La puissance calme de Morandi revient en force

[23/03/2021]

Classique mais moderne, calme mais intense, figurative mais minimaliste… au-delà des paradoxes, la peinture de Morandi invite surtout à une simplicité et une l’immobilité à contre-courant de nos habitudes de consommation des images.

“Tout est un mystère, disait Morandi, nous-mêmes ainsi que toutes les choses à la fois humbles et simples.” Avec rigueur, persévérance et modestie, l’artiste a tutoyé le mystère de près, par le truchement d’objets posés sur la table de son atelier.

Né en 1890 à Bologne où il passe sa vie, Giorgio MORANDI côtoie la peinture dès son jeune âge. S’il se forme à l’Académie des Beaux-Arts de Bologne (1907-1913), c’est par le truchement de ses lectures personnelles qu’il reçoit un enseignement moins académique que celui des Beaux-Arts. Il découvre par lui-même de nouvelles voies picturales à travers les reproductions d’oeuvres en noir et blanc du père de la modernité, Paul CÉZANNE, dont l’influence est fondamentale.

Dépouillées de couleurs, les images mettent en évidence la présence construite des sujets peints. Un autre électrochoc advient à la découverte de reproductions de peintures métaphysiques de Giorgio DE CHIRICO à la fin des années 1910. Dans les œuvres énigmatiques de Chirico, d’étranges associations d’objets semblent avoir été figées dans un moment précis. Rien ne bouge, et tout semble régi par de grandes lois qui nous échappent.

“Certains peuvent voyager à travers le monde et ne rien en voir. Pour parvenir à sa compréhension, il est nécessaire de ne pas trop en voir, mais de bien regarder ce que l’on voit.” (Morandi)

Nourri par ces découvertes, Morandi commence à définir les principes de sa démarche artistique et affirme son vocabulaire plastique dans les années 30. Il s’engage sur le motif, réalisant quelques paysages de Grizzana. Surtout, il peint les objets de son quotidien, dans la simplicité de leurs formes et de leurs nuances colorées. Bouteilles, boites, vases, coin de table : derrière la banalité de sujets inlassablement peints pendant 40 ans, Morandi voit et donne à voir la délicatesse d’une présence, l’équilibre, le silence, la modestie et le recueillement. Quelque chose d’indéfinissable transcende ces objets simples, et c’est là toute la magie de Morandi.

Une oeuvre confidentielle au succès international

La peinture de Morandi est aussi confidentielle que reconnue et recherchée. Si l’idée peut sembler paradoxale, elle définit tout à la fois l’œuvre et le parcours de l’artiste. Dans sa quête solitaire et obstinée d’une harmonie ultime, Giorgio Morandi a mené une vie monacale dans les 9m2 de sa chambre-atelier. Une vie entièrement dédiée à l’exercice d’un art à son image, c’est-à-dire sans théatralisation.

Les formats sont modestes, les sujets intimes, les gammes colorées presque monochromes, la production rare. Il ne peint par exemple que six toiles au cours de l’année 1939, mais exécute plus de la moitié de sa production après la Seconde Guerre mondiale, entre 1948 à sa mort en 1964.

Morandi voyage rarement en dehors de l’Italie et jamais au-delà de l’Europe. Il s’impose pourtant de son vivant comme un artiste majeur de la scène internationale. En 1948, il remporte le premier prix de peinture à la Biennale de Venise. L’année suivante s’ouvre sa première exposition institutionnelle au musée des Beaux-Arts de Bruxelles. Artiste plusieurs fois primé (Grand Prix de gravure à la Biennale de São Paulo, Grand Prix de peinture de la IVe Biennale dans les années 1950), Morandi a intégré de nombreuses collections publiques, parmi lesquelles figurent le Centre Pompidou à Paris, la Tate Modern à Londres, le Metropolitan à New York, qui lui consacrait une rétrospective en 2008 en partenariat avec le Musée Morandi de Bologne.

Du sud de la France à Pékin, d’importantes expositions viennent de lui être consacrées. Celle du Musée de Grenoble à été prolongée jusqu’au mois de juillet (Giorgio Morandi. Dans la collection de Luigi Magnani). Une autre vient de s’achever au musée M Woods de Pékin. Il s’agissait de la première exposition personnelle de Morandi dans un musée d’art en Chine. L’artiste – qui possédait “une douzaine de livres sur l’art traditionnel chinois” rappelle le commissaire de l’exposition Victor Wang – est apprécié en Chine tant pour sa palette de couleurs que pour l’intimité se dégageant de ses œuvres. Certains érudits chinois comparent même le sentiment de paix de l’œuvre à Morandi aux œuvres de la dynastie Song, créées il y a des siècles. Son œuvre reçoit un bel accueil en Chine, où deux toiles se sont vendues autour d’1,5 millions de dollars chacune par des maisons de ventes tissant des liens entre l’art chinois et l’art occidental (à Shanghai et à Hangzhou).

La cote de Morandi

Les belles natures mortes – parlons plutôt de “vies silencieuses” – sur toiles passent en effet régulièrement le million de dollars aux enchères, car la demande est forte, mondiale. La cote des paysages est moins élevée. Certains d’entre eux sont encore adjugés pour moins de 300 000$. Les œuvres les plus chères se vendent d’abord aux Etats-Unis avant le pays natal de Morandi, ou il est pourtant l’artiste le plus performant. Les trois meilleures adjudications italiennes 2020 reviennent en effet toutes à Morandi. Les aquarelles sur papier s’échangent entre 30 000 et 60 000$ en moyenne et récemment. Quant à la gravure, qu’il enseigne toute sa vie à l’Académie des Beaux-Arts de Bologne et qui lui vaut le Grand Prix de la Biennale de São Paulo en 1953, c’est un art dans lequel il excelle. Si certaines planches sont accessibles pour moins de 5 000$, d’autres valent 10 fois ce prix.

La cote de Morandi est au beau fixe. 100 $ investis dans l’une de ses œuvres il y a 20 ans vaut en moyenne 250 $ aujourd’hui, soit une hausse des prix de +150 %, dont près de 5% au cours de la seule année 2020.

Evolution de l’indice de prix de Morandi aux enchères

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Répartition du marché de Morandi (2010-2020)

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