La photographie humaniste française

[07/11/2006]

 

Entre photo-journalisme et peinture pittoresque de la société, la photographie humaniste est un formidable témoignage sur les mœurs humaines. La période phare de ce courant se situe entre la fin de la seconde guerre mondiale et la fin des années 60. Les photos de Robert DOISNEAU, Édouard BOUBAT, BRASSAÏ, Willy RONIS et d’autres nourrissaient la presse de l’époque… ils font encore recette aujourd’hui. Ces clichés chargés d’affects, figeant des moments quotidiens et fugaces, présentent des vertus d’authenticité, une indéniable valeur documentaire et l’esthétique contrastée et nostalgique du noir et blanc… autant de critères séduisant pour les collectionneurs, qui n’ont plus peur aujourd’hui d’investir sur les grands noms de la photographie.

Face à l’invasion des tirages numériques dans l’art contemporain, les photographies argentiques conservent un fort pouvoir de séduction, notamment lorsqu’elles dépeignent les archétypes sociaux, des scènes anecdotiques et lieux pittoresques remontant à deux ou trois générations. La photographie humaniste compte des photographes de renom international tels que Doisneau, Brassaï, Boubat ou Ronis, dont les clichés sont toujours publiés dans diverses revues. Elle compte aussi des chasseurs d’images moins connus du grand public à l’instar de Jean DIEUZAIDE, Janine NIÉPCE ou Jean-Philippe CHARBONNIER, tous exposés à la bibliothèque nationale de France (site Richelieu, Paris) jusqu’au 28 janvier 2007.

Robert Doisneau et Brassaï sont les deux figures emblématiques de cette photographie humaniste. L’année 2005 fut une année faste pour la cote de Doisneau qui pris plus de 50% et signa son record pour le célèbre Baiser de l’hôtel de ville de 1950, qui décuplait son estimation pour culminer à 155 020 € (25 avril, Artcurial, Paris) ! Cette enchère a déclenché l’engouement des collectionneurs pour des tirages tardifs du même cliché. Le 16 mai dernier, par exemple, un exemplaire du fameux Baiser tiré vers 1985 décrochait tout de même 9 500 £, soit près de 14 000 € chez Sotheby’s Londres. 10 ans auparavant, les tirages postérieurs du Baiser de l’hôtel de ville cotaient entre 1 500 et 3 500 € soit, en moyenne, le prix actuel pour un cliché de Doisneau moins « mythique ». En portraitiste des plus grands artistes de l’époque, Doisneau a fixé l’image de Fernand Léger ou de Pablo Picasso, clichés sujets à surenchère lors des dernières ventes comme Les Pains de Picasso, une prise de vue datée de 1952 (tirée en 1987), estimée 600 € par la maison Sotheby’s et qui décrochait 6 000 € le 12 octobre dernier à Paris. Actuellement, celui que l’on a surnommé l’œil de Paris est exposé jusqu’au 17 février 2007 à l’Hôtel de ville de Paris (Paris en liberté depuis le 19 octobre 2006).

Le succès de la dispersion de 764 lots de la succession de Brassaï au début du mois d’octobre chez Million & Associés (Paris) a conforté les collectionneurs dans leur engouement pour les grands photographes humanistes. Brassaï a vu sa cote quintupler en 10 ans, progresser de +150% sur l’année 2005 et enchaîner les adjudications records lors des vacations des 2 et 3 octobre 2006 en doublant, triplant voire décuplant les premières estimations ! Bien que sa plus haute enchère demeure loin derrière celle de Doisneau, il a cependant signé son record le 3 octobre dernier pour un seul cliché intitulé Pavés (1931), vendu 85 000 € par Million & Associés. Certains clichés étaient tout de même abordables pour moins de 3 000 € comme sa Montagne de poireaux et de navets aux Halles, tiré en 1936 et signé, qui trouvait preneur pour 1 600 €.

Il est encore aisé d’acquérir des clichés « humanistes » dans une fourchette de prix très raisonnable : entre 1 000 et 3 000 €. Les clichés de Janine Niépce, Jean Dieuzaide, Edouard Boubat ou Izis sont accessibles dans cette gamme de prix, ainsi que ceux de Ronis. Le photographe Pierre-Jean Amar a tiré quelques-uns des plus célèbres clichés de Ronis rassemblés en quatre portfolios. Le portfolio n°2 intitulé L’ombre du pain rassemble 7 clichés de Ronis dûment signés (tirés à 30 exemplaires dont 5 hors commerce). Proposé chez Tajan à Paris le 30 mai 2002 , l’ensemble était accessible pour 3 000 €. Aucun cliché de Ronis n’a encore franchi la barrière des 10 000 € tandis que deux clichés d’Izis l’ont dépassée. Précisons que le dernier en date (le 15 avril 2003), intitulé La Pluie, bénéficiait d’un formidable pedigree : la provenance de la collection du surréaliste André BRETON. Estimée 1 800 €, l’épreuve d’Izis décrochait 10 500 € chez Calmels-Cohen à Paris. Comme toujours dans la photographie, l’aura du modèle et de la provenance demeurent des paramètres essentiels à la valeur de l’épreuve.