Judith Scott, nouveau record d’une artiste outsider

[26/01/2021]

 

Sourde, muette et atteinte de trisomie 21, l’américaine Judith Scott est une autodidacte aujourd’hui reconnue internationalement. La semaine dernière, Christie’s a réajusté son record d’adjudication depuis New York.

Ne communiquant avec autrui que par le toucher, Judith SCOTT (1943-2005) s’engage dans la création tardivement, à l’âge de 44 ans, grâce au Creative Growth Art Center d’Oakland en Californie. Elle y réalisera plus de deux cents sculptures, des œuvres hors-norme, semblables à des cocons multicolores et dotés d’un réseau textile complexe et arachnéen. Chaque “cocon” se compose d’objets hétéroclites récupérés, assemblés, enveloppés et enlacés de fils, ficelles, cordes et cordelettes de manière à occulter intégralement l’objet initial. Ces œuvres énigmatiques ont quelque chose de magique, à l’image des fétiches africains qui enferment dans leur ventre quelques objets à la puissance secrète. Anthropomorphes, zoomorphes ou organiques au début, les sculptures se métamorphosent progressivement, devenant plus abstraites au fil des années.

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Vue de l’installation de Judith Scott à la 57ème Biennale de Venise, le 10 mai 2017

 

L’œuvre est remarquée du vivant de Judith, avec une première exposition et la publication du livre de John MacGregor (Metamorphosis: The Fiber Art of Judith Scott), en 1999. Au début des années 2000, son œuvre gagne une audience plus large avec une première exposition européenne, organisée par Lucienne Peiry au Musée de la Collection d’Art Brut de Lausanne (2001). Dans les années 2010, son travail est exposé à de multiples reprises. Une rétrospective organisée en 2015 par le Brooklyn Museum la révèle au grand public new-yorkais. À Paris, les œuvres sont d’abord montrées à l’Outsider Art fair, sur l’exposition Inextricablia, enchevêtrements magiques à la Maison Rouge (2017), puis sur le salon Art Paris. Cette présence dans diverses foires et expositions stimule la demande et les premières œuvres font leur apparition sur le marché des enchères. Les premiers résultats sont timides, avec des ventes comprises entre 20 000 et 35 000 $, mais en 2019, une œuvre sans titre évoquant une botte renversée, atteint 47 500$ chez Christie’s à New York.

Puis le marché s’accélère, avec trois œuvres vendues au cours de l’année 2020, contre une seule les années précédentes. En ce début d’année 2021, Christie’s a présenté deux sculptures de Judith Scott lors de sa vente “Outsider and Vernacular Art” du 21 janvier : Untitled (Nest) est partie pour 22 500$ (hors frais) tandis que Untitled (Heart) a triplé son estimation basse, remportant 52 500$ (hors frais) et supplantant de loin le dernier record de l’artiste !

Pour aller plus loin

L’œuvre dense et émouvante de Judith Scott est à découvrir dans les collections permanentes de nombreux musées, dont le Centre de l’art intuitif et outsider de Chicago (Intuit), la collection de l’Aracine, le Musée d’art brut de Paris, le Musée américain de l’Art visionnaire de Baltimore ou encore le Musée d’Art Moderne de San Francisco (SFMOMA).
Trois films ont été tournés sur l’artiste: Outsider: The Life and Art of Judith Scott, par Betsy Bayha ; ¿Qué tienes debajo del sombrero? (Qu’est-ce qu’il y a sous ton chapeau?) de Lola Barrera et Iñaki Peñafiel et Les cocons magiques de Judith Scott de Philippe Lespinasse. En 2009, Scott Ogden et Malcolm Hearn ont produit un documentaire, Make, sur la vie et les techniques de Judith et de trois autres artistes. Cela montre l’intérêt que l’on porte autant à sa pratique si singulière qu’à sa vie toute entière.

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Vue de l’installation d’une œuvre de Judith Scott à la 57ème Biennale de Venise, le 10 mai 2017