Le miracle new-yorkais
[15/05/2008]
La morosité du climat financier de ce début d’année faisait craindre un éclatement de la bulle spéculative dans laquelle le marché de l’art est entraîné depuis quelques années. Cette crainte était d’autant plus fondée qu’en Europe les prix des œuvres d’art avaient affiché une baisse brutale de –7,5% au cours du premier trimestre. Avec un dollar faible, restait à savoir comment allait réagir le marché new-yorkais, notamment dans le secteur très haut de gamme. Aussi les ventes «Impressionnist & Modern Art » de Christie’s et Sotheby’s du 6 et 7 mai, suivies une semaine plus tard de l’art contemporain, étaient sous très haute surveillance, notamment de la part des investisseurs qui avaient vu le cours de Sotheby’s passer sous la barre des 30 $ au début de l’année.
Les résultats de ces quatre vacations ont dissipé tout angoisse sur la fragilité du secteur le plus médiatique du marché. En une semaine et 212 coups de marteaux, les deux mastodontes Christie’s et Sotheby’s ont enregistré un chiffre d’affaires record de 1,2 milliard de dollars. Certes, c’est presque 100 millions de dollars de moins qu’au cours des ventes de novembre 2007, mais c’est aussi 3 fois plus que le produit des ventes cumulées de mai 2004. A l’origine de tels résultats, le maintien des prix de l’art contemporain négociés à coups de millions de dollars. Ainsi, l’art contemporain a rapporté 35% de plus que l’impressionnisme et l’art moderne aux deux auctioneers. Non seulement le réservoir des chefs d’œuvres impressionnistes et modernes s’amenuise mais en période de forte spéculation l’art contemporain est toujours très attractif.
Globalement, outre le fait qu’elles ont été encore une fois l’écrin de nombreux records spectaculaires, ces ventes de mai sont marquées par l’arrivée en force des collectionneurs européens attirés par un dollar bas et les nouvelles fortunes russes déjà prises au jeu des enchères. Selon Christie’s, plus de la moitié des acheteurs de la vente Impressionniste et moderne du 6 mai était d’ailleurs européens, contre 32% d’acheteurs américains.
Afin d’accrocher les plus belles pièces à leur palmarès, la rivalité entre Christie’s et Sotheby’s les a poussé une fois de plus à offrir des garanties millionnaires alléchantes. Avec le niveau des prix actuels, elles parviennent ainsi à courtiser les plus grands collectionneurs de la planète et les incliner à se défaire de leurs chefs-d’œuvre. Ainsi, au-delà même de la hausse de la cote des artistes, la qualité des pièces proposée a rarement été aussi élevée.
Christie’s est parvenu à présenter une pièce majeure de Claude MONET qui fit l’objet d’un catalogue indépendant : Le Pont du chemin de fer à Argenteuil. Cette vue d’Argenteuil, point des rendez-vous des peintres impressionnistes français de la fin du XIXème siècle, est un sujet emblématique et une des rares toiles se trouvant encore en main privée. Avec une enchère gagnante de 37 M$, la toile signait un nouveau record pour Monet d’une part, et la plus forte enchère des trois jours de vacations d’art Impressionniste et Moderne d’autre part.
Monet est talonné par Fernand LÉGER qui décrochait 35 M$ et son nouveau record avec l’Etude pour la femme en bleu chez Sotheby’s. A ce prix, son précédent sommet de 20 M$ signé chez Christie’s en 2003 est largement déclassé (pour La femme en rouge et vert). Dans le palmarès des records, furent enregistrés ce 6 mai ceux d’Auguste RODIN pour le bronze Eve, grand modèle-version sans rocher (16.5 millions de dollars), de Joan MIRO pour La Caresse des étoiles (15,2 M$) et d’Alberto GIACOMETTI pour le bronze Grande Femme debout II (24,5 M$).
Décidément à l’honneur, Giacometti enregistrait 11 enchères millionnaires lors de ces ventes de mai, dont son record pour une peinture grâce aux 13 M$ du Portrait de Caroline vendu chez Sotheby’s. Ce 7 mai chez Sotheby’s, une toile de Giacometti et une autre de Munch passaient pour la première fois le seuil symbolique des 10 M$. Le nouveau record à battre pour Edvard MUNCH est de 27,5 M$ (Girls on the bridge, 1902).
Mais de telles enchères n’ont plus la mesure de celles qui animent les vacations « Post-war et Contemporary art», secteur le plus brûlant du marché. Le 14 mai, le très médiatisé Triptych de Francis BACON était pressenti pour une adjudication record. Ce fut le cas avec 77 M$ déboursés par un collectionneur privé européen ! Ce record est désormais celui à battre pour une œuvre d’art contemporain aux enchères.
Parmi les grandes surprises de la soirée, soulignons aussi les 21 M$ pour un monochrome à la feuille d’or d’Yves KLEIN et 13,5 M$ pour une sculpture monumentale de Takashi MURAKAMI, des enchères nettement supérieures aux estimations.La veille chez Christie’s, une autre enchère historique fut enregistrée avec une toile exceptionnelle de Lucian FREUD vendue 30 M$ et faisant du petit-fils de Sigmund Freud l’artiste vivant le plus cher du moment. Il déclasse ainsi Jeff Koons (né en 1955) qui, rappelons-le culminait à 21 M$ pour son monumental Hanging heart dispersé en novembre 2007.
A l’issue des 4 prestigieuses vacations du soir, 31 records d’artistes ont été battus chez Christie’s et Sotheby’s.Sotheby’s est sortie vainqueur de la compétition avec une vacation « Contemporary Art Sales » affichant un produit de vente record pour l’auctioneer de 362 M$.
La faiblesse du dollars a aiguisé l’appétit des collectionneurs européens qui sont à l’origine de nombre d’enchères élevées. Parmi les pièces phares acquises par des européens, soulignons le triptyque de Francis de Bacon, une toile abstraite de 1990 de Gerhard RICHTER (13,5M$), Untitled (Prophet I) de Jean-Michel BASQUIAT (8,5M$). Lors des ventes « impressionist & modern art » du 6 et 7 mai, les 11% d’acheteurs européens ont emporté à eux seuls 41% du produits de ventes, avec parmi la liste des trophées destinés à regagner l’Europe, « La Femme en bleu » de Fernand Léger.
A New York, sur l’ensemble des ventes de mai, toutes gammes confondues, l’indice des prix des œuvres d’art, calculé selon la méthode des ventes répétées, et corrigé des variations saisonnières, est en hausse de +7% par rapport à mai 2007 mais en recul de –6% par rapport à novembre 2007. Preuve que la réussite des ventes de mai tient davantage au soin apporté par les auctioneers dans la sélection des œuvres dispersées qu’à la hausse naturelle des prix. Preuve aussi que dans le contexte actuel, le très haut de gamme résiste bien mieux que les autres secteurs du marché.