en France. Une rétrospective s’est récemment ouverte au musée d’Orsay (Pierre Bonnard. Peindre l’Arcadie, jusqu’au 15 juillet 2015) et une vente historique entièrement consacrée à l’artiste vient d’emporter un franc succès à Fontainebleau.

Dispersion de la collection Antoine Terrasse le 29 mars 2015 a Fontainebleau

Antoine Terrasse, historien de l’art et petit-neveu de Pierre BONNARD à qui il consacra une première monographie en 1964. Il devint par la suite l’un des grands spécialistes du post-impressionnisme et du mouvement Nabi, dont Bonnard fut l’un des fondateurs. Disparu en décembre 2013, Antoine Terrasse passa une grande partie de sa vie à Fontainebleau, et fut même adjoint au maire de la ville.

Une telle collection aurait pu se vendre aisément à Londres ou à New York. Elle y aurait emporté un franc succès. Or, le commissaire-priseur Jean-Pierre Osenat a réussi son pari à Fontainebleau, totalisant 5,4 millions d’euros pour une centaine d’oeuvres, et attirant notamment à lui des collectionneurs américains. Collectionneurs et institutions américaines affichent en effet un goût prononcé pour l’oeuvre de Bonnard, dont près de la moitié du marché se joue à New York. L’une des œuvres les plus chère de la vente fut d’ailleurs emportée par un acheteur américain à 780 000 €, soit 950 000 $ hors frais, trois fois l’estimation haute. Il s’agit d’un petit Autoportrait de 1899 (21x 18 cm), le premier connu de Bonnard, alors âgé de 22 ans. Une seconde toile a flirté avec le million de dollars : il s’agit de La Promenade, adjugée 790 000 € à un acheteur étranger, contre une estimation de 250 000 à 300 000 €. La Promenade est un petit bijou de 37,5 x 31 cm, une scène ensoleillée typique de Bonnard et des années 1900. Signalons encore les 420 000 € (457 000 $) emportés par une Petite fille au chat, huile sur carton de 1899 représentant Renée Terrasse, fille de la sœur de Pierre Bonnard mariée avec le compositeur Claude Terrasse.

Cette vacation reste exceptionnelle dans l’histoire du marché de Bonnard, non pas tant en terme de records (Bonnard cumule 73 adjudications millionnaires, généralement enregistrées à Londres et New York) mais pour la qualité de cet ensemble intime, comprenant des sculptures, nombre de dessins, une douzaine de carnets de croquis et même une palette de l’artiste. Cette palette au chromatisme éclatant, a d’ailleurs multiplié par 10 son estimation (estimée 3000 à 4000 €). Quelques dessins sont aussi partis au décuple des attentes : une Baigneuse de dos à la mine de plomb (c. 1914, adjugée l’équivalent de 12 000 $) et un Nu à la baignoire et nu penché (adjugé plus de 20 000 $). En règle générale, tous les dessins sont partis bien au-delà des attentes, surtout les scènes intimistes de nus au tub. Tous n’étaient cependant pas inabordables et une vingtaine se sont vendus autour des 3 000 $.
Bien qu’il s’impose comme l’un des peintres les plus importants de la première moitié du XXe siècle et l’un des plus grands coloristes de la peinture occidentale, Bonnard est nettement moins coté que les grands artistes français de l’époque, Matisse, Braque ou Picasso. Un Nu dessiné au crayon signé Henri MATISSE peut valoir 5, 10, 20 fois plus cher qu’un nu de Bonnard… Il en est de même pour les records : lorsque Matisse culmine à 41 m$ (Les Coucous, tapis bleu et rose), Bonnard plafonne à 10,3 m$. Son record fut signée chez Christie’s Londres en 2011, pour une scène d’extérieur baignée de lumière et exaltant la couleur, un grand format (120 x 105 cm) choisi par Bonnard lui-même pour le Salon d’Automne de 1923.

Pierre Bonnard fut grand ami d’Édouard VUILLARD, admirateur de Gauguin et de l’esprit synthétique des estampes japonaises. Il s’exerça aux estampes et même aux affiches. Son estampe la plus connue est sans doute La Petite Blanchisseuse (1896), une lithographie en cinq couleurs sur Chine, résolument moderne et héritière de l’esprit de synthèse Nabi. Cette planche historique (dont l’une fait partie des collections du MoMA) a déjà passé à plusieurs reprises le cap des 100 000 $ en salles, lorsqu’aucun dessin original non gouaché ni aquarellé n’atteint ce niveau de prix.