La Seconde Ecole de Paris ou l’art informel après la seconde guerre

[11/10/2006]

 

La seconde Ecole de Paris affiche une progression de +130% en 10 ans bien que sa cote reste inférieure de 15% par rapport au niveau de 1990-1991, au pic de la bulle spéculative.
La seconde Ecole de Paris désigne les artistes abstraits exerçant leur création en France entre 1940 et 1965. A l’instar de l’Ecole de Nice, l’Ecole de Paris n’est pas une école constituée mais une formule artificielle permettant de regrouper divers artistes aux origines hétéroclites et français d’adoption tels que Serge POLIAKOFF de Russie; Hans HARTUNG d’Allemagne; Gustave SINGIER de Belgique; Jean-Michel ATLAN d’Algérie; Maria Elena VIEIRA DA SILVA du Portugal … dont les préoccupations artistiques rencontrèrent, sous la plume des critiques d’art, celles d’autres « informels » tels que Pierre SOULAGES, Jean FAUTRIER, Maurice ESTEVE, Gustave SINGIER, Roger BISSIÈRE ou Jean BERTHOLLE.

Les cinq plus belles enchères de cette Ecole de Paris furent décrochées par Jean DUBUFFET, Jean FAUTRIER, Nicolas DE STAËL, Hans HARTUNG et Jean-Paul RIOPELLE. Jean Dubuffet a déjà réalisé 2 enchères millionnaires depuis le début de la saison des ventes de l’année 2006 pour des œuvres réalisées dans les années 60 et 70. Les huiles de l’artiste avaient décroché pas moins de 23 enchères millionnaires en dollars entre 1989 et 1990 contre 9 ces cinq dernières années (entre mai 2001 et mai 2006) ! Suivant le même essoufflement, Jean Fautrier et Hans Hartung n’ont plus passé la barre du million de dollars depuis 1990 : le 25 mars 1990, Fautrier signait son record avec une Tête d’otage de 1944 chez Loudmer à Paris. La dernière Tête d’otage de l’artiste de qualité comparable fut dispersée chez Sotheby’s Londres le 26 juin 1997 et est partie pour 400 000 £, soit 588 606 €. Les cotes de Nicolas de Staël et de Jean-Paul Riopelle se portent mieux avec une progression de plus de +100% depuis 2000 !

Bien que certains affichent des cotes inférieures aux sommets atteints pendant la bulle spéculative de 1989-1991, trois artistes sont toujours sujets à surenchère : Georges MATHIEU, qui battait son précédent record le 22 avril 2006 avec une adjudication à 125 000 € pour une œuvre sans titre de 1969 (chez Meeting Art à Vercelli) ; André LANSKOY, qui culminait à 160 000 € le 6 décembre 2005 pour une composition de la même année (Artcurial, Paris) et Pierre Soulages qui signait son record l’été dernier.

Pierre SOULAGES est l’un des artistes le mieux coté de cette seconde Ecole de Paris. Il a dépassé les frontières européennes et trouve un écho dans les grandes maisons de ventes anglo-saxonnes qui réalisent plus de 50% du produit des ventes, fait extrêmement rare pour un artiste français vivant. Ce précurseur du monochrome, qui peignait ses premiers tableaux noirs à la fin des années 40, a conquis le monde en 60 années de création. L’artiste, qui a intégré la physique et la métaphysique de la lumière dans ses toiles, bénéficie d’un formidable engouement, révélé par une croissance des prix de plus de 90% depuis le début de l’année 2006 et par sa première enchère millionnaire le 6 juillet dernier pour une huile de 1959 qui tripla son estimation chez Sotheby’s Paris (1,06 million d’€, 162 x 130 cm) ! 20 ans auparavant, une œuvre de la même année et de mêmes dimensions partait pour moins de 60 000 euros (120 000 DEM, 56 711 € chez Lempertz à Köln)… Il faut compter aujourd’hui 200 000 à 400 000 € en moyenne pour une œuvre ancienne d’un mètre de côté et 50 000 à 100 000 € pour une toile récente (des années 80 à aujourd’hui).

