L’Art Brut s’ancre un peu plus dans le marché

[02/02/2016]

 

Il peut paraître paradoxal que l’Art Brut, tenu pour rester dans les marges du monde de l’art, devienne un segment émergent du marché de l’art. Et pourtant ! Rattrapé par l’histoire, défendu par des professionnels reconnus (qu’ils soient galeristes, critiques ou curateurs), sorti du champ confidentiel de musées entièrement dédiés à cette forme de création (le Centre Pompidou de Paris affiche par exemple une toile de Séraphine DE SENLIS dans ses accrochages permanents), l’Art Brut a considérablement élargi son public d’amateurs.
La professionnalisation de son marché passe aussi par l’Outsider Art Fair, dont la dernière édition s’est achevée à New York (21-24 janvier 2016). La foire existe depuis 24 ans déjà et se trouve bien implantée dans le calendrier new-yorkais. Elle s’est même diffusée à Paris, où trois éditions ont déjà eu lieu.
Fin janvier, Christie’s profitait de l’évènement Outsider Art Fair pour programmer sa première vente entièrement dédiée au genre, sous le titre Liberation Through Expression: Outsider and Vernacular Art (le 22 janvier 2016). C’est l’annonce d’une petite révolution sur le marché de l’art car Christie’s n’est autre que la plus puissante maison de ventes au monde et elle mise sur New York comme sur Paris pour faire décoller ce marché.

Sélection d’artistes à suivre

L’Art Brut a déjà ses élus aux enchères, avec en tête d’affiche Henry J. DARGER, Adolf WÖLFLI, Bill TRAYLOR, Martin RAMIREZ, William L. HAWKINS et James CASTLE. L’année dernière, un dessin de Darger emballait la salle parisienne de Christie’s pour enterrer de 400 000 $ son estimation haute. Le grand dessin recto-verso sans titre de 3,3 mètres de long se vendait l’équivalent de 749 500 $ (le 2 décembre 2014). Un record dans le genre. Mais Christie’s fit mieux encore cette année à New York, en cédant une sculpture en pierre de William EDMONDSON pour 785 000 $, contre une estimation de 150 000 – 250 000 $ (Boxer, circa 1936). L’art Outsider se rapproche donc de plus en plus du seuil millionnaire… Mais Christie’s n’a pas l’intention d’inonder le marché pour le moment. Sa vente du 22 janvier 2016 apparaissait plutôt comme un test, n’offrant que 44 lots au catalogue. Le chiffre d’affaires fut maigre en regard de ses grandes vacations médiatiques, avec 1,5 m$ de résultat, mais il s’agit là d’un bon démarrage en douceur. Quelques résultats témoignent d’ailleurs d’une véritable compétition d’acheteurs, notamment sur la première œuvre passant l’épreuve des enchères sous la signature de George WIDENER. Cet artiste américain diagnostiqué du syndrome d’Asperger a doublé son estimation, avec un dessin vendu 22 500 $. Widener est un savant fascinant, manipulant les chiffres et les dates. Il crée, via le dessin, un vaste réseau d’interconnexions particulièrement complexes dont le pilier fondateur repose la tragédie du Titanic, dont le 100ème anniversaire tombait le jour de ses 50 ans. L’émergence de Georges Widener est toute naturelle compte tenu de son apport dans le champ de l’Art Brut. Deux autres artistes, mieux connus aux enchères, ont enregistré des résultats honorables compte tenu de cotes déjà hautes : un dessin de Martín Ramírez s’est vendu dans l’estimation pour 75 000 $ et une œuvre de Bill Traylor est partie pour 50 000 $ (Three Figures with Dog, Bird and Construction).

L’autre intérêt de cette vente Christie’s tenait dans le caractère abordable de plusieurs œuvres : un dessin de Scottie WILSON partait dans son estimation, pour 2 250 $ (Untitled, circa 1945) et un autre de Justin MCCARTHY pour 1 500 $ (Tournament of Roses, circa 1965). Dix œuvres étaient ainsi accessibles avec un budget d’acquisition ne dépassant pas les 5 000 $.

Ces artistes Bruts ou Outsider, qui ne cherchaient pas à être reconnus comme tels dans le monde de l’art, font désormais partie de cet univers, portés par une véritable appétence de la part de collectionneurs américains et européens. De plus en plus nombreux, les amateurs ne sont pas forcément des acheteurs exclusifs d’Art Brut. Les collections se mélangent, augmentant la qualité d’un rapport intuitif au monde.