Le Cri bouleverse le marché de l’art et la hiérarchie des genres

[04/05/2012]

 

Un nouveau record mondial est tombé mercredi 2 mai au soir, lors de la vente de prestige orchestrée par Sotheby’s New York.
Le Cri d’Edvard MUNCH a été adjugé 107 m$ (119,9 m$ avec frais) et déclasse désormais Pablo PICASSO, ancien détenteur du titre avec Nude, Green leaves and Bust (95 m$ le 4 mai 2010, Christie’s New York). En effet, depuis 1990, seuls trois records mondiaux (en dollars) ont été frappés : le 15 mai 1990, le Portrait du docteur Gachet de Vincent VAN GOGH s’envolait pour 75 m$, détrôné le 5 mai 2004 par Pablo PICASSO avec Le garçon à la pipe (93 m$) qui battu son propre record le 4 mai 2010 avec Nude, Green leaves and Bust.

Le plus étonnant est qu’un dessin puisse être l’œuvre la plus chère du monde !
Quinze ans plus tôt, le marché était encore dans un clivage des genres, où par définition la peinture et la sculpture étaient les genres majeurs privilégiés par les grands collectionneurs, institutions et investisseurs.

Ces dernières années, la raréfaction des signatures maîtresses de l’art et la dimension iconique des œuvres désormais ancrées dans la mémoire collective, ont complètement explosé la hiérarchie traditionnelle. Le dessin n’est plus et ne sera plus jamais considéré comme un parent pauvre de la peinture. Il y a quelques années, le record adjugé pour le dessin Head of a Muse de RAPHAEL (42,7 m$, le 8 décembre 2009 chez Christie’s Londres) laissait déjà présager la fin de la hiérarchie des genres. Le record de Munch confirme cette tendance : sur ces dix dernières années (janvier 2002 – janvier 2012), l’indice des prix du dessin progresse de plus de 197 %, contre 161 % pour la peinture.

L’art est depuis toujours une valeur symbolique et une œuvre comme le Le Cride Edvard MUNCH, qui condense en une image de 79 x 59 cm toute l’angoisse de l’humanité, peut être considérée comme la Joconde de l’expressionnisme.

En un coup de marteau, l’artiste norvégien explose son produit des ventes de l’année 2011 (7 645 527$ pour 82 lots vendus), ce qui lui permettrait alors de grimper dans le classement mondial des artistes par chiffre d’affaires (219ème rang en 2011).

Le même jour, Christie’s donnait une vacation d’œuvres impressionnistes et modernes : Marc CHAGALL, Wassily KANDINSKY, Pablo PICASSO, Vincent VAN GOGH, Pierre-Auguste RENOIR et Henry MARTIN furent tous récompensés par des enchères supérieures à 500 000 $. Le record de la vente fut frappé pour une sculpture d’Ernst BARLACH, Weinende Frau (1923). Avec une enchère gagnante de 938 500 $, contre une estimation de 200 000 – 300 000 $. L’artiste signait ainsi son record mondial aux enchères, et confortait un peu plus, après le record de Munch, l’explosion des prix de l’art expressionniste.

Expressionnisme : +46 % depuis 2000

L’indice des prix de l’expressionnisme, mouvement marquant de l’Europe du Nord, expressivité révolutionnaire du début du XXème siècle, n’en finit pas de grimper (+46 % depuis 2000). Parmi les figures phares de cette tendance, Edvard MUNCH, mais aussi August MACKE, Franz MARC, Gabriele MÜNTER, Emil NOLDE, Hermann Max PECHSTEIN, Alexej VON JAWLENSKY, Ernst Ludwig KIRCHNER et Egon SCHIELE sont les plus cotés.
Sotheby’s et Christie’s présentaient chacune des œuvres sur papier d’Egon SCHIELE pour ces ventes de mai : Christie’s adjugeant le 1er mai un superbe nu au crayon pour 600 000 $ (son estimation haute, 29.5 x 46 cm, 1918) et Sotheby’s cédant Deux amies, aux chairs subtilement rehaussées de couleurs, pour 1,65 m$ (Zwei freundinnen) le lendemain.
Les plus beaux nus aquarellés de Schiele s’échangent entre 5 et 10 m$ et les coups de marteau millionnaires s’accélèrent : on comptait 2 dessins millionnaires dans les années 90 (en salles des ventes) ; on en dénombre 55 entre 2000 et mai 2012 !

17 m$ pour un dessin de Paul Cézanne

Les œuvres les plus emblématiques et les plus prisées de Paul CÉZANNE sont sans conteste ses natures mortes, ses paysages de la Sainte Victoire et ses joueurs de cartes. Or, Christie’s proposait le 1er mai un joueur esseulé, une étude très aboutie à l’aquarelle, la plus belle d’ailleurs qui n’ait jamais été présentée en salles des ventes sur ce sujet. Ce travail sur papier de 46,7 x 30,5 cm s’envolait à 17 m$, un score peu étonnant (il se situe d’ailleurs dans la fourchette d’estimation) au vu de la notoriété du sujet et au su de l’acquisition récente, par la famille royale du Qatar, d’une version des Joueurs de Cartes (1895, l’huile sur toile). Ce dernier chef-d’œuvre aurait en effet été acquis pour 250 m$ au cours d’une transaction privée, afin d’intégrer les collections du Musée national d’art moderne de Doha (musée présidé par Sheikha Al Mayassa, sœur de l’émir du Qatar).
Notons également que Cézanne dépasse Picasso en dessin : le premier culmine à 22,75 m$ pour une Nature morte au melon vert à l’aquarelle et au crayon (1902-1906, 31,5 x 47,5 cm, Sotheby’s le 8 mai 2007) tandis que le second n’a pas dépassé 12,8 m$ depuis l’adjudication d’une Famille de l’Arlequin, vendue en 1989 (Christie’s NY).
L’aquarelle de Cézanne était le fleuron de cette vacation Christie’s et emportait la meilleure adjudication du soir, à égalité cependant avec un bouquet de Les pivoines d’Henri MATISSE. Cette huile sur toile, peinte à Collioure en 1907, fut exposée la même année chez Bernheim-Jeune. Ses couleurs intenses et la liberté de la touche font d’elle un exemple fort de la fin du fauvisme.

Au menu des prochaines ventes d’art contemporain de mai (8 et 9 à New York), Sotheby’s mise sur Roy LICHTENSTEIN, Andy WARHOL et Francis BACON, avec des œuvres annoncées entre 30 et 40 m$. Chez Christie’s, une fourchette de prix tout aussi impressionnante est donnée pour FC 1, œuvre monumentale et emblématique d’Yves KLEIN, dont le record culmine pour l’heure à 21 m$ (MG 9, 14 mai 2008, Sotheby’s).