Les eaux-fortes de Pierre Soulages ne sont pas de simples reproductions. L’artiste prête un soin tout particulier aux techniques de la gravure et exploite le processus même de la corrosion à des fins esthétiques. Ses eaux-fortes sont donc de véritables dialogues avec la matière, à l’instar de ses œuvres sur toiles, mais bien plus abordables. Elles représentent près de 80% des transactions contre 4% du produit des ventes. Actuellement, il faut compter entre 1 000 et 2 500 € en moyenne pour l’acquisition d’une estampe. Depuis le début de l’année 2006, les gravures présentées aux enchères dépassent allègrement leurs estimations comme le 3 avril chez Calmels-Cohen à Paris où Eau-forte n°3 de 1952 quadrupla son estimation haute pour décrocher 1 300 € au marteau. Preuve de l’effervescence de ce marché : le 1 juin 2005, la même maison de ventes présentait Eau-forte n°8, un tirage à 100 exemplaires de 1957 estimé entre 1 500 et 1 800 € qui s’arracha pour 21 000 € !

Les toiles de Vieira de Silva aux perspectives labyrinthiques s’échangent actuellement entre 100 000 et 400 000 € et ses gouaches peuvent atteindre des prix comparables, telle que la Composition aux damiers bleus de 1949 dispersée le 26 avril 2006 chez Christie’s Paris qui fut enlevée pour 370 000 € ! Comptez entre 100 000 et 200 000 € pour une huile de Poliakoff, des années 50 et entre 20 000 et 50 000 € pour une gouache de belle facture. Hartung, Atlan et Estève demeurent plus accessibles. Les huiles des années 50 d’Hartung s’échangent entre 50 000 et 80 000 € en moyenne mais les prix chutent pour les œuvres postérieures : le 25 mai dernier, un beau format de 1980 (Sans titre, 100 x 81 cm) trouvait preneur pour 27 000 € chez Porro & Co à Milan. Estève et Atlan, pour lesquels 90% des adjudications sont inférieures à 50 000 €, ont affiché de beaux résultats en juin et juillet 2006 : citons l’adjudication à 123 000 € pour l’huile d’Atlan Sans titre de 1958, lors de la vacation du 25 juin chez Perrin-Royère-Lajeunesse à Versailles. Ils n’atteignent pourtant pas les records décrochés en 1989 et 1990. Atlan avait alors réalisé une enchère à 1,3 million de Frs (près de 200 000 €) pour une Composition de 1968, le 24 juin 1990 chez Perrin-Royère-Lajeunesse à Versailles.

L’amateur peut acquérir à moindre coût des toiles signées Singier, Bertholle, Bissière, Le Moal ou Bazaine. Les amateurs privilégient la production de l’époque de l’Ecole de Paris mais le marché tend à se raréfier. Par exemple, une œuvre bien datée (1945) de Le Moal titrée Le Buffet rouge a trouvé preneur le 25 juin 2006 pour 15 000 € chez Perrin-Royère-Lajeunesse à Versailles, alors que la majorité de ses huiles changent de mains pour moins de 10 000 €. Une reconnaissance par le marché international manque encore à ces artistes pour dynamiser leurs cotes !

Pour un budget de 5 000 à 10 000 €, l’amateur peut trouver un large choix de travaux sur papiers. Dans cette gamme de prix, on pouvait acquérir lors de la dernière saison printemps-été plusieurs œuvres dont une Composition sur fond vert d’André LANSKOY pour 7 000 € le 14 août dernier chez Massol à Deauville, mais aussi une Composition sur fond noir du même artiste des années 50 pour 4 900 € le 25 juin 2006 chez Declerck à Douai. Ou encore une Composition bleue et jaune de Hartung pour 6 000 € le 17 mai chez Tajan à Paris, ainsi que Le Ring de Maurice Estève, une aquarelle de petit format mais bien datée, qui partit pour 6 000 € le 5 juillet 2006 chez Christie’s Paris. Le lendemain, une technique mixte sur carton de Georges Mathieu de 1957 était accessible pour 5 000 € chez Sotheby’s Paris. Plus abordable encore, une Composition au fusain de Fautrier trouvait preneur pour 2 000 € seulement lors de la même vente parisienne !