La grande année Agnes Martin

[13/12/2016]

Exposée en 2015 à la Tate Modern de Londres, puis au LACMA et au Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen de Düsseldorf, la rétrospective Agnes Martin rejoignait cet automne la vaste rampe hélicoïdale du musée Guggenheim de New York, pour une exposition toujours d’actualité et très visitée (7 octobre 2016-11 janvier 2017). Parallèlement aux hommages muséaux, les expériences visuelles de l’artiste font, plus que jamais, sensation aux enchères…

Bonheur, unité, joie

Bonheur, unité et joie sont les trois mots clefs pour définir Agnes MARTIN (1912-2004) selon la commissaire de l’exposition du musée Guggenheim, Tracey Bashkoff. L’oeuvre d’Agnes Martin, rigoureusement abstraite et délicieusement subtile, se trouve imprégnée de croyances asiatiques, dont le taoïsme et le bouddhisme zen. La délicatesse d’une ligne, d’un trait où d’une tonalité vibre sur le support des toiles… le champ répétitif se fait méditatif dans un dépouillement visant à convoquer ce que l’artiste nommait des émotions abstraites telles que la joie, l’amour, l’expérience de l’innocence, la liberté, la beauté et la perfection. Cette peinture d’une grande sérénité prend forme dans les années 40′, époque où Agnes Martin décide de son destin d’artiste. C’est l’époque des abstractions biomorphiques, dont on ne trouve pas trace sur le marché des enchères mais que l’on peut découvrir au cœur de la rétrospective en cours. L’artiste d’origine canadienne quitte New Mexico pour New York en 1957. Sa peinture change alors radicalement pour aller vers la simplification des formes, la pureté géométrique et le grand format. Cette période new-yorkaise dure 10 ans, avant un arrêt net de la production pendant sept années, puis une reprise exigente du travail jusqu’à son décès à Taos, New Mexico, en 2004.

Consécration par les enchères

Aujourd’hui, les premières œuvres radicales créées à New York sont considérées comme étant historiques. Il s’agit des oeuvres les plus recherchées par les amateurs et les plus cotées sur le marché des enchères. C‘est à l’une d’entre elles, Orange Grove, datée de 1965, que l’on doit un nouveau record absolu signé quelques mois avant l’ouverture de sa rétrospective au Guggenheim : “Orange Grove” s’est en effet envolée pour près de 10,7m$ le 10 mai 2016 chez Christie’s à New York, enterrant de plus de 4m$ un précédent sommet signé en novembre 2013. Au musée comme en salles de ventes, l’art d’Agnes Martin impose donc sa majesté par la simplicité. Cette icône du Minimalisme américain et de l’Expressionnisme abstrait (par sa dimension spirituelle) était déjà l’une des grandes figures de l’histoire de l’art américain, elle devient cette année l’un des grands référants du marché de l’art. Car elle ne signe pas un mais deux records, avec la vente, le 5 novembre dernier, d’une toile du début des années 80′ partie pour 6,7m$ (Untitled #6est deuxième sur le podium des enchères après Orange Grove, vente Christie’s New York, le 15 novembre 2016). Les oeuvres d’Agnès Martin n’avaient jamais enregistré meilleur accueil en salles de ventes qu’au cours de cette année 2016, une année record en terme de chiffres d’affaires, avec plus de 26m$ cumulés, contre 17m$ l’an dernier. Cette envolée – confirmée par un indice de prix en hausse de plus de 200% depuis l’année 2000 – fait le bonheur de certains et le désespoir des autres, car détenir une œuvre d’une artiste aussi cotée requiert de posséder aussi son graal, le bon certificat d’authenticité…

Valeur et authentification

Agnes Martin fut associée à la prestigieuse Pace Gallery de New York dès 1975. Aujourd’hui, le fondateur de la Pace Gallery, Arne Glimcher, représente la succession d’Agnes Martin. La société « Agnes Martin Catalogue Raisonné LLC » dont il est membre est seule habilité à inscrire des œuvres au catalogue raisonné de l’artiste, donc à permettre la mise en circulation de ses œuvres, une fois validées, sur le marché international en tant qu’oeuvres originales de l’artiste. Or, au mois d’octobre 2016, la « Agnes Martin Catalogue Raisonné LLC » s’est vu intenter un procès par la Mayor Gallery de Londres suite au refus d’authentification de treize œuvres déjà vendues par la Mayor Gallery (The art Newspaper, Laura Gilbert, London’s Mayor Gallery files lawsuit against Agnes Martin catalogue raisonné, 25 octobre 2016) … La Mayor Gallery a donc promis aux collectionneurs lésés de les rembourser pour une facture s’élevant à 7,2 m$ selon les prix d’achat, un montant demandé au comité d’authentification à titre de dommages. Si ces œuvres avaient été acceptées par le comité d’authentification, il est certain que Christie’s, Sotheby’s et Phillips se seraient âprement disputées leur inclusion aux catalogues, tant le moment est bien choisi pour une revente fructueuse…